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Cardiologie générale

Publié le 09 déc 2008Lecture 13 min

Le cardiologue et le risque médico-légal

C. GAULTIER, cardiologue-conseil au Sou médical (Groupe MACSF) Département de cardiologie interventionnelle à l’Hôpital La Roseraie-Villa Maria, Aubervilliers et à l’Hôpital Foch, Suresnes

La pratique cardiologique se distingue des autres spécialités par une multitude d’études qui enrichissent de façon permanente la stratégie diagnostique et thérapeutique. Si l’intégration de ces nombreuses données peut constituer une difficulté supplémentaire pour le cardiologue, cela occasionne finalement peu de mises en cause judiciaires. Ce sont plutôt les comportements individuels et les interfaces entre professionnels qui sont à l’origine des accidents médicaux. Pour clarifier les idées sur le risque médico-légal lorsqu’on débute, il est nécessaire de rappeler les grands principes de responsabilité, puis de revenir spécifiquement sur les particularités de l’exercice hospitalier et les remplacements. Enfin, pour pouvoir exercer sereinement, sans crainte du procès, il convient d’acquérir quelques réflexes qui relèvent du bon sens.

Contexte actuel La sinistralité globale des médecins (environ 2 % par an) progresse de façon linéaire. Cette croissance est plus marquée chez les cardiologues. La médiatisation des progrès de la cardiologie a probablement fait naître des attentes démesurées dans la population. Le handicap ou le décès à la suite d’un infarctus ne sont plus perçus comme une fatalité et il devient alors assez difficile de faire accepter les limites de la médecine. La progression des primes d’assurances s’explique par un taux de condamnation plus fréquent des médecins qu’auparavant, associée à un montant accru des indemnisations allouées. La création d’un processus de règlement amiable et gratuit des accidents médicaux (CRCI) depuis 2002 a probablement contribué à la progression des réclamations en cardiologie, dont il est aujourd’hui difficile d’évaluer l’impact. Principes généraux de la responsabilité médicale Suite à un accident médical, les patients ou leur famille doivent tout d’abord choisir la juridiction qu’ils veulent saisir (tableau 1). Le choix de la juridiction devrait logiquement se faire en fonction du statut du médecin en cause. Tous les médecins peuvent être mis en cause directement ou indirectement par une procédure pénale ou ordinale. En revanche, seuls les médecins libéraux, les salariés des hôpitaux privés et les praticiens hospitaliers exerçant en secteur privé à l’hôpital public peuvent être mis en cause personnellement par une procédure civile. Les plaignants qui souhaitent une indemnisation pour des soins prodigués à l’hôpital public ne peuvent pas mettre en cause personnellement le médecin salarié, car celui-ci agit comme agent du service public. Ils doivent saisir soit le tribunal administratif, soit la CRCI pour mettre en cause l’établissement. Le choix de juridiction peut aussi se faire en fonction de la nature de la faute et de la sanction attendue par les plaignants. Si un patient considère qu’un médecin a eu un comportement inhumain, ou peu déontologique, mais sans entraîner forcément un handicap ou un préjudice, il peut saisir le conseil départemental de l’ordre des médecins, qui peut émettre des sanctions allant du blâme jusqu’à la radiation. Procédure pénale Lorsque le comportement du médecin a été délibérément négligent (refus de se déplacer en cas d’urgence) pouvant aboutir à un grave handicap ou au décès du patient, la voie pénale est susceptible d’être choisie par les plaignants qui souhaitent une sanction personnelle du médecin. Les plaignants déposent plainte gratuitement au commissariat de police. C’est une procédure particulièrement traumatisante pour les médecins : convocation au commissariat, pas d’accès aux pièces du dossier, expertise non-contradictoire et sans assistance d’un médecin-conseil. En cas de condamnation, le médecin devra alors verser une amende au trésor public, qui ne peut pas être prise en charge par l’assurance. Il peut aussi être condamné à une peine de prison habituellement avec sursis. Durant la procédure pénale, les plaignants peuvent se constituer partie civile, pour ensuite obtenir une indemnisation. Procédure civile La procédure civile est la voie traditionnelle choisie par les plaignants lorsqu’ils recherchent une réparation financière des préjudices. Les soins doivent avoir eu lieu en exercice libéral. Il existe alors un contrat de soins liant le médecin à son patient. Pour obtenir une réparation, le patient doit prouver que le médecin a commis une faute, et surtout qu’il existe un lien « direct, certain et exclusif » entre celle-ci et le préjudice. En l’absence de faute (aléa thérapeutique), le plaignant n’obtient aucune indemnisation. Cette procédure est payante pour les plaignants, sauf s’ils sont bénéficiaires d’une aide juridictionnelle. Durant cette procédure, le médecin dispose des meilleurs moyens de défense : expertise contradictoire, transmission de toutes les pièces, assistance d’un médecin conseil, possibilité d’envoyer des observations aux experts. Processus amiable : la CRCI Devant des procédures particulièrement longues, mais surtout face à des déviances judiciaires, la loi « Kouchner », (2002), introduit un nouveau mode de réparation des accidents médicaux survenant aussi bien en médecine libérale que hospitalière. C’est une démarche « amiable », gratuite, qui n’a pas lieu au tribunal et qui a pour objectif d’instruire les demandes et de proposer une indemnisation dans un délai de quelques mois. Les plaignants déposent une demande auprès de la CRCI (www.commissions-crci.fr) (Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux) qui est chargée d’organiser une expertise médicale. Cette simplification des procédures est louable pour les victimes, mais dans la pratique, celle-ci se fait parfois au détriment des droits de la défense du médecin. La CRCI se prononce uniquement pour des accidents graves. Si l’aléa thérapeutique est retenu, c’est la solidarité nationale (ONIAM) qui indemnisera les patients. En revanche, en cas de faute médicale, la CRCI invitera les assureurs du médecin ou de l’établissement à proposer une indemnisation au patient. Quelle que soit la juridiction choisie, les conséquences directes de la maladie ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une indemnisation de la part du médecin en cause. Responsabilité de l’interne ou du chef de clinique à l’hôpital Lors des demandes d’indemnisations, l’hôpital est habituellement responsable des actes de l’ensemble de ses médecins, car ils sont des agents du service public hospitalier. La responsabilité de l’interne à l’hôpital est un peu particulière comparée aux autres hospitaliers, car il exerce par délégation et sous la responsabilité du chef de service dont il relève. Le chef de service se doit d’apprécier les capacités de son interne avant de lui confier des taches médicales et de veiller à ce que les actes délégués ne soient pas d’une difficulté particulière. Si un praticien manque aux obligations qui lui étaient assignées (refus de se déplacer en astreinte, ou de venir au chevet d’un patient, etc.), la faute détachable de service pourrait être retenue à son encontre et engager sa responsabilité civile professionnelle personnelle. Dans tous les cas, le médecin hospitalier peut faire l’objet de plaintes directement à son encontre, sur le plan pénal ou ordinal, sans possibilité d’intervention de l’hôpital pour le désengager. La loi a instauré un repos compensateur à la suite d’une garde (arrêté du 10 septembre 2002). Elle fixe que tout praticien ayant assuré une garde de nuit, doit cesser son activité clinique ou administrative pendant 11 heures. C’est au directeur de l’hôpital et au chef de service de veiller à l’application de cette mesure. Si pour des raisons de planning imposé au médecin, il devait poursuivre son activité au-delà et qu’un accident survenait, la responsabilité administrative de l’établissement serait engagée de principe pour défaut d’organisation. Cependant, la responsabilité personnelle du praticien pourrait être recherchée sur le plan pénal, car en ne respectant pas le repos de sécurité, le praticien contribue à créer une situation permettant la survenue d’un accident (mise en danger d’autrui). L’assurance La loi du 4 mars 2002 a rendu obligatoire l’assurance professionnelle pour les praticiens libéraux et les établissements de soins. Elle ne donne pas de précisions pour les internes et les autres praticiens des hôpitaux publics. Cependant, la souscription d’une assurance permet au praticien hospitalier de bénéficier d’une aide juridique personnelle qui couvrira en particulier les frais d’avocats en cas de poursuite pénale ou ordinale, mais aussi de garantir le médecin hospitalier en cas de faute détachable du service, qui peut se chiffrer à plusieurs centaines de milliers d’euro. Enfin, les contrats proposent également une protection juridique lorsque le médecin rencontre des difficultés juridiques non liées directement aux soins délivrés : salaires, statuts… Les remplacements L’interne et le chef de clinique ont la possibilité d’effectuer des remplacements en médecine libérale. Ils doivent avant tout obtenir l’accord du chef de service. Ensuite, pour l’interne de cardiologie, non thésé et non inscrit au conseil de l’ordre, il doit avoir validé un certain nombre de semestres (attestation de l’enseignant de sa discipline) et être inscrit en 3e cycle pour obtenir une licence de remplacement (valable un an) auprès du conseil de l’ordre du département où il exerce ses fonctions hospitalières (précisions sur www.conseil-national.medecin.fr). Le médecin remplacé doit obtenir une autorisation de remplacement (pour une période déterminée) auprès de son conseil de l’ordre. Dans la mesure où il va exercer la médecine libérale, le remplaçant est soumis à l’obligation légale d’être assuré personnellement. S’il est déjà assuré pour son activité hospitalière salariée, il est impératif qu’il avertisse son assureur du remplacement envisagé, car les garanties assurées ne sont pas les mêmes. Il est préférable d’établir un contrat de remplacement entre le remplacé et le remplaçant. Les bons réflexes de la pratique quotidienne pour éviter les plaintes (tableau 2 )   Il ne fait pas de doute que la première des obligations est de pratiquer des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science. En France, les médecins ont une obligation de moyens et non de résultats. Force est de constater qu’une proportion importante des accidents survient souvent par des problèmes de coordination entre praticiens. Chaque praticien doit toujours se sentir responsable du patient même s’il n’est pas le référent de ce patient et veiller à la bonne coordination des soins. Par la complexité des traitements cardiologiques, il faut veiller à la bonne compréhension du correspondant généraliste, en donnant des consignes claires et détaillées (relais des anticoagulants, durée des antiagrégants plaquettaires, programmation des explorations et fréquence, etc.). En cas de procédure judiciaire, il est primordial de pouvoir prouver ce que l’on a constaté, ce que l’on a préconisé ou prescrit. Il faut donc prendre le réflexe d’une traçabilité systématique. Le dossier informatisé est un outil précieux d’aide à la consignation rapide des éléments cliniques et à la conservation des prescriptions. Par ailleurs, depuis 1997, c’est au médecin de prouver qu’il a informé son patient. Bien entendu, l’objectif de la traçabilité de l’information ne doit pas se substituer au colloque singulier. Les explications orales font toute la richesse de la relation médecin/malade. En l’absence de trace écrire, le praticien aura toutes les difficultés pour emporter la conviction des magistrats, surtout si le patient nie avoir reçu la moindre information ou encore lorsque le patient est décédé. Il suffit donc de prendre le temps de faire une annotation explicite dans l’observation médicale relative à l’information du patient et, quand le document existe, d’ajouter : « remise du document d’information de la SFC ». Il n’est pas inutile de relever les signes d’inquiétude ou les éléments permettant de faire comprendre que le patient a pris conscience du risque éventuel de l’acte proposé. Le degré supplémentaire de sécurité consiste à diffuser cette délivrance d’information dans le courrier destiné aux correspondants et au patient lui-même. La signature du document de la SFC (www.cardio-sfc.org), sous réserve que le patient sache lire, fait office d’accusé de réception. Dans le prolongement de l’information, le médecin doit aussi se prémunir des patients qui refusent les soins ou les hospitalisations. En effet, s’ils décèdent, il est assez classique que les ayants droit viennent critiquer la démarche du praticien. De la même manière que pour l’information, la traçabilité repose sur une annotation dans le dossier, un courrier aux correspondants et au patient, ainsi qu’un document où le patient reconnaît avoir été informé du risque de décès ou autres complications en cas de refus de soins. Il faut faire également un courrier d’hospitalisation montrant la détermination du praticien sur le choix de son option, libre au patient de s’y conformer ! Le secret médical est un piège supplémentaire pour les médecins. Le partage d’information directe se fait uniquement entre praticiens participants aux soins. Il est donc interdit de donner directement des informations médicales à un employeur, à la police, à un médecin conseil d’assurance (emprunt, prévoyance, etc.) ou à un médecin du travail. Tout certificat doit être remis en mains propres au patient, et donc jamais à un tiers (car le médecin ne connaît pas les relations de son patient avec ce tiers). Le contenu du certificat peut être aussi long et détaillé que le souhaite le patient. À partir du moment où le certificat est remis directement au patient, c’est ensuite à lui de décider à qui il veut le remettre (médecin du travail, assureur, etc.). La dernière des précautions pour le médecin est d’avertir son patient des conséquences éventuelles de la transmission du certificat et de le signaler en bas du certificat. En raison des implications médico-légales du certificat médical, il convient de le rédiger systématiquement après un interrogatoire et un examen authentique du patient. Régulièrement, des médecins auteurs de certificats de complaisance sont condamnés pour avoir autorisé des sports, sans recherche véridique de contre-indications, et se compliquant d’accidents en rapport avec une cardiopathie sous jacente méconnue. Une autre difficulté rencontrée par les cardiologues concerne la question des aptitudes. Face à la découverte d’une maladie grave qui pourrait occasionner un accident, le médecin reste tenu au secret professionnel. Si le patient exprime la volonté de poursuivre la conduite automobile ou son emploi à un poste de sécurité, le médecin ne peut nullement avertir le préfet de police ou l’employeur (ou le médecin du travail). Il doit par contre s’efforcer de convaincre son patient et prouver qu’il a averti sans ambiguïté son patient des risques encourus (traçabilité). Le conseil doit être aussi explicite pour le patient dans sa vie quotidienne (effort, sport, etc.). Conduite à tenir en cas d’accident médical (tableau 3)   Il est toujours difficile de reconnaître ses erreurs, que l’on soit médecin ou pas. Si les patients peuvent comprendre la survenue d’un accident, souvent imprévisible, en revanche, sa mauvaise gestion est rarement pardonnée et donc source de plaintes. Le médecin doit être à l’écoute de tout ce qui pourrait être le premier signe d’un effet indésirable. De cette manière, le médecin dépiste précocement et gère lui-même les conséquences de ses actes, ce qui permet d’éviter au patient un sentiment d’abandon. De plus, cela permet d’éviter aussi que le patient « tombe » entre les mains de confrères peu déontologiques. Dans la majorité des dossiers de réclamations judiciaires, les patients justifient leurs actions sur la déclaration critique de médecins qui ont eu connaissance de la complication. A la suite d’un accident, les médecins doivent impérativement communiquer avec le patient et sa famille, suivre l’évolution et rester joignables jusqu’à la stabilisation de l’état du patient. Cela permet d’éviter que les familles errent sur Internet pour y glaner des informations disparates ou aillent vers des « amis médecins », qui pourront donner une interprétation biaisée. Comme toujours, le médecin a intérêt à faire un rapport circonstancié des événements dans le dossier à la suite d’un accident, permettant d’expliquer la complication et sa gestion. Cela lui permettra aussi de se justifier s’il fait l’objet d’une plainte plusieurs années après l’accident. Pour faire face à une possible disparition des archives de la clinique, il n’est pas inutile de se faire une copie du dossier litigieux à conserver dans ses propres archives. En revanche, la falsification du dossier est bien entendu déconseillée, car en cas de découverte, cela réduit à néant les chances de succès de la défense. Lorsque le médecin pense que l’accident peut être en rapport avec un médicament ou avec un dispositif médical, il a l’obligation d’en faire déclaration à l’AFSSAPS (www.afssaps. sante.fr). En effet, sa déclaration précoce peut permettre l’émission d’un bulletin de vigilance, le retrait des lots et donc d’éviter des accidents sériels. Le défaut de déclaration considéré comme une négligence expose à une sanction pénale. Enfin, un contact avec l’assurance civile professionnelle est indispensable dès la formulation de réclamations, afin de gérer la communication avec le patient ou les médias, mais surtout pour organiser la défense. En cas d’erreur fautive, l’assureur peut permettre de maintenir un climat propice en vue d’un éventuel règlement amiable du sinistre et d’éviter une procédure judiciaire longue et délétère. Droit du médecin Le médecin garde la possibilité de rompre le contrat de soins avec ses patients non observants, non compliants ou revendicateurs. Ces patients rendent infernale la pratique et s’exposent à des accidents médicaux, avec donc un risque de poursuites judiciaires pour le médecin. En dehors du contexte d’urgence, le médecin doit signifier à son patient son souhait de ne plus le suivre et lui demander les coordonnées du nouveau médecin pour la transmission du dossier. Il est impératif d’assurer la période transitoire, jusqu’à la reprise effective des soins par le successeur. En pratique La judiciarisation de la médecine est une réalité incontestable, mais pour autant elle ne doit pas être source de craintes irrationnelles. Le cardiologue a l’avantage d’avoir une spécialité reposant sur une multitude d’études et de recommandations cohérentes. Si la judiciarisation entraîne des inquiétudes, elle ne doit pas provoquer des déviances chez les médecins. Les soins sont proposés selon les données scientifiques en vigueur, après confirmation diagnostique. La seule nouvelle précaution nécessaire est d’adopter une démarche de traçabilité systématique des faits constatés (interrogatoire, examen, explorations), de l’information délivrée et des traitements prodigués. Le paternalisme doit impérativement laisser la place à une explication rationnelle et raisonnée des soins nécessaires et des risques en cas d’abstention. Si une plus grande liberté est octroyée aux patients, les médecins gardent pourtant l’obligation de chercher à convaincre du bien-fondé des traitements qu’ils proposent. À défaut, ils devront se protéger par une formalisation écrite du refus des patients.

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