Insuffisance cardiaque
Publié le 04 déc 2007Lecture 6 min
Le traitement de l'œdème aigu du poumon avant l'hospitalisation
L. DUCROS, SAMU 13, hôpital La Timone, Marseille et R. PIRRACCHIO, département d’Anesthésie Réanimation SMUR, hôpital Lariboisière, Paris
L’œdème aigu du poumon (OAP) représente environ 5 % de l’activité des SMUR, 50 % des interventions pour dyspnée et 80 % des détresses respiratoires graves. Bien qu’il s’agisse de la même pathologie, la prise en charge est plus difficile au domicile qu’à l’hôpital pour plusieurs raisons. Le traitement d’une urgence vitale est toujours plus délicat en préhospitalier car le médecin, l’infirmière et l’ambulancier sont seuls pour réanimer le patient. Ensuite, l’environnement est souvent « hostile » (milieu exigu, bruit, stress des proches, etc.). À cela s’ajoutent des difficultés diagnostiques plus importantes alors même que l’urgence thérapeutique s’impose : conditions d’examen difficiles, interrogatoire des proches et consultation du dossier personnel souvent impossible ou malaisé et, bien sûr, absence d’examen radiologique disponible.
La prise en charge médicale précoce par les SAMU/SMUR est indispensable
Dans beaucoup de pays, ces patients, comme tous les autres, sont pris en charge par des secouristes ou des « paramedics », dont la mission est uniquement de conditionner et de transporter le plus rapidement possible les patients vers la structure d’urgence la plus proche sans autre traitement que l’oxygène. Cette stratégie dite de « scoop and run », largement soutenue par les Anglo-Saxons pour la traumatologie, est pourtant remise en question par certaines études bien conduites pour ce qui concerne les détresses respiratoires, dont l’OAP.
En effet, un travail rétrospectif réalisé en 1991 en Pennsylvanie a rapporté une réduction de la mortalité hospitalière de 15,4 à 6,7 % tous OAP confondus et de 33,3 à 4,6 % pour les patients en détresse sévère, lorsque le traitement médical est débuté dès le domicile(1). Une étude prospective publiée très récemment par I. Stiell au Canada confirme ces données sur des cohortes de 4 000 patients (diminution de 15,1 à 10,9 % de la mortalité hospitalière)(2). Ces deux études sont publiées par des médecins urgentistes hospitaliers qui ont formé les personnels paramédicaux déjà en place au diagnostic et au traitement des détresses respiratoires ; ces derniers étaient autorisés à utiliser sur protocole de la trinitrine spray ou sublinguale, des diurétiques intraveineux, de la morphine, voire l’intubation trachéale et la ventilation artificielle en cas de détresse sévère.
Cependant, cette « paramédicalisation » est imparfaite pour plusieurs raisons. L’étude de Wuerz rapporte elle-même 15 % d’erreurs diagnostiques et souligne que ces erreurs (en l’occurrence traiter un patient comme un OAP alors qu’il s’agit d’une décompensation d’un insuffisant respiratoire chronique) augmentent la mortalité de 3,8 à 13,6 % comparativement au traitement approprié(1). Il est noté aussi que les patients les plus graves sont souvent insuffisamment traités et notamment rarement intubés et ventilés en cas de besoin(2). Tous ces éléments confortent notre système préhospitalier, toujours médicalisé. Cette médicalisation conduit d’ailleurs toujours à une oxygénation précoce des patients par les équipes pompiers, plus nombreuses, donc plus rapidement sur place.
Il existe très peu de données dans la littérature sur les résultats de la prise en charge de l’OAP par les SMUR en France. L’une d’elles rapporte une mortalité hospitalière de patients en OAP sévère avec acidose respiratoire de seulement 3,2 %(3). Ces résultats s’expliquent très probablement par une performance diagnostique et thérapeutique supérieure à ce qu’elle serait dans un système uniquement paramédicalisé, une meilleure orientation des patients vers les structures adaptées (USIC si trouble du rythme grave ou syndrome coronarien ; réanimation si risque d’intubation ou ventilation artificielle déjà mise en place), la détection des causes rares d’insuffisance ventriculaire gauche aiguë (rupture de cordage, urgence chirurgicale) et enfin, très probablement par une large utilisation de la ventilation non invasive type CPAP (Continuous Positive airway Pressure).
Prise en charge des OAP par les équipes de SMUR
Les résultats d’une enquête réalisée en 2006 auprès de 628 mé-decins urgentistes travaillant dans les SAMU/SMUR avec un taux de réponse de 73 %, vont dans ce sens(4).
Les médecins confirment tout d’abord que le diagnostic d’OAP en préhospitalier reste difficile dans 30 % des cas et que le premier diagnostic différentiel est la décompensation de BPCO (avec les conséquences citées plus haut en cas d’erreur thérapeutique). Ensuite, ils confirment que l’orientation est choisie de façon optimale, en fonction, à la fois de la gravité résiduelle après début de traitement et de la cause de la décompensation.
Par ailleurs, 94 % des SMUR possèdent un moyen de ventilation non invasive (VNI), une CPAP dans 78 % des cas, qu’ils sont 50 % à utiliser quasi systématiquement dans tous les OAP. Seuls 42 % ne l’utilisent qu’en cas de détresse respiratoire sévère.
Sur le plan du traitement médical, il est intéressant de noter l’utilisation large de la trinitrine en bolus (70 % des médecins disent utiliser l’isosorbide dinitrate à la dose de 1 mg ou plus, avant ou en plus de la perfusion continue), voire de nicardipine ou encore d’urapidil. Ces pratiques vont dans le sens des premières recommandations de l’ERC(5) puisqu’elles privilégient l’emploi de vasodilateur artériel et la réduction de la postcharge plutôt que celle de la précharge et de la volémie. En revanche, l’administration de diurétique est encore largement répandue puisque qu’elle est systématique dans 63 % des cas et surtout à une dose supérieure à 2 mg/kg de furosémide par 84 % des médecins. Autre pratique encore perfectible, l’utilisation des inotropes : en cas de choc, la dobutamine reste l’inotrope de choix, mais la dopamine et surtout la noradrénaline restent encore utilisées et, parfois en l’absence de choc, sur la seule constatation d’un OAP réfractaire au traitement standard.
La CPAP : un moyen thérapeutique idéal
(figure 1)
L’utilisation de la CPAP pour les OAP est recommandée au niveau européen(5). Elle l’est aussi pour la médecine préhospitalière française depuis la récente conférence de consensus sur la VNI. Il y est spécifié que la CPAP reste le dispositif de choix devant les autres VNI et que son utilisation est idéale et exclusive pour l’OAP. Ces recommandations reposent sur des bases physiologiques anciennes, une littérature maintenant solide et une réduction de mortalité démontrée(6). La pression positive continue dans les voies aériennes produit tous les effets recherchés dans l’OAP : réduction de la postcharge et du travail myocardique(7,8), réduction de la précharge, amélioration de l’oxygénation(9), et donc du transport en oxygène au cœur et au diaphragme, diminution du travail respiratoire par diminution des résistances bronchiques et augmentation de la compliance pulmonaire(10,11). À condition de respecter une pression entre 7 et 10 cm H2O et de contrôler que cette pression reste constante à la fois à l’inspiration et à l’expiration, l’état respiratoire s’améliore en moins de 10 minutes, sans aucun effet secondaire rapporté.
La CPAP est particulièrement adaptée au préhospitalier dans la mesure où elle permet de démarrer un traitement immédiat tout en perfusant le patient (souvent difficilement), son utilisation est plus simple et son encombrement moindre que les respirateurs de VNI, la formation nécessaire est de courte durée. Une étude menée sur 124 patients montre que le simple fait de débuter immédiatement le traitement par une CPAP seule associée 15 min après au traitement classique diminue le recours à l’intubation, aux drogues inotropes et la mortalité, par rapport à une mise en place tardive de la CPAP(3).
Exemple de CPAP « haut débit » à effet Venturi (Caradyne®, laboratoire Respironics) avec (A) ou sans (B) moniteur de FiO2 et de pression intramasque. Elle est alimentée par une bouteille d’oxygène pour les transports préhospitaliers (C) et apporte un flux de 140 l/min dont la FiO2 peut être réglée de 33 à 60 % en conservant un flux et une pression stable. Le mélange arrive au patient au niveau du masque facial et ce dernier expire à travers une valve de PEP interchangeable calibrée à 5, 7,5 ou 10 cmH2O (D).
En pratique
L'OAP, comme toute détresse respiratoire sévère, est difficile à prendre en charge en préhospitalier, mais c'est l'une des pathologies dans lesquelles le système SAMU/SMUR avec une médicalisation très précoce est particulièrement efficace.
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