Publié le 26 juin 2007Lecture 7 min
Endocardite infectieuse : quand doit-on faire une ETO ?
F. DELAHAYE, A. DZUDIE et A. MERCUSOT, hôpital Louis Pradel, Lyon
Pour illustrer et souligner l’intérêt de l’ETO, nous commencerons par deux observations cliniques puis nous présenterons les recommandations des sociétés savantes : celles de l’ESH (European Society of Hypertension) et celles plus récentes des sociétés américaines.
Premier tableau clinique
Chez Madame B., âgée de 59 ans, un adénocarcinome mammaire est diagnostiqué en mars 2006. Le traitement commence par une chimiothérapie. Une mastectomie est prévue ensuite. Un Port-a-cath® est mis en place pour la dispensation de la chimiothérapie anticancéreuse. Début août 2006, il y a de la fièvre. Une bactériémie à Staphylococcus aureus est diagnostiquée. Il y a des emboles pulmonaires septiques. Dans le cadre de la recherche systématique d’une endocardite infectieuse (EI), notamment du cœur droit, dans ce contexte, une échographie transthoracique (ETT) est réalisée le 10 août. Elle est négative.
Auriez-vous fait une ETO (bactériémie à Staphylococcus aureus, ETT négative) ?
Il n’y a pas eu d’ETO. Sous Pyostacine® et Oflocet®, l’évolution est favorable. Au début du mois de septembre, à nouveau il y a de la fièvre. Il y a même un choc septique. À nouveau, une bactériémie à Staphylococcus aureus est diagnostiquée. Le score de Glasgow est à 7. Une tomodensitométrie et une IRM cérébrales mettent en évidence un infarctus bithalamique (figure 1). Le 11 septembre, à l’ETT, il n’y a pas de valvulopathie aortique.
Figure 1. Madame B. IRM cérébrale : infarctus bithalamique.
Auriez-vous fait une ETO (bactériémie à Staphylococcus aureus, AVC, ETT négative) ?
Le 11 septembre, à l’ETO, il y a une bicuspidie aortique, avec épaississement de la valve antérieure et aspect bourgeonnant très suspect de végétation, qui est mesurée à 11 x 5 mm (figure 2). Le traitement comporte Orbenine®, Gentalline® et Oflocet®. Le 19 septembre, à l’ETO, il y a toujours une végétation sur la sigmoïde aortique antérieure, qui est mesurée à 11 x 7 mm. Le 5 octobre, à la fin du traitement de l’EI, à l’ETT, il n’y a pas de valvulopathie aortique.
Figure 2. Madame B. ETO : bicuspidie aortique, végétation.
Suffit-il de faire une ETT le 5 octobre (au moment de la fin du traitement de l’EI) ?
Le 5 octobre, à l’ETO, la taille de la végétation a sensiblement diminué : elle est mesurée à 7 x 3 mm.
Deuxième tableau clinique
Chez Monsieur R., âgé de 28 ans, une bicuspidie aortique est connue depuis quelques mois (diagnostiquée lors d’une visite d’aptitude à la compétition). Le 27 décembre 2006, il y a de la fièvre et de l’asthénie. Une bactériémie à Staphylococcus aureus est diagnostiquée. À l’ETT, il y a une végétation sur la sigmoïde aortique antérieure, végétation dont le diamètre est de 7 mm. À l’ETO, cette végétation a une longueur de 10 mm et une épaisseur de 2-3 mm. Le traitement comporte Orbenine®, Gentalline® et Rifadine®. Le 5 janvier 2007, apparaissent des nausées, des vomissements et une somnolence. Il n’y a pas de déficit neurologique focalisé. À la tomodensitométrie, il y a des emboles au niveau splénique, rénal et cérébral. Les lésions cérébrales sont confirmées par l’IRM : plusieurs lésions ischémiques, sous- et sustentorielles, très évocatrices d’abcès, la plus grosse étant dans la région pariéto-occipitale droite, mesurant 20 mm (figure 3). Le patient est transféré dans notre hôpital. Le 6 janvier 2007, à l’ETT, il n’y a pas de végétation.
Figure 3. Monsieur R. IRM cérébrale : plusieurs lésions ischémiques, très évocatrices d’abcès, la plus grosse (20 mm) dans la région pariéto- occipitale droite.
Auriez-vous fait une ETO (bactériémie à Staphylococcus aureus, emboles, ETT négative) ?
Le 9 janvier 2007, à l’ETO, il y a une végétation de 5-6 mm sur chacune des deux sigmoïdes aortiques, la sigmoïde aortique postérieure est perforée (figure 4). Il n’y a pas d’indication chirurgicale, puisque la tolérance hémodynamique est bonne, le syndrome infectieux est contrôlé et les végétations qui restent sont petites. Le traitement antibiotique est poursuivi, à cause des abcès cérébraux (le traitement par Gentalline® a été arrêté après 15 jours). Le 25 janvier 2007, avant le retour du patient dans le CHG d’origine, à l’ETT, il y a la bicuspidie aortique, une fuite aortique modérée par rétraction de la sigmoïde postérieure est mise en évidence, il n’y a pas de végétation.
Figure 4. Monsieur R. ETO : végétation de 5-6 mm sur chacune des deux sigmoïdes aortiques.
Suffit-il de faire une ETT le 25 janvier 2007 (au moment de la fin du traitement de l’EI) ?
Le 25 janvier 2007, à l’ETO, il y a la bicuspidie aortique, une fuite aortique modérée, une petite perforation de la sigmoïde postérieure, il n’y a pas d’abcès, et il n’y a pas de végétation.
Aspects techniques
La résolution de l’image dépend de la distance, de la résolution du transducteur, et des caractéristiques de la paroi thoracique et des poumons (obésité, emphysème…). Les limites de détection d’une masse sont de 4-5 mm en ETT et de 1 mm en ETO. Avec l’ETO, il y a une meilleure visualisation des prothèses, des abcès, des fistules, des perforations, des anévrismes, et une meilleure étude de la continuité mitro-aortique. La spécificité de l’ETT et celle de l’ETO sont du même ordre. En revanche, la sensibilité de l’ETO est bien supérieure à celle de l’ETT, globalement, pour les EI sur prothèses, pour les abcès, et pour les EI dans le contexte d’une bactériémie à Staphylococcus aureus (tableau 1)[1].
ETO systématique ?
Dans les divers textes de recommandations, du fait que l’ETO est un examen « semi-invasif » et surtout, le résultat est très opérateur-dépendant, l’ETO n’est pas systématique. Cependant, au bout du compte, les situations dans lesquelles l’ETO n’est pas nécessaire sont rares.
Une ETO doit être réalisée s’il y a une prothèse valvulaire ou un dispositif intracardiaque, ou bien si c’est une EI sur valve native mais avec une probabilité pré-test d’EI moyenne ou élevée (tableau 2)(1).
L’algorithme proposé par la Société européenne de cardiologie dans le texte de recommandations sur l’EI publié en 2004 est présenté dans la figure 5(2). L’algorithme proposé par l’American Heart Association et l’American College of Cardiology, dans le texte sur les valvulopathies en 2006 est présenté dans la figure 6(3). On fait une ETO :
- pour évaluer la sévérité des lésions valvulaires, si l’ETT n’est pas diagnostique (classe I, niveau C) ;
- pour diagnostiquer l’EI chez des patients avec atteinte valvulaire et hémocultures positives, si l’ETT n’est pas diagnostique (classe I, niveau C) ;
- pour diagnostiquer les complications de l’EI ayant un possible impact sur le pronostic et sur le traitement (abcès, perforation, shunt…) (classe I, niveau C) ;
- en première intention pour diagnostiquer l’EI sur prothèse et évaluer les complications (classe I, niveau C) ;
- avant intervention chirurgicale (classe I, niveau C) ;
- en peropératoire (classe I, niveau C) ;
- pour diagnostiquer une EI en cas de bactériémie persistante à staphylocoques sans source connue (classe IIa, niveau C) ;
- éventuellement pour diagnostiquer une EI en cas de bactériémie nosocomiale à staphylocoques (classe IIb, niveau C).
Figure 5. Algorithme de la Société européenne de cardiologie. Complications : Fièvre ou CRP élevée persistante, hyperleucocytose, modifications de l’auscultation, insuffisance cardiaque, embolies, insuffisance rénale, micro-organismes résistants
*: Si l’ETO est négative et que la suspicion d’EI reste forte, refaire l’ETO 2-7 jours plus tard.
Ces recommandations s’inspirent de celles spécifiques sur l’EI publiées en 2005(4) et de celles spécifiques sur l’échocardiographie publiées en 2003(5). Dans le texte de 2005, il est dit que l’évaluation initiale doit comporter, de préférence, une ETO, avec ETT pour avoir des images de référence. L’ETT doit être réalisée si l’ETO n’est pas disponible. L’ETT est souvent suffisante chez les petits enfants.
Une ETO doit être réalisée le plus vite possible après une ETT positive chez les patients à haut risque de complication. Une ETO doit être réalisée 7 à 10 jours après l’ETO initiale s’il y a suspicion d’EI sans preuves ou si l’évolution est défavorable.
En pratique
Une ETO est presque toujours réalisée et ne doit l’être que par un opérateur expérimenté. On peut concevoir qu’il n’y ait qu’une ETT :
- s’il s’agit d’un patient à bas risque (pas de prothèse valvulaire, de cardiopathie congénitale à risque, d’antécédents d’EI, de souffle nouveau, d’insuffisance cardiaque…),
- si la suspicion clinique d’EI est faible,
- et si l’évolution est favorable.
Les trois conditions doivent être réunies.
Figure 6. Algorithme des Sociétés américaines de cardiologie. Patient à bas risque et suspicion clinique faible : par exemple, souffle cardiaque connu et fièvre sans autre signe d’EI. Patient à haut risque : prothèse valvulaire, cardiopathie congénitale à risque, antécédent d’EI, souffle nouveau, insuffisance cardiaque… Éléments de haut risque à l’écho : végétations larges et/ou mobiles, régurgitation valvulaire, extension périvalvulaire, dysfonction ventriculaire.
Sites :
• de l’European Society of Cardiology : www.escardio.org
• de l’American Heart Association : www.americanheart.org
• de l’American College of Cardiology : www.acc.org
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