Publié le 02 sep 2008Lecture 7 min
Le cœur en détresse
P. RÉANT, Bordeaux-Pessac
Le Printemps de la cardiologie
Le Club des Jeunes Cardiologues a animé une session du Printemps 2008 touchant au « cœur en détresse » à travers plusieurs thèmes : l’orage rythmique, l’assistance circulatoire et les manifestations cardiaques des intoxications.
L'orage rythmique
F. Sacher, CHU Bordeaux
Par définition, on entend par « orage rythmique » la survenue plus de 3 fois en 24 h d’un épisode de tachycardie (TV) ou de fibrillation ventriculaire (FV), chaque épisode étant espacé de plus de 5 minutes. L’étude MADIT II a montré, chez des patients porteurs d’une myocardiopathie ischémique sévère en prévention primaire, la survenue de 4 % d’orages rythmiques (HR de mortalité 17,8) et de 20 % de TV/FV isolées (HR de mortalité 2,5).
La prise en charge immédiate dépend de la tolérance du trouble du rythme. Un choc électrique doit être réalisé rapidement en cas de syncope ou d’instabilité hémodynamique. Si la tolérance clinique est bonne, on réalisera un ECG 12 dérivations avant et après réduction de la TV afin de détecter un syndrome coronaire aigu ou encore un QT long. Un bilan étiologique rapide doit être réalisé pour débuter un traitement adapté. Il doit comporter un interrogatoire précis, la réalisation d’un ECG 12 dérivations, un dosage sanguin des électrolytes et des enzymes cardiaques.
Concernant la prise en charge thérapeutique, les recommandations en cas de tachycardie à QRS larges sont :
– le choc électrique externe en cas de mauvaise tolérance (classe 1),
– l’amiodarone IV ou les bêtabloquants ou la xylocaïne IV (si suspicion de syndrome coronaire aigu) (classe 2a),
– la montée de sonde intracavitaire sous AG pour overdriver les TV (classe 2b).
À noter, qu’une anesthésie générale peut également faire disparaître l’arythmie.
Concernant les torsades de pointe, on privilégiera (classe 1) :
– l’arrêt de tout traitement hypokaliémiant, connu pour donner des torsades de pointe,
– la correction des troubles électrolytiques,
– la stimulation cardiaque en cas de BAV ou de bradycardie symptomatique.
En classe 2a figurent :
– le sulfate de magnésium IV,
– l’isoprénaline IV transitoirement en cas de torsades de pointes récidivantes et pures (hors QT long congénital),
– la stimulation en cas de torsades de pointe dites « pause-dépendantes »,
– les bêtabloquants associés à la stimulation cardiaque.
En cas d’orage rythmique sur cœur sain, les recommandations sont les mêmes :
– en cas de TV monomorphe, il faut réaliser un ECG 12 dérivations ; il s’agit souvent de TV infundibulaires ou fasciculaires ;
– si la TV est polymorphe ou en cas de FV, on peut se trouver en présence d’un syndrome de Brugada ou de FV dites « idiopathiques ». Dans ce contexte particulier, il est possible d’utiliser l’isoprénaline IV pour accélérer la fréquence cardiaque avec un relais ensuite par quinidine par voie orale.
Chez les patients porteurs d’un défibrillateur automatique implantable, il faut rechercher les chocs inappropriés. Pour cela, il faut s’aider du contexte (effort, absence de symptômes associés), monitorer même s’il y a un défibrillateur, interroger les mémoires et penser à utiliser l’aimant en cas de chocs inappropriés ou chocs sur TV non soutenues subintrantes. À noter que le défibrillateur ne délivrera que 6 chocs pour un même épisode…
Quelle est la place de l’ablation radiofréquence dans les orages rythmiques ? Un travail de Cabucicchio C et al. (Circulation 2008) a retrouvé 89 % de succès aigu en cas de cardiopathie ischémique (n = 79), cardiomyopathie idiopathique (n = 10) et dysplasie arythmogène du ventricule droit (n = 13). Elle permet 66 % d’absence de récidive de TV à 22 mois. L’ablation des FV « idiopathiques » ou sur syndrome de Brugada est également une option en cas d’orage rythmique (Haissaguerre et al. Circulation 2002 et 2003).
Les indications et les types d'assistance circulatoire
E. Flecher, CHU Rennes
L’insuffisance cardiaque chronique est responsable d’un taux élevé de mortalité dans le monde avec un taux de survie annuel de 66 % à 1 an. Elle représente également un coût important de santé publique : 1 à 2 % des dépenses de santé en France, dont les deux tiers sont dus aux hospitalisations. D’un point de vue thérapeutique, le traitement médical, la stimulation multisite, les chirurgies palliatives permettent d’attendre la transplantation. L’assistance circulatoire mécanique (cœurs artificiels partiels ou totaux…) peut également être nécessaire en suppléant l’action d’un ou des ventricules cardiaques chez les insuffisants cardiaques terminaux.
En fonction de l’indication, il existe différents dispositifs d’assistance ventriculaire extra- ou intracorporels, partiels ou totaux. Il s’agit de techniques « lourdes » avec des risques de complications hémorragiques, thrombo-emboliques ou infectieuses non négligeables.
Les indications reconnues sont :
– l’attente de récupération (bridge to recovery),
– l’attente de transplantation (bridge to transplant),
– l’implantation définitive (destination therapy).
Les critères hémodynamiques nécessaires sont :
– un index cardiaque < 2 l/min/m2,
– une pression artérielle systolique < 90 mmHg,
– des pressions de remplissage élevées (pression veineuse centrale > 20 mmHg, PAPO > 16 mmHg, pression capillaire pulmonaire > 25 mmHg),
– l’oligurie ou l’anurie depuis < 6 h,
– la nécessité d’augmentation des agents catécholergiques,
– surtout, une défaillance multiviscérale débutante.
L’EMCO
Au cours des défaillances cardiaques aiguës comme lors d’une myocardite virale, en post-cardiotomie ou dans certaines circonstances d’intoxications médicamenteuses, l’assistance circulatoire la plus souvent utilisée est l’ECMO (ExtraCorporeal Membran Oxygenation, encore appelée LVAD, Left Ventricular Assist Device) (figure 1). C’est un système dit « léger » d’assistance circulatoire et respiratoire (puisqu’il est aussi utilisé dans le syndrome de détresse respiratoire aiguë en pédiatrie). Le système nécessite d’être hépariné, bien positionné et maintenu à un débit suffisant afin d’éviter la thrombose de canule veineuse. On note un certain nombre de complications : hémorragies, hématomes, perforations de l’axe iliaque, ischémie des membres inférieurs, sepsis, déperditions thermiques, hémolyse, thrombopénie, canule arrachée, dysfonction pompe, thrombo-emboliques et neurologiques... La prise en charge est basée sur un arbre décisionnel (figure 2).
Figure 1. L’ECMO.
Figure 2. L’ECMO : Arbre décisionnel.
Selon Mancini, lors du sevrage, un certain nombre de paramètres échocardiographiques doivent être retrouvés : FEVG ≥ 35 %, DTSVG ≤ 55 mm, ouverture de la valve aortique, VO2max > 20 ml/kg/min. La remise en charge doit se faire de manière progressive sous contrôle échocardiographique. Concernant les patients en attente de transplantation, l’assistance a permis d’améliorer à long terme les résultats de la transplantation.
Autres dispositifs
Il existe d’autres dispositifs que l’ECMO pour une plus longue durée, des cœurs artificiels, total (cas du Cardiowest qui est portable avec un encombrement relatif) (figure 3) ou partiel : ventricule pneumatique (Thoratec), électromécanique (Novacor, Heartmate VE), pompes axiales (Heartmate II, Micromed DeBakey, Jarwic 2000). Il existe des systèmes intracorporels pneumatiques (figure 4). Les nouvelles pompes axiales à flux continu promettent d’encore améliorer la qualité de vie (figure 5). Toutefois, le pronostic est aussi fonction de l’étiologie.
Figure 3. Le dispositif d’assistance extra-corporelle « CardioWest ».
Figure 4. L’assistance pneumatique intra-corporelle.
Figure 5. « Jarwik 2000 » : une pompe ventriculaire axiale.
Aujourd’hui, le cœur artificiel n’est plus un rêve mais une réalité, grâce aux progrès technologiques. Les indications se sont élargies. Le challenge étant de choisir la meilleure technologie pour un patient donné, au bon moment, tout en respectant les limites de la nature humaine.
Intoxications et manifestations cardiaques
J.-S.Hulot, CHU Pitié Salpétrière, Paris
In fine, à un certain degré de surexposition, tout médicament est susceptible de devenir « cardiotoxique ». Certains peuvent avoir un effet principal cardiovasculaire en cas de surdosage, tels les digitaliques. Pour d’autres, il ne s’agit que d’un effet latéral, survenant en cas de surdosage (tricycliques, anthracyclines) ou à dose thérapeutique (herceptine, médicaments et QT).
L’intoxication aux digitaliques peut exister même pour des taux < 2 ng/ml. Celle-ci va être responsable de troubles de la conduction électrique à tous les niveaux, pouvant entraîner une bradycardie extrême. À cela s’ajoutent des troubles de l’automatisme pouvant favoriser les réentrées ventriculaires et la TV, et entraîner jusqu’à l’asystolie ou la FV et des troubles de la repolarisation (onde T aplaties, négatives, abaissement du point J avec sous-décalage du segment ST, raccourcissement du QT).
La toxicité cumulative aux anthracyclines peut être responsable de troubles de la repolarisation de manière aiguë, d’un microvoltage, d’un allongement du QT, d’une péricardite subaiguë, d’une insuffisance cardiaque congestive, de troubles du rythme ou de la conduction. Au-delà de la dose cumulée de 500 mg/m2, le risque d’insuffisance cardiaque croît de manière exponentielle.
Une toxicité cumulée avec l’herceptine dans le traitement du cancer du sein a été décrite plus récemment (Suter TM. 2007). Cependant, la toxicité liée à l’herceptine elle-même est réversible.
Mais il ne faut pas négliger tous les autres médicaments ou facteurs environnementaux pouvant avoir un effet cardiovasculaire. Par exemple, le dropéridol, utilisé comme antiémétique en postopératoire, peut provoquer un allongement du QT. De même, avec l’ocytocine, utilisée en post-interruption volontaire de grossesse, quelques cas de TV ont été rapportés (Charbit et al 2004).
Il est ainsi possible que de nombreux effets « cardiotoxiques » soient méconnus car souvent non recherchés.
En conclusion
Une session riche d’enseignements pratiques dans le domaine de la détresse cardiaque visant une meilleure prise en charge des patients présentant une défaillance cardiaque transitoire ou non.
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