Thrombose
Publié le 15 fév 2005Lecture 12 min
Faut-il traiter les thromboses surales après chirurgie orthopédique ?
J.-P. LAROCHE, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier et M. RIGHINI, hôpital cantonal de Genève
La question de la recherche des thromboses surales ainsi que de leur traitement reste actuellement très controversée dans certains pays européens, comme les Pays-Bas, ainsi qu’au Canada et aux États-Unis. L’option française est claire et sans ambiguïté : les thromboses surales symptomatiques sont recherchées et anticoagulées pendant une période de 6 à 12 semaines.
Il est toutefois important de rappeler que cette attitude n’est pas consensuelle et que, dans de nombreux pays, les thromboses distales ne sont ni recherchées ni traitées systématiquement.
Visualisation des différentes veines du mollet (coupe face antéro-interne mollet).
La chirurgie orthopédique est une grande pourvoyeuse de throm-bose veineuse profonde (TVP) puisqu’en l’absence de prévention de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) après prothèse de hanche (PTH) ou de genou (PTG), on retrouve :
• une TVP surale dans 40 à 80 % des cas ;
• une TVP proximale dans 10 à 20 % des cas ;
• une embolie pulmonaire (EP) symptomatique dans 4 à 10 % des cas ;
• 0,5 à 5 % de décès par EP.
Ces chiffres situent bien le problème et justifient pleinement les mesures de prévention systématique de la MTEV en orthopédie.
Dans cet article, nous aborderons, dans un premier temps, la définition de la TVP surale, sa physiopathologie et son incidence actuelle en orthopédie. Dans un deuxième temps, nous différencierons l’attitude thérapeutique en fonction du caractère symptomatique ou asymptomatique des TVP distales, les limites des outils diagnostiques et nous tenterons de répondre à la question : faut-il rechercher et traiter les TVP surales après une chirurgie orthopédique ?
Qu’est-ce qu’une TVP surale ?
On appelle thrombose surale une thrombose veineuse qui intéresse soit les veines jambières (tronc tibio-péronier, tibiale antérieure, tibiale postérieure, fibulaire), soit les veines musculaires du mollet (veines jumelles ou gastrocnémiennes, veines soléaires) (figure 1). À noter qu’une TVP surale peut concerner à la fois les veines jambières et musculaires.
Figure 1. Veines surales (profondes).
Le distinguo entre TVP jambière et musculaire serait théoriquement important à faire, mais la signification exacte de ces deux localisations n’est pas encore très claire.
Il faut noter que les TVP surales jambières concernent essentiellement les veines fibulaires et tibiales postérieures ; les veines tibiales antérieures ne sont qu’exceptionnellement atteintes (< 1 % des cas). Un examen échographique systématique limité aux niveaux fibulaire et tibial postérieur est donc, en principe, bien adapté dans la très grande majorité des cas.
Devenir d’une TVP surale
Toutes les TVP proximales des membres inférieurs naissent au niveau du mollet et donc au niveau sural. Le taux d’extension des thromboses distales au niveau proximal n’est pas connu avec précision et la littérature apporte des données conflictuelles avec des taux d’extension variables de 1,5 à 20 % ; 4 à 20 %, voire 30 % des TVP surales vont s’étendre en proximalité en l’absence de traitement. L’embolisation au niveau pulmonaire à partir d’une TVP distale est certainement un événement rare, mais qui a toutefois été relativement bien documenté dans des observations cliniques.
Lors d’une chirurgie orthopédique comme la mise en place d’une prothèse de hanche, le taux de TVP proximale ou distale phlébographique en absence de prophylaxie est de 50 % et la plupart ont une évolution spontanément favorable.
Le risque d’extension de la TVP est plus important si le thrombus initial est volumineux et s’il existe un facteur de risque persistant comme l’immobilisation. Le risque de développer une TVP en postopératoire est maximum dans les 2 premières semaines et reste élevé durant 2 à 3 mois. En orthopédie, Barré et Mismetti ont montré que les TVP phlébographiques (asymptomatiques) naissent en cas de PTH dans 75 % des cas entre le 4e et le 6e jour postopératoire et 25 % à J13. En revanche, pour les PTG, les TVP naissent en per- opératoire.
TVP distale symptomatique ou asymptomatique : un problème différent
Il faut bien différencier les TVP surales symptomatiques des TVP surales asymptomatiques. La recherche systématique d’une TVP asymptomatique proximale et/ou surale n’est pas recommandée (Consensus ACCP, Chest 2001), mais est malheureusement souvent pratiquée, voire exigée, par certains orthopédistes.
La détection phlébographique des TVP asymptomatiques en orthopédie est le principal critère utilisé dans les protocoles de recherche sur les anticoagulants afin d’objectiver leur efficacité.
Il est toutefois important de signaler que la TVP distale asymptomatique sert comme critère de jugement intermédiaire pour évaluer et comparer de la manière la plus objective possible deux traitements prophylactiques, par exemple.
Toutefois, on ne peut extrapoler cette pratique clinique quotidienne.
Prévention de la MTEV dans le contexte orthopédique
La prévention de la MTEV en orthopédie est recommandée pour une durée de 35 jours. Ce consensus est basé sur des études prospectives qui ont objectivé la persistance du risque de TVP pour cette période et sur la réduction des TVP asymptomatiques lorsque la prévention de la MTEV était de 35 jours.
Concernés par le coût très important d’une prophylaxie de 35 jours, certains experts ont proposé de réaliser un écho-Doppler systématique en postopératoire après PTG ou PTH à J10 pour diagnostiquer les TVP distales asymptomatiques. En cas d’examen négatif, la prophylaxie serait stoppée. Il s’agit d’une idée intéressante qui permettrait, dans un quart des cas, de ne pas poursuivre la prophylaxie et donc de réduire son coût. Toutefois, cette attitude, et surtout sa sécurité, n’ont pas été validées par des études appropriées.
Fiabilité de l’écho-Doppler dans les TVP distales
Les performances diagnostiques de l’écho-Doppler pour les TVP distales sont grandement discutées. Dans une métaanalyse de Kearon et al (1998), une excellente spécificité a été retrouvée alors que la sensibilité était de 60 % uniquement. Cela explique pourquoi certains centres préfèrent se baser uniquement sur l’échographie proximale qui a une sensibilité et une spécificité excellentes. L’échographie limitée au niveau proximal peut d’ailleurs être répétée, ce qui permet de détecter une éventuelle extension d’une TVP distale non diagnostiquée lors du premier examen proximal. Toutefois, le rendement du second examen échographique est limité et le fait de réaliser deux échographies est particulièrement coûteux.
Plus récemment, Elias, dans un travail prospectif, a validé la recherche des TVP asymptomatiques en écho-Doppler versus phlébographie en postopératoire en orthopédie. De ce travail, il ressort que l’écho-Doppler peut tout à fait se substituer à la phlébographie pour les études cliniques à venir. Il faut toutefois signaler que ces excellents résultats ont été obtenus dans deux centres très spécialisés, avec un matériel échographique de pointe et qu’il n’est pas sûr que ces résultats remarquables de l’écho-Doppler au niveau distal puissent être atteints en pratique clinique quotidienne. Il faut noter que, dans cette étude, malgré la présence d’une prévention, la proportion de TVP asymptomatiques reste élevée : 33 % dont 50 % de surales.
Quelle est la signification exacte des TVP surales asymptomatiques ?
S’agit-il d’un marqueur de risque de la MTEV et alors pourquoi ne pas les traiter ? S’agit-il d’un phénomène que l’on pourrait qualifier de physiologique ? Existe-t-il une différence entre TVP surale asymptomatique jambière ou musculaire en ce qui concerne leur devenir ? L’anticoagulation préventive est-elle la bonne, voire la seule réponse ? Enfin, en recherchant ces TVP asymptomatiques rendons-nous service au patient ?
Plusieurs études seront nécessaires pour clore ce débat récurrent.
Pour l’instant, on peut affirmer qu’en pratique quotidienne, la recherche des TVP asymptomatiques en orthopédie est inutile, par conséquent leur traitement aussi.
Cela est conforté par un travail récent de Schmidt. La détection systématique des TVP distales en écho-Doppler après chirurgie orthopédique à J10 ne réduit pas de manière significative la fréquence des TVP et EP à 35 jours.
TVP surales symptomatiques
Incidence actuelle des TVP surales symptomatiques en orthopédie
Elle est difficile à évaluer avec précision. Depuis l’utilisation systématique de la prophylaxie de la MTEV par les HBPM en postopératoire, l’incidence des TVP surales symptomatiques est comprise entre 0,1 et 1 % en se basant sur les études récentes qui ont permis de valider le fondaparinux (Arixtra®) ou le ximélagatran (Exanta®) en orthopédie.
Qu’est-ce qu’une TVP surale symptomatique en orthopédie ?
Là encore, cette question est difficile. Nous allons cependant tenter de cerner ce qui peut correspondre à une TVP surale symptomatique en postopératoire après PTG ou PTH, tout en sachant que l’expression clinique d’une TVP, dans cette circonstance, est très aléatoire et que la frontière asymptomatique/symptomatique reste floue :
• l’apparition d’un œdème au niveau d’un mollet ou son aggravation ;
• une fièvre inexpliquée ;
• une suspicion d’EP ou une EP doit faire rechercher une TVP périphérique qui sera alors identifiée comme TVP symptomatique.
Comment rechercher une TVP surale en orthopédie ?
L’évaluation de la probabilité clinique empirique ou par le score de Wells (tableau) a largement fait ses preuves dans la suspicion de TVP dans le contexte ambulatoire. Toutefois, son utilité en postopératoire est fortement limitée car les douleurs locales, la tuméfaction du membre inférieur, voire un léger œdème, sont fréquemment présents. Il est, par contre, capital de se rappeler que la situation « orthopédique » est à très haut risque veineux.
Les D-dimères n’ont pas leur place dans cette situation. En effet, même si la sensibilité de certains tests est excellente, leur spécificité est limitée dans le contexte postopératoire, ce qui limite fortement leur utilité clinique. Ainsi, les D-dimères sont constamment augmentés en postopératoire et, malgré une sensibilité proche de 98 %, la probabilité d’avoir un taux < 500 ng/ml est très faible. Un taux > 1 000 ng/ml est courant après chirurgie orthopédique et n’a donc aucune valeur diagnostique.
L’écho-Doppler (figure 2) est l’outil diagnostique à privilégier dans la recherche d’une TVP en postopératoire, notamment surale. Il s’agit d’un examen exhaustif, c’est-à-dire comparatif, symétrique, du réseau sural à la veine cave inférieure.
Figure 2. TVP veines tibiales postérieures.
L’examen des veines surales requiert une méthodologie particulière d’autant plus qu’en chirurgie orthopédique, l’accessibilité veineuse peut s’avérer délicate. Idéalement, si cela est possible, l’examen ultrasonique doit être réalisé pour les axes distaux, jambe pendante, le patient assis au bord du lit. Si cette position est impossible, l’examen se fera en décubitus dorsal. Afin d’optimiser l’écho-Doppler en distalité, il est vivement conseillé d’utiliser des sondes basses fréquences « abdominales », de privilégier le Doppler puissance et les compressions en coupes transversales.
Rappelons que le diamètre antéro-postérieur des veines thrombosées sous compression est à noter. En ce qui concerne ce paramètre échographique, une étude française (J.-L. Bosson) a analysé les diamètres veineux sous compression de 3 767 TVP des membres inférieurs.
Au niveau distal, il paraît raisonnable de ne considérer comme thrombose que les segments veineux qui se révèlent de taille > 5 mm lors du test de compression, sous réserve d’une validation prospective de ce critère qui reste à réaliser. L’adoption d’un tel critère minimal de diamètre a pour but la limitation du nombre d’examens faussement positifs au niveau distal, qui va jusqu’à 40 % dans certaines séries et l’anticaogulation de thromboses ayant davantage de chances d’avoir une signification clinique.
L’écho-Doppler couleur est actuellement un examen fiable au niveau sural, sa sensibilité et sa spécificité étant de l’ordre de plus de 90 %. L’apparition sur le marché d’appareils écho-Doppler portatifs permet une pratique aisée de cet examen directement au lit du patient.
Traitement
Faut-il traiter une thrombose surale après chirurgie orthopédique ?
S’agissant de TVP symptomatiques, la réponse est on ne peut plus claire : OUI
Si le traitement des TVP distales en général est à l’origine de débats dans la littérature, l’attitude française est pour le traitement de ces TVP distales symptomatiques et ce, quelles que soient les circonstances de survenue (médicales ou chirurgicales). Une étude prospective est annoncée dans les mois à venir, étude qui va comparer le devenir de TVP distales avec ou sans traitement.
En présence d’une TVP distale symptomatique et d’un diagnostic échographique de certitude avec un diamètre de compression transverse > 5 mm, nous pensons que le traitement doit être mis en place. La survenue d’une TVP distale symptomatique est toujours un événement anormal ; le risque d’extension en proximalité est relativement mal connu mais probablement non négligeable.
De plus, toute TVP distale et ce, quel que soit le facteur déclenchant, peut être le premier signe d’une thrombophilie ou d’un cancer. Certes, le contexte postopératoire en chirurgie orthopédique est particulier et généralement aucun bilan étiologique ne sera nécessaire ultérieurement puisque le facteur déclenchant est bien identifié, qu’il est transitoire et que nous sommes dans une situation à risque veineux établi.
TVP surale symptomatique postopératoire en orthopédie : questions en suspens
- Quelle est la définition exacte d’une TVP symptomatique surale en orthopédie ?
- Existe-t-il une différence entre TVP surale jambière et musculaire ?
- Le traitement anticoagulant, de l’une comme de l’autre, est-il indiqué dans tous les cas ?
- À partir du moment où l’anticoagulation est décidée, quelle en est sa durée ?
- La durée de l’anticoagulation doit-elle être la même en cas de TVP jambière ou musculaire ?
Nous n’avons pas toutes les réponses à ces questions ; il est urgent que des études prospectives soient mises en place afin d’y répondre.
Comment traiter ?
La seule question qui reste en suspens est celle de la durée du traitement anticoagulant : entre 6 semaines et 12 semaines.
Pour les TVP distales, en dehors du contexte orthopédique, l’étude DOTAVK a bien montré qu’une durée d’anticoagulation de 6 semaines était aussi efficace qu’une anticoagulation de 12 semaines.
L’attitude actuelle la plus souvent adoptée en matière de TVP distale symptomatique dans le contexte de postintervention orthopédique ne se base sur aucune étude de qualité mais est la suivante :
• HBPM à dose curative,
• relais précoce par un anticoagulant oral pour une durée totale de 3 mois avec un INR ciblé entre 2 et 3.
La marche active immédiate avec une contention élastique de classe 2 est la règle. Il faudra toujours tenir compte du risque hémorragique de l’anticoagulation, d’autant plus que la population « orthopédique » est relativement âgée.
Certains font une différence pour le traitement entre TVP surale musculaire et TVP surale jambière en termes de durée du traitement, les TVP musculaires pouvant probablement être anticoagulées pour une durée plus courte, mais à ce jour aucune étude n’a apporté de réponse précise à ce sujet.
Un papier récent de McDonald a porté sur l’évaluation du taux d’extension en écho-Doppler des TVP musculaires isolées en l’absence de traitement. Le taux d’extension en proximalité (veine poplitée) des TV distales isolées (musculaires) est de 3 % seulement, toutes survenues dans les 15 jours suivant le diagnostic. Il n’a pas été constaté de décès liés à la MTEV. Dans cette étude, seul le cancer est un facteur prédictif d’extension. Le contexte médical ou chirurgical de la population étudiée n’est pas spécifié. Ce travail en appelle d’autres afin d’avoir une attitude consensuelle face à ce problème médical quotidien.
Pour la pratique, on retiendra
En présence d’une évolution anormale ou inhabituelle après une chirurgie orthopédique, il est souhaitable de pratiquer un écho-Doppler des membres inférieurs. Cela correspond à la notion de TVP symptomatique.
Par opposition, la recherche systématique d’une TVP proximale ou distale postopératoire n’est pas recommandée.
La probabilité clinique empirique ou par le score de Wells est difficile à appliquer dans le contexte postopératoire immédiat. De toute façon, il s’agit d’un contexte à haut risque.
L’utilisation des D-dimères plasmatiques est inutile dans ce contexte.
L’écho-Doppler couleur est l’examen de référence sous couvert d’une méthodologie rigoureuse. Il s’agit d’un examen exhaustif ; l’utilisation de sondes de basse fréquence est souhaitable ; le Doppler puissance et le Doppler pulsé sont d’une grande aide ; l’examen ne se résume pas à un simple test de compression ; la mesure du diamètre antéro-postérieur sous compression réalise une approche semi-quantitative utile.
Une fois un diagnostic de certitude posé, le traitement par HBPM est à instituer avec un relais précoce par un anticoagulant oral en l’absence de contre-indication avec évaluation du risque hémorragique (population âgée en orthopédie)
La marche active immédiate est la règle avec une contention de classe 2 diurne.
La durée de l’anticoagulation est comprise entre 6 et 12 semaines, 12 semaines étant la règle.
Les TVP musculaires (surales ou jumelles) peuvent probablement bénéficier d’une durée d’anticoagulation plus courte et qui ne dépasse pas la durée de prophylaxie habituelle post-PTH ou PTG (35 jours).
La survenue d’une TVP distale postchirurgie orthopédique ne doit pas suspendre la rééducation.
S’agissant d’un premier épisode de TVP, il n’y a pas lieu de réaliser une enquête étiologique dans la mesure où le facteur déclenchant est identifié et qu’il est réversible.
En cas de TVP récidivantes, une enquête étiologique guidée par le contexte clinique pourra être décidée.
Devant toute suspicion clinique d’embolie pulmonaire en postopératoire, un écho-Doppler doit être réalisé rapidement ; s’il objective une TVP, y compris surale, le traitement anticoagulant peut être débuté ; le diagnostic d’EP est alors retenu.
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