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Valvulopathies

Publié le 17 mai 2011Lecture 9 min

Critères de sévérité d’une sténose aortique - Faut-il réviser les recommandations ?

J.-L. MONIN, CHU Henri Mondor, Créteil

D’après les recommandations ESC 2007, un rétrécissement aortique calcifié (RAC) est considéré comme sévère en cas de pic de vitesse transvalvulaire (Vmax) > 4,0 m/s avec un gradient de pression moyen > 40 mmHg et/ou une surface valvulaire < 1,0 cm2 (surface indexée < 0,6 cm2/m2). Cependant, il peut arriver que les paramètres de quantification soient discordants. Prenons l’exemple d’une patiente de 75 ans, pesant 57 kilos pour 167 cm (surface corporelle = 1,6 m2). Elle se dit peu gênée dans les efforts de la vie courante et l’écho-Doppler cardiaque montre un RAC avec un pic de vitesse transvalvulaire (Vmax) à 3,6 m/s, un gradient de pression moyen à 34 mmHg et une surface aortique à 0,9 cm2 (0,6 cm2/m2). La fraction d’éjection ventriculaire gauche est calculée à 60 % avec une hypertrophie pariétale concentrique modérée. Le RAC est-il sévère ? Comment cette patiente doit-elle être prise en charge ?

Sur quoi reposent les valeurs seuils actuelles ? Les critères actuels de sévérité d’un RAC sont essentiellement basés sur une étude prospective publiée en 1997 par l’équipe de Catherine Otto(1). Dans cette étude, 123 patients initialement asymptomatiques ayant un RAC plus ou moins serré ont été suivis en moyenne 2 ans et demi. Il s’avère que dans le groupe ayant présenté un événement cardiaque (décès d’origine cardiaque ou remplacement valvulaire), la surface aortique initiale était autour de 1,0 cm2, par opposition au groupe resté asymptomatique dont la surface moyenne était de 1,5 cm2. De même, lorsque la Vmax initiale était supérieure à 4 m/s, 80 % des patients étaient opérés dans les 2 ans contre seulement 20 % des patients dont la Vmax initiale était < 3 m/s(1). Par ailleurs, une Vmax à 4 m/s correspondant la plupart du temps à un gradient moyen de 40 mmHg, l’ensemble des critères de sévérité est donc justifié.   Quelle est l’importance du bas débit paradoxal ? Deux études récentes retrouvent une discordance entre les critères de sévérité d’un RAC dans 25 à 35 % des cas : ces patients ont une surface aortique < 1,0 cm2 malgré un gradient de pression moyen < 40 mmHg(2,3). L’interprétation de ces discordances est pourtant radicalement opposée entre ces 2 études. Pour l’équipe de l’Université de Laval (Québec), ces discordances s’expliquent essentiellement par un bas débit « paradoxal »(2). Le concept est le suivant : malgré une fraction d’éjection conservée (> 50 %), 35 % des patients (surtout des femmes) ont une petite cavité ventriculaire avec une forte hypertrophie, d’où un faible volume d’éjection systolique d’où un bas débit relatif (ou paradoxal) pouvant expliquer un gradient moyen < 40 mmHg malgré une surface aortique < 1,0 cm2. Le bas débit paradoxal serait donc un RAC sévère « masqué », justifiant la chirurgie, sous peine d’un mauvais pronostic à court terme sous traitement conservateur(2). Face à ce concept séduisant, plusieurs auteurs ont soulevé les limites de l’étude québécoise : • étude rétrospective dont le critère de jugement est la mortalité globale, sans aucune donnée sur le statut fonctionnel des patients, les causes de mortalité, ni les éventuelles contre-indications chirurgicales ; • malgré des surfaces corporelles comparables entre les 2 groupes, le diamètre moyen de l’anneau aortique était inférieur de 2 mm dans le groupe « bas débit paradoxal »(2). Il est important de noter qu’une sous-estimation du diamètre sous-aortique entraine une sous-estimation du débit cardiaque et de la surface aortique, pouvant conduire à la conclusion doublement erronée de RAC sévère et de bas débit cardiaque ; • il est donc possible (voire probable) qu’un certain nombre de patients classés comme « bas débit paradoxal » soient en fait des RAC modérés dont la surface aortique est fausse du fait d’une sous-estimation du diamètre sous aortique(4) ; • par ailleurs, la population de cette étude est certainement hétérogène : certains patients avaient possiblement un RAC serré en bas débit (dont la prévalence est probablement plus proche de 10 % que de 35 %), dont on conçoit aisément que le pronostic soit péjoratif sous traitement conservateur ; • enfin, le seuil de 50 % pour établir la normalité de la fraction d’éjection est discutable et n’exclut pas, à mon avis, une dysfonction systolique VG dans le contexte d’un RAC sévère avec hypertrophie concentrique.   Les valeurs seuils sont-elles mal étalonnées ? Une étude récente basée sur la population de l’étude SEAS, propose une toute autre explication pour ces discordances(5). Sur l’ensemble de la cohorte de SEAS, 435 patients (29 %) avaient une surface aortique < 1,0 cm2 malgré un gradient moyen < 40 mmHg et une fraction d’éjection > 55 % ; nous appellerons ce groupe « discordant ». À l’opposé, 184 patients (12 %) avaient un RAC « modéré » avec une surface entre 1,0 et 1,5 cm2 et un gradient moyen entre 25 et 40 mmHg(5). Les patients du groupe « discordant » étaient majoritairement des femmes (55 %), avec une surface aortique et un débit cardiaque significativement plus bas que dans le groupe « modéré » (p < 0,01). Cependant, la masse myocardique indexée était plus basse dans le groupe « discordant » (tableau). Les résultats ne montrent aucune différence en termes d’événements cardiovasculaires (décès, évolution vers les symptômes, remplacement valvulaire) entre les 2 groupes après un suivi moyen de 3,5 ans(5). De plus, parmi le groupe « discordants », 223 patients entraient dans les critères de « bas débit paradoxal » avec un volume d’éjection systolique indexé < 35 ml/m2, sans aucune différence en termes d’événements cardiaques comparativement au groupe ayant un RAC modéré(5). Les conclusions de cette étude sont donc que les patients asymptomatiques ayant un faible gradient moyen malgré une surface aortique < 1,0 cm2 ont probablement un RAC modéré, compte tenu d’un bon pronostic à moyen terme sous traitement conservateur(5).   Faut-il réactualiser les recommandations ? Dans un article publié en 2008, Minners et coll. pointaient du doigt le fait que 25 à 30 % des RAC avec fonction VG conservée avaient une surface aortique < 1,0 cm2 malgré un pic de vitesse < 4,0 m/s et/ou un gradient moyen < 40 mm Hg (figure 1)(3). Ces auteurs concluaient à un mauvais étalonnage des critères entre eux, sachant que la surface aortique correspondant le mieux à un pic de vitesse > 4,0 m/s (ou un gradient moyen > 40 mmHg) était 0,8 cm2(3). Figure 1. Relation entre la surface aortique et la Vmax  ou le gradient de pression moyen parmi une base de données regroupant 3 500 écho-Doppler cardiaques pour RAC. A. Une Vmax < 4,0 m/s malgré une surface < 1,0 cm2 est retrouvée dans 25 % des cas. B. Un gradient moyen < 40 mmHg malgré une surface aortique < 1,0 cm2 est retrouvé dans 30 % des cas. La surface aortique correspondant le mieux aux valeurs seuils de Vmax (4,0 m/s) et de gradient moyen (40 mmHg) est de l’ordre de 0,8 cm2. Adapté d’après Minners et al.(3). À l’opposé, la concordance entre un pic de vitesse > 4,0 m/s et un gradient moyen > 40 mmHg était quasiment parfaite. Cet article est donc en faveur d’une révision à la baisse du seuil de sévérité pour la surface aortique dans les recommandations (0,8 cm2 au lieu de 1,0 cm2)(5). Tout récemment, un éditorial de William Zoghbi (Chairman de l’American Society of Echocardiography) publié dans Circulation va dans le même sens(6).   Impact pronostique : les différents critères sont-ils équivalents ? Plusieurs études récentes sont en faveur d’un impact pronostique majeur du pic de vitesse et des gradients transvalvulaires (critères durs), par opposition à la surface aortique, que je qualifie donc de critère « mou »(7-9). Ainsi, dans une étude prospective franco-belge récente, les 3 facteurs pronostiques indépendants parmi une population de RAC initialement asymptomatiques étaient le sexe féminin, le pic de vitesse transvalvulaire et le taux de BNP sérique lors du premier examen ; un score de risque d’événements cardiaques peut être calculé à partir de ces 3 paramètres(8). Dans une autre étude prospective centrée sur les RAC asymptomatiques très serrés (Vmax initiale > 5,0 m/s), Rosenhek et coll. ont démontré que le pic de vitesse > 5,5 m/s est discriminant pour la survenue d’événements cardiaques à moyen terme, alors que la surface aortique (< 0,6 cm2) ne l’est pas (figure 2)(9). Enfin, Bermejo et coll. ont comparé l’impact pronostique des différents paramètres quantitatifs du RAC et montré que le pic de vitesse (et le gradient moyen) étaient constamment supérieurs à la surface aortique pour prédire les symptômes ou événements cardiaques indésirables, y compris en présence d’une dysfonction VG (figure 3)(7). Figure 2. Survie sans événement en cas de RAC très serré (pic de vitesse transvalvulaire aortique initial (Vmax) > 5,0 m/s) asymptomatique selon la Vmax initiale (A) et de la surface valvulaire aortique (SAo) (B). Adapté d’après Rosenhek et al.(9). Figure 3. Comparaison des valeurs prédictives du pic de vitesse transvalvulaire, du gradient de pression moyen et de la surface aortique pour la présence de symptôme ou la survenue d’événements cardiaques. Adapté d’après Bermejo et al.(7). Comment expliquer cette hiérarchie des critères ? Une partie de la réponse réside probablement dans la meilleure reproductibilité des indices Doppler « purs » : une seule mesure permet de calculer le pic de vitesse et le gradient moyen, dont la variabilité se situe entre 5 et 7 %. À l’opposé, 3 mesures successives (diamètre de chambre de chasse, ITV sous-aortique et transvalvulaire) sont nécessaires pour calculer la surface par équation de continuité, avec les difficultés que l’on connaît pour le diamètre de la chambre de chasse, d’où une variabilité interobservateur de l’ordre de 0,1 à 0,2 cm2.   Sévérité hémodynamique vs tolérance ventriculaire gauche Il est important de rappeler que la tolérance fonctionnelle d’un RAC chez un patient donné est déterminée par l’interaction complexe entre l’obstacle hémodynamique valvulaire, l’adaptation ventriculaire gauche et la vascularisation périphérique. D’où l’intérêt d’une analyse fiable de la fonction systolique ventriculaire gauche, dont la fraction d’éjection ne donne qu’une idée imparfaite en cas d’hypertrophie concentrique, d’autant plus que la cavité ventriculaire est petite. Des travaux récents sont en faveur d’une meilleure évaluation de la fonction systolique du ventricule gauche par la déformation myocardique longitudinale (2D-Strain par Speckle Tracking) dans ce contexte(10). L’utilité des taux sériques de BNP, reflets de la contrainte pariétale du ventricule gauche, est également démontrée dans ce contexte(8,11). Pour conclure le cas clinique présenté en introduction, la déformation myocardique longitudinale globale était de 18 % (limite inférieure de la normale) et le taux de BNP initial rassurant, à 35 pg/ml (valeur seuil à 100 pg/ml dans ce contexte(11)). Il a donc été conclu à un RAC modéré, compte tenu du pic de vitesse < 4,0 m/s, cohérent avec l’ensemble des autres paramètres, notamment la surface aortique. Cette patiente est actuellement suivie tous les 6 mois, sans événement cardiaque avec plus de 2 ans de recul.   En pratique Une discordance entre les différents paramètres de quantification d’un RAC peut correspondre à 3 situations cliniques : - L’erreur de mesure est probablement la cause la plus fréquente : une sous-estimation du diamètre sous-aortique entraîne une sous-estimation du débit cardiaque et de la surface aortique, amenant à la conclusion doublement erronée de RAC sévère et de bas débit cardiaque. Un certain nombre de patients classés comme « bas débit paradoxal » sont donc probablement des RAC modérés. - Un étalonnage imparfait des seuils de sévérité actuels : une surface aortique de l’ordre de 0,8 cm2 correspond mieux aux valeurs seuils de 4,0 m/s de Vmax et de 40 mmHg de gradient moyen, ces 2 seuils étant parfaitement accordés entre eux. Un RAC moyennement serré peut donc parfaitement correspondre à une surface valvulaire de 0,9 cm2 avec une Vmax de 3,5 m/s, notamment pour un petit gabarit. L’avenir nous dira si les valeurs seuils sont révisées dans les futures recommandations. - Un véritable RAC sévère avec bas débit cardiaque dû à une dysfonction systolique VG, dont la prévalence est de l’ordre de 10 %. Dans ce cas, la fonction systolique VG est certainement mieux évaluée par le 2D-strain (strain longitudinal global < 15 %) que par la fraction d’éjection. Ces patients sont symptomatiques et le taux de BNP sérique est pratiquement toujours élevé (> 100 pg/ml). Seul ce troisième cas de figure nécessite d’envisager un remplacement valvulaire (ou l’implantation d’une prothèse transcathéter). En cas de discordance, il vaut donc mieux se fier au pic de vitesse qu’à la surface aortique, compte tenu d’une meilleure reproductibilité et d’un impact pronostique plus fort pour le premier. Le contexte clinique (présence de symptômes), le degré de calcification valvulaire et le taux de BNP sérique sont également d’une aide précieuse.

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