Publié le 04 juil 2006Lecture 7 min
Indications de l'échocardiographie dans le bilan des AVC ischémiques : pour qui et pour quoi ?
M. LAPORTE, hôpital Lariboisière, Paris
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) constituent la deuxième cause de mortalité dans le monde : 10 à 20 % des AVC sont mortels. De plus, en dehors de la mortalité élevée, ils représentent également une morbidité importante avec de lourdes séquelles physiques et psychologiques : invalidité motrice, démence, dépression, épilepsie… La réalisation d’une échocardiographie dans le bilan d’un AVC a pour but de rechercher une cause cardioembolique afin de donner éventuellement une thérapeutique adaptée pour prévenir les récidives.
Les AVC d'origine cardioembolique sont-ils fréquents ?
Les étiologies des AVC ischémiques sont, par ordre décroissant de fréquence :
• l’athérosclérose des gros vaisseaux (30 %),
• les embolies cardiaques (20 %),
• la maladie des petites artères (20 %),
• autres : dissection carotidienne, thrombose veineuse, etc. (5 %),
• cause indéterminée (20 %).
Pourquoi l’échocardiographie ?
L’origine cardioembolique est donc la deuxième cause d’AVC ischémique. L’échocardiographie transthoracique (ETT) et transœsophagienne (ETO) trouve donc toute sa place pour identifier une source embolique d’AVC : découverte d’un thrombus intracavitaire auriculaire ou ventriculaire, d’un anévrisme ventriculaire gauche, d’une végétation, d’un rétrécissement mitral, d’un thrombus sur prothèse mécanique, d’une masse intracardiaque, d’un foramen ovale perméable (FOP) associé à un anévrisme du septum interauriculaire, etc. (figures 1, 2 et 3).
Figure 1. Foramen ovale perméable et anévrisme du septum interauriculaire (excursion maximale mesurée à 12 mm).
Figure 2. Thrombus intraauriculaire en échographie transoesophagienne.
Figure 3. Athérome aortique significatif de la crosse avec éléments mobiles (plaque > 4 mm).
Selon les études, la rentabilité de l’échocardiographie pour mettre en évidence une source cardiaque d’embolie est de 4 % pour l’ETT et de 11 % pour l’ETO.
L’origine cardioembolique est souvent diagnostiquée d’emblée par l’ECG (tracé en fibrillation auriculaire par exemple). Dans ce cas, l’échographie n’apporte alors pas le diagnostic mais plutôt des informations sur la cardiopathie sous-jacente de cette arythmie.
La sensibilité de l’échographie est bien meilleure s’il existe une histoire clinique cardiologique initiale (19 %). Certes, cette rentabilité ne semble pas élevée, mais les conséquences thérapeutiques de la découverte d’un thrombus intraauriculaire par exemple peuvent être importantes.
De nombreux travaux ont montré que la rentabilité de l’ETO est nettement supérieure à celle de l’ETT : une source cardiaque embolique est deux fois plus souvent retrouvée lors d’une ETO que d’une ETT. L’ETO a une sensibilité et une spécificité meilleures que l’ETT en dehors des thrombus intraventriculaires où les deux techniques sont équivalentes.
Ces deux examens étant simples, non ou peu invasifs, il semble difficile de ne pas les réaliser quand aucune étiologie évidente n’a été mise en évidence.
Faut-il réaliser une échocardiographie de manière systématique devant tout AVC ischémique ?
Les recommandations de la Société française de cardiologie (SFC) sont de faire systématiquement une ETT pour tout AVC ischémique qu’il y ait ou non une pathologie cardiaque sous-jacente. En revanche, l’ETO n’est pas systématique ; elle est surtout indiquée si aucune autre cause n’a été identifiée, devant une suspicion d’endocardite, un accident neurologique lors de la plongée, chez un porteur de prothèse mécanique, au décours d’une chirurgie cardiaque ou si l’ETT est douteuse ou ininterprétable pour la mise en évidence d’un foramen ovale perméable ou d’un anévrisme du septum interauriculaire (encadré).
Quel examen et à quel âge ?
Selon les recommandations françaises, l’ETT reste indiquée de manière systématique quel que soit l’âge du patient. En revanche, l’ETO est plus discutable. En effet, chez le sujet jeune (< 50 ans), la plupart des études montrent que les seules pathologies thromboemboliques mises en évidence par l’ETO sont les anomalies du septum interauriculaire et les FOP alors qu’au-delà de 60 ans, ce sont les plaques d’athérome aortique qui prédominent. Cela dit, les indications de l’ETO restent relativement larges selon les recommandations françaises.
Dans d’autres pays, elles sont plus restrictives : au Canada, l’ETT et surtout l’ETO sont recommandées si le patient a une histoire clinique cardiaque et qu’il n’y a pas de cause évidente comme une fibrillation auriculaire sur l’ECG nécessitant une anticoagulation.
De même, selon les sociétés savantes nord-américaines (AHA et ACC), l’échocardiographie est recommandée pour tout AVC avec une histoire clinique cardiaque et chez les sujets < 45 ans ; une ETT en routine n’est pas recommandée chez les sujets > 45 ans sans histoire cardiologique associée.
Cependant, l’analyse des études qui ont cherché à établir des critères pour sélectionner les patients sensibles l’ETO montrent que la sensibilité de l’ETO augmente si :
• l’ETT initiale est anormale,
• elle concerne les sujets jeunes pour rechercher un FOP devant un AVC inexpliqué.
Par ailleurs, une étude récente a montré qu’une ETO en routine chez les sujets > 65 ans ne semble pas licite devant un AVC inexpliqué car l’étiologie mise en évidence est l’athérome aortique qui, pour l’instant, n’entraîne pas d’implication thérapeutique particulière. Cela dit, cette justification sera peut-être à revoir quand sera mieux établie la stratégie devant un athérome exubérant de la crosse aortique (des études sont en cours pour évaluer l’intérêt des antivitamines K vs l’aspirine dans cette pathologie).
Nous pouvons également nous interroger sur la définition du sujet âgé qui, pour le plus grand nombre d’études, est défini par un âge > 65 ans. En revanche, chez les sujets très âgés, peu d’études se sont intéressées à l’ETT ou l’ETO. Rappelons que la recherche d’un FOP en ETO n’est pas justifiée si l’échogénicité du sujet est bonne à l’ETT.
Il semble raisonnable de faire une ETT de manière systématique et de compléter avec une ETO :
• chez le sujet jeune avec un AVC inexpliqué,
• chez un patient présentant une histoire cardiologique,
• enfin, lorsque l’ETT est anormale.
Quelles sont les implications thérapeutiques au au décours d’une échocardiographie ?
Des résultats de l’échocardiographie découlent des thérapeutiques très spécifiques comme la mise sous antibiotiques devant la découverte d’une endocardite. De même, selon la longueur des végétations, une chirurgie de végétectomie pourra être discutée.
La présence d’un thrombus intraauriculaire ou ventriculaire entraînera la mise sous antivitamines K, alors que l’existence d’un myxome conduira à une résection chirurgicale.
L’attitude thérapeutique devant la découverte d’un foramen perméable, avec ou sans anévrisme du septum interauriculaire, reste beaucoup plus discutée et aucun consensus n’est parfaitement établi entre un antiagrégant plaquettaire, les antivitamines K ou la fermeture du FOP. De nombreux travaux sont en cours d’étude.
Pour l’athérome de la crosse aortique, le plus habituel est de prescrire un antiagrégant plaquettaire mais des études sont en cours pour évaluer l’intérêt des antivitamines comparativement à l’aspirine ou au clopidogrel.
En pratique
Les causes cardioemboliques d’accident vasculaire cérébral ischémique sont fréquentes (20 %). Il est donc licite de les rechercher de manière systématique au moins par une échocardiographie transthoracique.
Il ne faut pas hésiter à réaliser une échocardiographie transœsophagienne qui a une sensibilité bien meilleure que l’échographie transthoracique surtout si l’histoire clinique oriente vers une étiologie cardioembolique.
Des implications thérapeutiques spécifiques peuvent découler des résultats de l’échographie.
Encadré. Consensus de la SFC sur les indications d’une échocardiographie Doppler transthoracique ou transoesophagienne.
Échocardiographie Doppler transthoracique chez un patient suspect d’accident embolique
Classe 1
• Chez tous les patients, quel que soit l’âge de survenue, qu’il y ait ou non une cardiopathie sous-jacente connue.
Classe 3
• Comme unique examen à la recherche d’un thrombus intraauriculaire gauche, d’un foramen ovale perméable (FOP) ou d’un athérome aortique.
Échocardiographie Doppler transœsophagienne chez un patient suspect d’accident embolique
Classe 1
• Infarctus cérébral de cause indéterminée malgré un examen clinique, une exploration biologique et l’examen ultrasonore des artères cervicales.
• Contexte clinique faisant suspecter une endocardite.
• Patient ayant une prothèse valvulaire, qu’il y ait ou non un traitement anticoagulant.
• Patient atteint d’une cardiopathie valvulaire mitrale ou aortique.
• Mise en évidence d’une thrombose veineuse périphérique pour recherche d’une thrombose cardiaque et d’un FOP.
• Accidents neurologiques paroxystiques chez un plongeur.
• Au décours d’une chirurgie cardiaque.
• Si la recherche d’un FOP est cliniquement pertinente (suspicion d’embolie paradoxale) et que l’examen transthoracique est ininterprétable ou douteux (recherche d’un anévrisme du septum interauriculaire).
• Échographie transthoracique avec épreuve de contraste non interprétable ou douteuse (recherche d’anomalies de petite taille à risque embolique).
Classe 2
• Sujet âgé < 55 ans.
• Patient ayant une dysfonction ventriculaire gauche.
• Patient en fibrillation auriculaire.
• À la phase aiguë d’un infarctus du myocarde.
• Chez un sujet > 60 ans avec au moins deux facteurs de risque vasculaire.
• Surveillance de l’évolution d’un thrombus de l’auricule gauche, après instauration d’un traitement anticoagulant.
• Antécédents lointains d’infarctus cérébral de cause indéterminée (ETO non réalisée) ou non explorée.
• Source cardiaque univoque caractérisée par l’ETT (tumeur cardiaque, végétation, thrombose ventriculaire gauche ou du massif auriculaire…) s’il n’est pas envisagé de modification thérapeutique.
Classe 3
• Infarctus cérébral massif avec troubles de la conscience.
• Cause artérielle déjà établie (dissection artérielle).
• Répétition de l’ETO en l’absence de thrombose intracavitaire ou de végétations valvulaires dans un contexte infectieux.
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