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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 07 juin 2011Lecture 9 min

FA et insuffisance cardiaque

N. LAMBLIN, CHRU de Lille

Ce cas clinique illustre une situation associant un premier épisode de fibrillation atriale (FA) et la découverte d'une insuffisance cardiaque (lC). En effet, il existe une grande variété de situations cliniques très différentes, tant la FA et l'IC sont devenues fréquentes. Fibrillation atriale et IC ne sont pas associées par un «hasard épidémiologique ». En effet, ces deux pathologies sont très intriquées au niveau de leurs facteurs de risque et au niveau physiopathologique, l'une compliquant souvent l'autre ou réciproquement. FA et IC sont parfois de découverte simultanée ou peuvent survenir successivement. Associées chez un même patient, elles interfèrent dans la prise en charge thérapeutique.

Observation   Monsieur B. est âgé de 54 ans, tabagique et traité pour une hypercholestérolémie. Il pèse 75 kg et mesure 1,72 m, la consommation quotidienne de boissons alcoolisées est à 50 gr/j. Alors qu'il présentait une dyspnée depuis 3 ou 4 semaines, il est hospitalisé en janvier 2008 pour une dyspnée de stade IV de la New York Heart Association (NYHA) associée à des œdèmes des membres inférieurs. À l'arrivée, Monsieur B est apyrétique, il n'a jamais présenté de douleurs thoraciques, l'examen clinique confirme une décompensation cardiaque globale sans signe de choc, les bruits du cœur sont rapides (170/min) et irréguliers, le reste de l'examen est sans particularité. L'électrocardiogramme confirme la FA rapide, les QRS sont fins de morphologie normale, la repolarisation présente une négativation des ondes T dans les dérivations apico-latérales. La radiographie du thorax révèle une cardiomégalie, une surcharge vasculaire franche et un syndrome alvéolaire modéré bilatéral prédominant aux bases. Biologiquement, la numération sanguine est normale, la fonction rénale et l'ionogramme sont normaux, il n'existe pas de syndrome inflammatoire, pas d'élévation de la troponine, le taux plasmatique de BNP qui est dosé (malgré un tableau clinique très évocateur) est à 1034 pg/ml.   Peu après son arrivée en soins intensifs de cardiologie, l'échocardiographie montre un ventricule gauche dilaté, une hypo- kinésie globale avec fraction d'éjection (FEVG) mesurée à 25 %, il n'y a pas de valvulopathie significative, l'oreillette gauche est modérément dilatée, les cavités droites sont sans particularité avec une veine cave inférieure congestive. Compte tenu de la fréquence ventriculaire en FA, l'examen est complété par voie transœsophagienne (ETO) qui ne retrouve pas de thrombus intracavitaire.   Commentaires   Fibrillation atriale (FA) et insuffisance cardiaque (IC) sont 2 situations cardiologiques qui deviennent particulièrement fréquentes. Toutes deux sont très associées au vieillissement de la population. De plus, ces 2 pathologies sont étroitement liées :   1) elles partagent un grand nombre de facteurs de risque : hypertension artérielle, obésité, diabète, apnée du sommeil, maladie coronaire ; 2) la FA est une complication habituelle de l'IC en raison du remodelage des oreillettes secondaire à l'élévation chronique des pressions de remplissage des ventricules ; 3) ainsi, la prévalence de la FA est souvent proportionnelle à la sévérité de l'IC (figure 1) ; 4) enfin, une authentique dysfonction ventriculaire gauche peut-être secondaire à une FA rapide évoluant depuis quelques semaines, on parle alors de myocardiopathie rythmique. Si la FA peut être, comme dans ce cas clinique découverte simultanément à l'IC, souvent elle vient compliquer une IC préexistante. La FA constitue alors un élément pronostique important, puisque associée à une augmentation du risque de décompensation, du nombre des hospitalisations et de la mortalité, par rapport aux patients IC en rythme sinusal. En revanche, il n'a jamais pu être démontré à ce jour, si la FA était le marqueur d'une IC plus sévère ou si la FA participait à l'aggravation de l'IC (donc un « facteur» de risque).   Figure 1. Prévalence de la FA dans les différents essais thérapeutiques, en fonction de la sévérité de l’IC (score NYHA).    La prise en charge thérapeutique de la FA dans le cas d'une IC est synthétisée dans les dernières recommandations européennes de l'IC publiées en 2008.   En cas d'insuffisance cardiaque aiguë ou décompensée, le premier objectif est d'améliorer les symptômes et de stabiliser les conditions hémodynamiques.   Ainsi, en dehors des urgences vitales (choc cardiogénique, souffrance ischémique), la prise en charge de la FA est plutôt « séquentielle », reposant d'abord sur le traitement symptomatique de la décompensation cardiaque associé au traitement antithrombotique indispensable. Ce dernier repose sur les anticoagulants. En effet, l'existence d'une IC (quelle que soit la FEVG) constitue un des critères du score de CHADS2 (recommandations lors d'un score(3) 2 : AVK en l'absence de contre indication formelle). De plus, l'IC décompensée est une situation où le risque de thrombus intra-cavitaire est plus élevé. Il est donc souvent recommandé de débuter une anticoagulation rapidement efficace par une héparinothérapie, relayée par un anticoagulant oral de type anti-vitamine K.   En parallèle au traitement anticoagulant, en cas de FA rapide, il est d'abord recommandé de ralentir la fréquence ventriculaire. Lorsque la FEVG est altérée, il est classique de privilégier la digoxine. Cependant, de plus en plus, la digoxine est à réserver aux patients aux conditions hémodynamiques instables ou aux FEVG nettement altérées. En effet, uniquement en cas d'amélioration rapide des symptômes d'IC décompensée et en l'absence de signe de bas débit, une introduction précoce d'une faible dose de bêtabloquant peut être considérée (recommandation de classe l, niveau de preuve B). Les inhibiteurs calciques « bradycardisants » sont contre-indiqués.   Concernant le traitement de la FA, seuls le choc cardiogénique, la persistance de la congestion pulmonaire et/ou d'une fréquence ventriculaire très rapide malgré les premières mesures thérapeutiques, constituent une urgence à régulariser la FA.   Le traitement est alors une cardioversion médicamenteuse ou par choc électrique externe, après une ETO lorsque la FA date de plus de 48 heures sans anticoagulation efficace ou non datable de façon fiable. Dans les autres cas, se pose la question de la régularisation de la FA ou de son respect avec contrôle de la fréquence ventriculaire (stratégies « contrôle du rythme» versus « contrôle de fréquence»). Cette question est importante car il est prouvé que la FA participe à l'altération du débit cardiaque en cas d'IC et est associée à une aggravation du pronostic. Or, il n'existe pas, à ce jour, d'étude ayant montré une supériorité de la stratégie contrôle du rythme par rapport à une stratégie de contrôle de fréquence. En d'autres termes, soit la FA n'est qu'un marqueur (et non pas un « facteur») de risque de l'IC dont la correction ne modifie pas l'évolution de l'IC ; soit nous ne disposons pas actuellement de moyens suffisamment efficaces et/ou sans excès d'effets indésirables (effets proarythmiques, inotropes négatifs et complications extra-cardiaques des anti-arythmiques actuels). Cette diapositive vous montre l'exemple le plus récent : le résultat du critère principal de l'étude A trial Fibrillation and Congestive Heart Failure (AF-CHF) comparant ces 2 stratégies chez 1376 patients en stade II à IV de la NYHA et avec FEVG ≤ 35 % (figure 2).   Figure 2. Étude AF-CHF. Résultat du critère de jugement principal (mortalité cardiovasculaire) en fonction de la stratégie contrôle du rythme ou contrôle de fréquence.   Lorsque le choix se porte sur une tentative de maintien du rythme sinusal, le seul antiarythmique utilisable à ce jour chez les patients IC et/ou avec une altération de la fraction d'éjection, est l'amiodarone (classe l, niveau C).   Chez les patients IC restant symptomatiques avec un premier épisode de FA ou une FA persistante, une cardioversion électrique doit être considérée (classe lIa, niveau C). Une cardioversion pharmacologique par amiodarone est une alternative raisonnable s'il n'y a pas d'urgence à restaurer un rythme sinusal (classe lIa, niveau A). Les procédures invasives d'ablation, reposant sur des cathéters (isolation des veines pulmonaires) peuvent être considérées chez des patients réfractaires mais n'ont pas été évaluées par des essais thérapeutiques (classe lIa, niveau C).   Enfin, que le choix ait été de régulariser la FA ou de ralentir la fréquence ventriculaire, il me paraît indispensable de réévaluer l'IC quelques temps après la stabilisation hémodynamique, au minimum par un contrôle de la FEVG et un dosage du BNP (ou du NtproBNP) et en fonction, par un bilan plus complet comportant une mesure de la consommation maximale d'oxygène lors d'une épreuve d'effort avec mesures des échanges gazeux (mesure du pic de V02 et de la pente de VE/VC02).   Suite du cas clinique et conclusion (provisoire ?)   Suite à l'ETO, Monsieur B. a eu une tentative de régularisation médicamenteuse, qui n'a pas permis le rétablissement d'un rythme sinusal mais un ralentissement de la fréquence ventriculaire. Le bilan étiologique a comporté une coronarographie diagnostique qui n'a montré qu'une plaque non significative de l'interventriculaire antérieure. Après équilibration (disparition des signes congestifs et dyspnée de stade II NYHA), Monsieur B. sort sous traitement habituel de l'IC et amiodarone 200 mg/j ; il est vu toutes les 2 semaines en consultations pour l'adaptation de son traitement (en particulier l'augmentation du bêtabloquant). Environ 3 mois après la dose maximale, le bilan de contrôle montre un patient asymptomatique pour les activités effectuées, un rythme sinusal, une fonction rénale et un ionogramme normaux, un BNP à 34 pg/ml, une FEVG à 55 % en échocardiographie (méthode de Simpson) et à 65 % en isotopes et un pic de V02 est à 22,8 ml/min/kg (75 % de la valeur théorique). Le traitement de l'IC est poursuivi et l'amiodarone interrompue. Seize mois après, lors d'un contrôle systématique, Monsieur B. est toujours asymptomatique et abstinent du tabac et de l'alcool, le rythme est de nouveau en fibrillation atriale avec une fréquence ventriculaire d'environ 110/min ; en échographie, le ventricule gauche reste non dilaté avec une FEVG à 64 %. Il est donc difficile de conclure concernant l'étiologie et chacun se fera son opinion entre une myocardiopathie rythmique, toxique secondaire à l'alcool ou primitive « en rémission» grâce aux bêtabloquants. De même, faut-il reprendre l'amiodarone pour tenter de restaurer un rythme sinusal ou respecter cette FA parfaitement tolérée ?   Le futur : place potentielle de la dronédarone lors d'une IC ?   À ce jour, deux essais thérapeutiques permettent d'entrevoir la place que pourrait avoir la dronédarone dans le traitement de la FA chez le patient IC. La première étude, ANDROMEDA (Kober L et al. New Engl J Med 2008) a randomisé en double aveugle versus placebo, des patients en rythme sinusal, hospitalisés pour IC (inaugurale ou aggravée), en stade III ou IV de la NYHA le mois précédant l'hospitalisation et avec à l'échocardiographie une FEVG ≤ 35 % (en réalité, un score de contraction segmentaire ou WMSI ≤ 1.2). Les critères d'exclusion comprenaient entre autres : un oedème pulmonaire dans les 12 dernières heures, un infarctus de moins de 7 jours, les myocardites aiguës, les cardiomyopathies obstructives, les patients relevant d'une chirurgie ou d'une revascularisation rapide, une bradycardie < à 50/minute et les troubles de conduction sino-atriaux ou atrio-ventriculaires de haut grade sans stimulateur cardiaque. Les patients débutaient le traitement au plus tard au 7e  jour après l'hospitalisation. Le critère de jugement principal était un critère composé des décès toutes causes et des hospitalisations pour IC. L'étude a randomisé 627 patients (sur les 2 402 évalués) sur une période de 7 mois environ avant d'être interrompue prématurément par le comité de sécurité (l'étude était prévue pour durer 2 ans, avec un suivi minimum de 12 mois pour chaque patient). En effet, la surveillance des événements a montré en cours d'étude, une augmentation de la mortalité toute cause chez les patients traités par la dronédarone (HR = 2,13 [1,07-4,25], p = 0,03). Le critère principal n'était pas modifié de façon significative mais parmi les critères secondaires pré-spécifiés, le groupe traité par dronédarone, a présenté au cours du suivi plus de « ré-hospitalisations» de cause cardiovasculaire, essentiellement par aggravation de l'IC (p = 0,02). Ainsi, cette étude ayant évalué la dronédarone sur une population certes très fragile, négative pour le médicament, a l'avantage de bien baliser son utilisation potentielle et de fixer une « ligne rouge à ne pas franchir».   L'autre étude, ATHENA (Hohnloser S et al. New Engl J Med 2009), présentée plus en détails ailleurs, ne s'intéressait pas spécifiquement aux patients IC. Les patients ont été inclus pour FA paroxystique ou persistante dans les 6 mois précédents l'inclusion et au moins 1 des critères suivants : âge ≥ 70 ans, hypertension artérielle sous bithérapie, diabète, antécédent d'accident vasculaire cérébral (transitoire ou constitué) ou d'emboles systémiques, diamètre de l'oreillette gauche ≥ 50 mm, FEVG ≤ 40 %. Les critères d'inclusion ont ensuite été un peu adaptés : soit patient ≥ à 75 ans, soit ≥ à 70 ans + au moins 1 des facteurs précédents. Ne pouvaient être inclus, les patients avec une FA permanente, hémodynamiquement instables ou avec une décompensation cardiaque dans les 4 semaines précédentes, en stade IV de la NYHA, une myocardite aiguë, une chirurgie lourde programmée, une bradycardie < à 50 /minute et les troubles de conduction sino-atriaux ou atrio-ventriculaires de haut grade sans stimulateur cardiaque. Cette étude a montré une diminution relative significative de 24 % (7,5 % en absolu) du critère de jugement principal composé des hospitalisations de causes cardiovasculaires et des décès toutes causes. Concernant l'IC, à l'inclusion, seuls 21 % des patients avaient un antécédent d'IC en stade II ou III de la NYHA, 12 % avaient une FEVG < 45 % dont 4 % < à 35 %.   Ainsi, la dronédarone sera contre-indiquée en cas d'IC récemment découverte ou aggravée (stade III ou IV de la NYHA dans le mois précédent), chez les patients hémodynamiquement instables ou en stade IV de la NYHA, et avec une FEVG ≤ 35 %. Egalement, mais par précaution (manque de données), la dronédarone ne sera pas utilisée chez les patients stables mais chez ceux ayant présenté un épisode d'IC de stade III NYHA entre 1 et 3 mois auparavant ou avec une FEVG < 35 %.

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