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Cardiologie générale

Publié le 15 mar 2005Lecture 11 min

Éducation thérapeutique en cardiologie : usine à gaz ou fil à couper le beurre ?

P. JOURDAIN, F. FUNCK et J. LOIRET, unité thérapeutique d’insuffisance cardiaque (UTIC), École du cœur, club cœur et santé de la région de Pontoise, centre hospitalier de Pontoise

Au pays de Jules Ferry et de l’éducation obligatoire pour tous, l’éducation thérapeutique à destination des patients a longtemps été peu développée car considérée, pour plusieurs raisons, comme aussi peu utile que gratifiante… loin des grands discours de certains décideurs… À la suite de nombreux travaux, en particulier scandinaves, et d’autres spécialités comme la diabétologie et la pneumologie, la cardiologie a pris conscience de l’importance que revêtait la formation des patients. Plusieurs projets d’éducation thérapeutique ambitieux ont vu le jour, suscitant un grand engouement. Pour autant, cette notion d’éducation reste assez mystérieuse voire fantasmatique et sa mise en place reste très inégale. En paraphrasant Molière, grand éducateur de son temps, « faisons-nous tous de l’éducation thérapeutique sans le savoir ? ».

Définition Selon l’Organisation mondiale de la santé, « L’éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients d’acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les aident à vivre de manière optimale leur vie avec leur maladie. Il s’agit par conséquent d’un processus permanent, intégré dans les soins, et centré sur le patient. L’éducation implique des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’auto-gestion et de soutien psychologique concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, le cadre hospitalier et de soins, les informations organisationnelles, et les comportements de santé et de maladie ; elle vise à aider les patients et leurs familles à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie ».   État des lieux Faisons-nous de l’éducation thérapeutique en France ? Si l’on pose la question sous forme de sondage, la grande majorité d’entre nous estime faire de l’éducation thérapeutique auprès de ses patients. Or, dans la plupart des cas, il y a confusion entre l’information thérapeutique qui est transmise aux patients et l’éducation thérapeutique qui elle a prouvé, dans de nombreuses études concordantes, son efficacité et qui répond à certains critères minimaux. L’information thérapeutique que nous réalisons tous au quotidien consiste à donner une information médicale et d’hygiène de vie au patient, domaine dans lequel notre formation s’est faite le plus souvent à l’écoute de nos maîtres ou sur le terrain au contact des patients et de leurs familles. Pour autant, ces informations ne sont pas de l’éducation thérapeutique, ce qui ne leur enlève d’ailleurs pas leur importance. En effet, dans ce type de formation, le patient est placé dans un rôle très passif ; l’information distribuée n’est pas strictement adaptée à sa pratique et à son vécu. De même, le temps de « l’échange » reste très limité en raison des contraintes d’emploi du temps, ce qui est une des premières doléances des patients, comme on peut le lire à longueur d’année dans la presse grand public ou le ressentir en tant que patient. L’éducation thérapeutique a longtemps été considérée comme étant l’apanage des paramédicaux pour ces raisons suivantes. Le manque de moyens dévolus à cette forme de soins Encore actuellement, nombreux sont ceux qui ne voient en elle qu’un gadget en plus des traitements médicamenteux. Or, le fossé existant entre la prescription et la prise réelle des traitements dans la vie réelle doit relativiser nos certitudes. Il est assez simple de comprendre que l’on ne prend régulièrement qu’un traitement en lequel on a confiance et dont on connaît l’influence positive ou négative. Nos gouvernants successifs n’ont pas eu plus de prescience en n’accordant jusqu’à présent aucune valeur « financière » au processus d’éducation thérapeutique en cardiologie, encore que cela pourrait bientôt changer. L’absence de considération accordée à cette forme du soin En effet, l’éducation thérapeutique n’est pas un élément porteur, car peu technique et peu innovant dans son design (encore que…). Le nombre d’articles parus dans la littérature internationale cardiologique concernant et surtout détaillant l’éducation thérapeutique est ridiculement faible comparé à celui concernant l’échographie ou les traitements bêtabloquants. Le manque de moyens, de motivation et de créneau porteur sur le plan financier ou personnel a conduit les cardiologues à un investissement réduit vis-à-vis de l’éducation des patients. Un certain « pharisaïsme » des spécialistes en éducation thérapeutique En effet, jusqu’à une récente ouverture vis-à-vis des cardiologues, les formateurs « professionnels » semblaient souvent un peu déconnectés de la pratique cardiologique habituelle. À lire les opuscules de formation disponibles, la formation des patients nécessitait des moyens humains, financiers et pratiques tout à fait hors de proportion avec les possibilités des quatre cinquièmes des services de cardiologie français. La seule durée des formations proposées nécessitant une hospitalisation des patients uniquement compatibles avec un long séjour en centre de convalescence, situation difficilement acceptable pour le système de soin et les patients actifs. Le développement de l’éducation thérapeutique passe par la diffusion de son message, diffusion uniquement envisageable au prix d’une simplification ne conservant que la substantifique moelle. Or, l’éducation thérapeutique doit faire partie de la démarche de soin du médecin comme de celle du paramédical au sens large. Elle ne peut concerner qu’une partie de l’équipe de soins et doit impliquer le prescripteur et gestionnaire, donc en France le médecin, sans quoi elle restera la plupart du temps du domaine du vœu pieux.   L’éducation thérapeutique, c’est possible !   Pourquoi en faire ? Pour le patient certes, mais pas seulement ! L’éducation thérapeutique est utile sur plusieurs plans. Sur le plan médical Elle permet d’augmenter la compliance (élément toujours sous-estimé par les praticiens) et d’améliorer le suivi. Elle permet également de diminuer la morbidité du moins dans l’insuffisance cardiaque. Les données restent encore discutées pour ce qui est des syndromes coronariens aigus, même si celles obtenues chez les patients diabétiques sont extrêmement positives. Sur le plan financier Elle permet de diminuer le coût lié à l’insuffisance cardiaque, comme cela a été montré chez les asthmatiques et chez les diabétiques entre autres. À ce titre, l’éducation thérapeutique convenablement mise en œuvre est un investissement de santé publique rentable. Sur le plan du patient L’éducation thérapeutique permet une meilleure compréhension de sa pathologie, et surtout de son traitement et des règles hygiéno-diététiques qui sont moins vécues comme des diktats proférés par un corps médical bien portant à des lieues de la vie du patient… Les patients se sentent suivis et mieux compris, ce qui permet un vécu humain de l’entrée dans une pathologie chronique invalidante, plus facile pour le patient et ses proches. À ce titre, les relations entre l’équipe et le patient sont considérablement modifiées par l’éducation thérapeutique, les soignants étant impliqués dans la progression humaine et conceptuelle du patient vis-à-vis de sa maladie et éventuellement de sa mort, dont le ressenti est considérablement majoré pour l’équipe soignante. Sur le plan de la prise en charge Elle permet de rendre le patient acteur vis-à-vis de la mise en œuvre des traitements et de la surveillance. Elle permet donc de modifier en partie nos habitudes qui consistent à repérer, aux moyens de consultations, de visites à domicile, d’infirmières, de réseaux, les signes avant-coureurs d’une décompensation cardiaque, par exemple, ce qui d’études en études nécessite des moyens humains et financiers de plus en plus lourds. En effet, le but de l’éducation est de permettre au patient de se surveiller et d’appeler lui-même le médecin traitant, le cardiologue, le centre de suivi. Elle permet de passer du « j’ai pris 15 kilos, je ne peux plus mettre mes chaussures depuis 3 semaines et, comme j’avais une consultation prévue, j’ai attendu… » à « je suis plus essoufflé, j’ai pris 2 kilos, ma créatininémie augmente, que dois faire ? »… Certes, tous les patients ne seront pas transformés en urgentistes, mais certains réflexes pourront, à bas coût, permettre d’agir tôt et donc de diminuer la durée de séjour hospitalier, ce qui est le principal effet de l’éducation thérapeutique chez les insuffisants cardiaques dans notre centre.   Les réseaux de médecins et de patients… Sur le plan médical, il existe actuellement en France plusieurs réseaux où les modalités de l’éducation thérapeutique sont variables et bien souvent individuels, infirmiers ou multidisciplinaires. Mais la plupart de ces expériences sont davantage basées sur une optimisation de la prise en charge médicale et paramédicale des patients principalement insuffisants cardiaques que sur l’éducation thérapeutique proprement dite. Quant aux organisations de patients, elles ne sont pas actuellement en mesure de dispenser de l’éducation thérapeutique. Leur action est principalement ciblée, soit sur l’entretien physique, soit sur la prévention primaire, mais leur activité demeure, pour ce qui est de la cardiologie française, relativement marginale, à la différence d’autres pays ou d’autres spécialités (diabète, asthme). L’école du cœur est un programme développé au centre hospitalier de Pontoise depuis près de 4 ans, exportable dans l’ensemble des centres hospitaliers de taille moyenne en France. Son concept est de faire de l’éducation thérapeutique un élément intégré dans la prise en charge du patient et qui vise à le rendre acteur vis-à-vis de sa maladie et non pas un élément greffé sur le traitement médical de sa pathologie. Ces formations dépendent des personnels et locaux existants. Il existe en fait deux programmes ayant des cibles différentes. - Le premier programme mis en place est celui concernant l’insuffisance cardiaque. Il consiste en un programme de formation réalisé dans le mois suivant l’apparition de l’insuffisance cardiaque mais ne se déroulant jamais au cours de l’épisode initial en raison de la « sidération » des patients confrontés à l’entrée dans la maladie. La formation se déroule sur une journée et demie. Les patients rencontrent l’infirmière spécialisée qui pose alors un diagnostic éducatif. Le patient est également accueilli par une association de patients « Le club cœur et santé de la région de Pontoise ». Il participe ensuite à un cours de formation « médicale » interactif après évaluation de ses connaissances et de son vécu vis-à-vis de la maladie. Le lendemain matin, il participe à une séance de kinésithérapie dont le but est de lui faire découvrir et pratiquer des activités physiques adaptées qu’il devra reproduire ensuite chez lui. L’après-midi, il bénéficie d’une prise en charge diététique visant, une fois de plus, non pas à « interdire » mais à le rendre autonome et responsable. La session se termine par la négociation d’un objectif de progression et par un contrôle des connaissances acquises. Le suivi éducatif se fait alors par le cardiologue traitant. - L’autre volet plus récent a bénéficié d’un financement dans le cadre du prix Hoptria. Il concerne les patients atteints de lésions vasculaires au sens large. La séance de formation se déroule sur une journée avec des modules de cours de 30 minutes chacun, axés sur les facteurs de risque (tabac, HTA, etc…) ou sur les gestes d’urgence. Un entretien infirmier est réalisé avant et après formation, et un objectif individuel négocié avec le patient et communiqué au médecin traitant. Les programmes Suite au développement de l’éducation thérapeutique en France, plusieurs centres pilotes ont uni leurs efforts afin, d’une part, d’essayer de standardiser les outils d’évaluation et de formation et, d’autre part, de permettre un support éducatif. Actuellement, le programme ICARE (Insuffisance cardiaque éduCAtion théRapeutiquE) parrainé par la Société Française de Cardiologie, et la Fédération Française de Cardiologie, permet de diffuser des outils et des formations pour les formateurs dans l’ensemble de la France. Les éléments indispensables En priorité, de l’enthousiasme et de la motivation, car la mise en place de ce type de prise en charge est souvent difficile ; en effet, elle est mal comprise au début et ses effets ne sont visibles qu’à moyen terme ! Il existe également certains prérequis indispensables à mon sens : – Une évaluation régulière du travail effectué et de la satisfaction des patients et des médecins libéraux afin de pouvoir faire évoluer les outils et la formation elle-même. – Une formation des formateurs. Certes, rien ne vaudra une expérience de terrain mais, d’une part, la vision de quelqu’un de l’extérieur permet d’ouvrir les yeux sur certains dysfonctionnements et, d’autre part, se former ensemble soude l’équipe de formation et permet à l’ensemble des intervenants d’être sur la même longueur d’onde. Cette formation peut se faire par l’intermédiaire de DIU comme ceux organisés sur l’éducation thérapeutique ou sur l’insuffisance cardiaque ou par le biais d’une coopération avec les comités régionaux d’éducation à la santé (http://www.inpes.sante.fr). – Des outils de formation. Ceux-ci doivent être adaptés aux possibilités et particularismes locaux. Remettre des documents aux patients permet de poursuivre la formation après la session proprement dite. En revanche, ce remis n’est qu’un élément complémentaire et ne doit pas devenir l’élément principal de l’éducation dispensée. L’absence d’outils en quadrichromie ne doit donc pas faire renoncer à la mise en œuvre d’une formation de patients. – Une équipe médico-paramédicale. Comme nous l’avons développé dans la première partie, une équipe éducative doit concerner l’ensemble de l’équipe traitante. La prise en charge du patient doit être globale et il faut donc agréger toutes les bonnes volontés pour faire une éducation globale et ne pas seulement donner des conseils ou améliorer les connaissances « médicales» du patient. En revanche, il ne faut pas hésiter à commencer avec une équipe réduite… Les dangers La mise en œuvre de l’éducation thérapeutique n’est pas une mince affaire car elle nécessite des moyens humains et en locaux, ce qui implique de définir les priorités dans l’activité du service. Il faut donc garder à l’esprit les différents écueils qui peuvent entraver le développement de ce type de soins… - Une inadéquation entre la cible et la formation : en effet, la perception de la gravité de la maladie et de son influence sur la vie quotidienne diffère considérablement entre un patient de 35 ans qui vient de bénéficier d’une angioplastie sur une lésion monotronculaire de la coronaire droite et qui est sorti du centre hospitalier à J+2, et un patient de 65 ans en classe NYHA 3 avec une insuffisance cardiaque sévère sur une coronaropathie tritronculaire. Si le second voudra bien consacrer plusieurs jours à se former et verra effectivement sa symptomatologie se stabiliser après correction des conduites à risque, il n’en sera pas de même du premier qui niera sa pathologie et aura du mal à consacrer 2 heures de son temps à une formation dont il ne voit pas bien l’effet sur sa vie quotidienne en dehors de restrictions… - L’éducation thérapeutique réduite à la remise de documents préformatés : c’est alors faire, non pas de la formation, mais de l’information. C’est, certes, plus facile et cela mobilise moins de ressources mais place le patient dans un rôle passif et non actif. Cette remise de documents n’est donc pas suffisante et gomme en plus pour le patient l’effet du groupe. - L’éducation thérapeutique « déshumanisée » : c’est en particulier le cas des formations sur CD-rom ou vidéo où le patient est une fois encore réduit à un rôle passif. Il regardera ces supports pour le côté ludique ou esthétique mais pas pour un apprentissage particulier. Ce type de formation permet de diminuer l’effort en personnel, mais ne débouche pas fréquemment sur une éducation du patient.   En conclusion L’éducation thérapeutique fait partie de la prise en charge moderne du patient en cardiologie au même titre que cela est largement pratiqué à l’étranger ou dans d’autres spécialités comme la diabétologie. C’est une activité de soins qu’il est possible de réaliser partout, en ville comme à l’hôpital, à condition de rester dans une optique d’évaluation, de formation des formateurs et d’interactivité avec le patient. Ces différents éléments font qu’il est important de s’agréger à une structure permettant de fournir le soutien, au moins logistique, pour réaliser une véritable éducation thérapeutique. C’est également l’occasion d’une collaboration ville–hôpital, médecins et paramédicaux, accrue, les uns ne pouvant travailler sans les autres, et le patient bénéficiant de cette synergie.

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