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Études

Publié le 29 mar 2011Lecture 11 min

Études ROCKET AF et RE-LY : peut-on les comparer ?

F. DIEVART, Dunkerque

Les études ROCKET AF et RE-LY ont comparé de nouveaux anticoagulants à une antivitamine K (AVK) dans la fibrillation auriculaire (FA). Cet article a pour objectif de rapporter plusieurs des éléments différenciant ces deux études.

L'arrivée de nouveaux anticoagulants a conduit à un vaste programme d’essais thérapeutiques évaluant leur apport dans la FA. Ces études ont comme principe de comparer ces nouvelles molécules au traitement de référence : une AVK, en l’occurrence la warfarine principalement utilisée dans les pays anglo-saxons. Le groupe thérapeutique des AVK a au moins deux particularités : - son effet sur la coagulation doit être surveillé par un test biologique, l’INR, et historiquement, la majorité des essais thérapeutiques réalisés avec les AVK ont été conduites en ouvert permettant un contrôle estimé adapté des patients sous AVK ; - le taux d’arrêt de traitement est élevé, du fait des nombreuses contraintes qu’il impose et du risque hémorragique réel ou craint. Plusieurs protocoles Les chercheurs établissant les protocoles des essais comparant nouveaux anticoagulants et warfarine vont donc avoir plusieurs choix de méthodes prenant en compte les spécificités d’une comparaison comprenant un traitement efficace ayant les particularités décrites précédemment. Le premier choix est celui du double aveugle (double blind) ou non : en cas de double aveugle, il y a en effet nécessité d’un double placebo (double dummy) en sus des traitements comparés et de la fourniture de faux INR aux patients recevant le nouvel anticoagulant (afin de préserver réellement le double aveugle), l’AVK ou son placebo étant ajustés en fonction de l’INR. Cette modalité est plus fiable méthodologiquement en ce sens qu’elle garantit mieux la comparaison des effets thérapeutiques de l’AVK et du traitement à l’étude. Elle est aussi plus contraignante en termes de coût et de logistique. Les investigateurs de l’étude RELY ont souhaité réaliser une étude en ouvert selon le mode PROBE (Prospective, Randomized, Open, Blind Evaluation) faisant que les résultats sont analysés par un comité d’adjudication indépendant et ne connaissant pas le groupe dans lequel était inclus le patient analysé. L’étude Rocket AF a été conduite en double aveugle. Le deuxième choix est celui entre protocole d’équivalence, de supériorité, ou de non-infériorité avec définition obligatoirement préalable des écarts admis comme garantissant une quantité définie de l’effet du traitement de référence. Enfin, un troisième choix important est celui de la population analysée pour rendre compte des résultats : choix de l’intention de traiter, prenant en compte tous les patients inclus, (et dans ce cas nécessité de définir la façon dont seront pris en compte les perdus de vue) ou choix d’une population sélectionnée au sein de la population incluse et analyse des résultats en per-protocole. Analyse en intention de traiter versus analyse en per protocole    Une analyse en intention de traiter consiste à prendre en compte dans l’analyse des résultats tous les patients inclus dans une étude, quel que soit le groupe initial dans lequel ils ont été randomisés et quel que soit leur devenir, leur observance au traitement ou leur changement de groupe thérapeutique en cours d’étude. Cette attitude est justifiée au plan méthodologique pour préserver la validité de la randomisation aléatoire initiale et préserver la validité de l’hypothèse statistique initiale. Elle est justifiée sur le plan clinique pour préserver la validité des conditions réelles de prescription, c’est-à-dire le choix initial de prescription qui prend en compte tout ce qui arrivera ensuite, et non pas uniquement les patients chez qui l’on avait l’intention de proposer un traitement et qui l’ont effectivement pris. Une analyse per protocole consiste à prendre en compte dans l’analyse des résultats d’une étude les patients qui ont suivi le traitement jusqu’à un certain degré et selon le groupe de randomisation initial. Les auteurs d’une étude peuvent choisir une définition de ce groupe en fonction de plusieurs critères. Un patient qui arrête son traitement ou change de groupe en cours d’étude peut ainsi ne pas être pris en compte dans ce type d’analyse, ce qui tend à favoriser le traitement à l’étude, car ces devenirs ne sont alors pas pris en compte comme ce qu’ils devraient être, c’est-à-dire comme des échecs du traitement. L’analyse per protocole est assez souvent choisie et justifiée par des cliniciens plutôt que par des méthodologistes avec l’argument suivant : si je prends en charge ce jour, un patient qui reçoit déjà tel traitement, ai-je un intérêt à lui changer ce traitement ou à le maintenir ? L’analyse per protocole donne un élément de réponse à cette question en fournissant un résultat ne concernant que les patients qui continuent de recevoir ce traitement plutôt qu’un autre mais elle n’indique pas l’effet thérapeutique réel du traitement. Dans l’étude ROCKET-AF, il a été choisi trois types d’analyse selon les définitions suivantes : - analyse per protocole : elle a compris tous les patients à l’exception de ceux pour lesquels il a été constaté une déviation majeure du protocole, incluant notamment une observance du traitement à l’étude de moins de 60 % ; - analyse en intention de traiter : elle a compris tous les patients randomisés et suivis jusqu’à la fin de l’étude (soit le 28 mai 2010) ; - analyse sous traitement : elle a inclus tous les événements survenus sous les traitements à l’étude et jusqu’à deux jours après l’arrêt du traitement à l’étude. Dans l’étude RE-LY, l’analyse des résultats a été faite en intention de traiter (ITT) tant pour évaluer la non infériorité et la supériorité du dabigatran. Les choix qui seront fait vont influer sur le niveau de preuve (ou risque d’erreur) du résultat obtenu. Les études RE-LY et ROCKET-AF Début 2011, nous disposons des résultats de deux études comparant la warfarine à un nouvel anticoagulant (tableau 1) : - l’étude RE-LY (Randomized Evaluation of Long-Term Anticoagulation Therapy), évaluant une antithrombine, le dabigatran, et dont les résultats ont été publiés en 2009. Cette étude a montré que le dabigatran à 110 mg en deux prises quotidiennes est non inférieur à la warfarine sur le critère principal évalué (incidence des AVC et des embolies systémiques) et que le dabigatran à 150 mg en deux prises quotidiennes est supérieur à la warfarine sur ce même élément d’évaluation : le dabigatran à 150 mg, en deux prises quotidiennes est donc supérieur à la warfarine pour prévenir les AVC et les embolies systémiques ; - l’étude ROCKET-AF (Rivaroxaban Once-daily oral direct factor Xa inhibition Compared with vitamin K antagonism for prevention of stroke and Embolism Trial in Atrial Fibrillation) évaluant un antiXa, le rivaroxaban à 20 mg en une prise quotidienne. Les résultats de cette étude ne sont pas encore publiés et nous ne disposons que du protocole publié de l’étude et des diapositives des résultats présentés lors des sessions scientifiques de l’American Heart Association téléchargeables sur le site de l’AHA. Selon ces données et en ne considérant que le type de résultat reconnu comme fiable dans un essai thérapeutique contrôlé, le rivaroxaban à 20 mg par jour n’est pas inférieur à la warfarine pour prévenir les AVC et les embolies systémiques. Les deux études démontrent que ces deux nouveaux traitements peuvent être proposés en place des AVK, elles ne permettent pas de juger de la valeur respective de ces deux traitements car les types de patients enrôlés et les méthodes de ces deux études ont été différents. Des populations différentes : oui mais… La population incluse dans ROCKET-AF était à plus haut risque d’AVC et la proportion de patients sous AVK plus importante que dans l’étude RE-LY. Les patients inclus dans l’étude ROCKET AF avaient un risque embolique plus élevé (CHADS2 moyen à 3,47) que ceux de l’étude RE-LY (CHADS2 moyen à 2,1), et plus de patients de l’étude ROCKET AF recevaient des AVK préalablement à leur inclusion que dans l’étude RE-LY (soit 62 % vs 49 %). Ce deuxième élément a son importance car il a été montré que plus le taux de prescription préalable d’AVK est important, plus le risque hémorragique est diminué (seuls les patients tolérant bien l’AVK le maintiennent) (tableau 2). Les caractéristiques différentes des patients inclus dans ces études se sont traduites par des différences d’évolution. Ainsi, le temps passé dans la cible d’INR a été de 64 % dans l’étude RE-LY et 67 % en valeur médiane. Il a été de 57,8 % en valeur médiane dans ROCKET AF, soit, pour cette étude un temps passé dans la fenêtre thérapeutique inférieur à celui des récents essais RE-LY, ACTIVE-W et SPORTIF III et V (ayant eu des valeurs médianes de ces paramètres de 64 à 68 %). Le taux d’accident embolique sous AVK a été de 1,69 % par an dans RE-LY et de 2,42 % par an dans ROCKET AF, le taux d’AVC ischémique sous AVK de 1,20 % par an dans RE-LY et de 1,64 % par an dans ROCKET AF, enfin, la mortalité totale sous AVK a été de 4,13 % par an dans RE-LY et de 4,91 % par an dans ROCKET AF. Méthodes différentes L’étude ROCKET AF a utilisé un protocole en double aveugle, double placebo. L’étude RE-LY a été conduite en ouvert concernant la randomisation entre la warfarine et le dabigatran, selon le schéma PROBE (indiquant que les événements étaient évalués en aveugle). La partie de l’étude concernant les patients randomisés pour recevoir le dabigatran, a été conduite en double aveugle après randomisation entre posologies faible et élevée de dabigatran. Dans l’étude RE-LY, la publication des résultats indique que l’analyse a porté sur l’ensemble de 18 113 patients inclus, elle a donc été conduite en intention de traiter. Dans l’étude ROCKET AF, il a été distingué plusieurs modes d’analyses des résultats. Le résultat principal a été fourni selon une analyse de non infériorité chez les patients sous traitement et donc pas en intention de traiter. Ce résultat a concerné 13 962 patients soit 97,9 % de la cohorte. Dans la présentation des résultats, la diapositive les relatant, indique, concernant le critère primaire d’efficacité « résultats sous traitement, per protocole » sans faire la différence entre ces deux critères, ce qui peut occasionner une certaine perplexité dans les commentaires de l’étude, les définitions de la population sous traitement et de celle per protocole n’étant pas identiques. Dans l’étude ROCKET AF, il était prévu que, si la non infériorité était démontrée par cette première approche, l’analyse se poursuivrait pour évaluer s’il y avait une supériorité du rivaroxaban sur la warfarine, dans une analyse prévue en per-protocole, puis ensuite en intention de traiter. L’analyse per-protocole a aussi concerné les 13 962 patients répondant aux critères définis par les auteurs (encadré). L’analyse en intention de traiter a concerné 14 171 patients (99,3 % de la cohorte). Nous disposons ainsi pour l’étude ROCKET AF de plusieurs modes d’analyse des résultats concernant l’efficacité : - la non-infériorité est démontré en per protocole et lors de l’analyse de supériorité, cette dernière n’est pas démontrée en intention de traiter. Dans cette analyse supplémentaire, il est alors indiqué que la non infériorité est démontrée en intention de traiter ; - la supériorité est démontrée en « per protocole, sous traitement » mais ne l’est pas en intention de traiter. En toute rigueur, l’étude ROCKET AF n’a qu’un seul résultat valide, celui en intention de traiter et ce résultat démontre que le rivaroxaban n’est pas inférieur à la warfarine pour prévenir les événements thromboemboliques imputables à la FA. Cette étude démontre aussi que le rivaroxaban n’est pas supérieur à la warfarine. Dans l’étude RE-LY, sur une population différente, l’analyse des résultats a montré que la posologie la plus élevée de dabigatran est supérieure à la warfarine pour prévenir les événements thromboemboliques associés à la FA et que la posologie la plus basse ne lui est pas inférieure. Intention de traiter et per protocole La façon dont a été présentée les résultats de l’étude ROCKET AF, et dans l’attente de leur publication, rend difficile leur analyse précise. En effet, par exemple, alors que la définition de la population per protocole et de la population sous traitement a été donnée comme différente, les résultats sont présentés avec la formule « per protocole, sous traitement » et le résultat principal concerne la population per protocole (figure). Figure. Les résultats principaux de l’étude ROCKET AF. Au-delà de cette remarque, l’étude ROCKET AF, offre l’occasion d’une comparaison entre les apports et limites des analyses per protocole, et une de ces limites a été abordée lors du congrès de l’American Heart Association par Elaine Hylek (Boston, USA). L’analyse en intention de traiter est la seule recevable car elle préserve tout à la fois la puissance de l’étude et les données de la randomisation initiale. L’analyse per-protocole en ne prenant en compte que les patients qui ont effectivement reçu et maintenu le traitement à l’étude crée des groupes différents en isolant au sein de l’étude une partie des patients sans effets secondaires et surtout en ne gardant que les bons observants. Cette définition illustre un des biais de l’analyse per protocole : si les traitements comparés ont des effets secondaires différents, les patients qui arrêteront un traitement dans un groupe seront différents de ceux qui l’arrêteront dans l’autre groupe et les groupes de l’analyse per protocole ne seront donc plus comparables. Mais un autre biais peut aussi être spécifique, non plus aux effets secondaires des traitements comparés mais à leur mode d’action : ainsi, dans ROCKET AF est comparé à la warfarine, un AVK d’action lente et prolongée plus de 3 jours, une molécule dont la demi-vie est de 3 à 15 heures, le rivaroxaban. En ne prenant en compte que les bons observants, la molécule d’action la plus courte pourra être favorisée dans l’analyse per protocole. Elaine Hylek, a d’ailleurs indiqué qu’il aurait peut-être été préférable, dans l’étude ROCKET AF, d’utiliser le rivaroxaban en deux prises par jour, ce qui aurait peut-être permis d’obtenir une supériorité du rivaroxaban par rapport à la warfarine, dans ce type de population peu observante. Enfin, cette étude suscite une autre remarque : dans l’analyse en intention de traiter, c’est de fait 99,3 % de la cohorte enrôlée qui a été analysée, alors que dans l’analyse per protocole, c’est 97,9 % de la cohorte enrôlée qui a été analysée. Il est ainsi possible de constater que la non prise en compte de seulement 1,4 % de la population peut modifier complètement le résultat d’une étude, le faisant passer d’une supériorité démontrée à une supériorité non démontrée. Cette différence de résultat lorsque ne sont pas pris en compte 1,4 % des patients peut être due a plusieurs éléments : diminution de la puissance, élimination de patients différents dans les deux groupes comparés, et donc perte de la comparabilité des groupes… C’est bien pourquoi, seule l’analyse en intention de traiter doit être prise en compte.

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