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Thrombose

Publié le 10 oct 2006Lecture 6 min

Les antiagrégants plaquettaires chez le coronarien chronique

S. WEBER, hôpital Cochin, Paris

Le bien-fondé de l’administration, ad vitam æternam, d’un traitement antiagrégant plaquettaire chez le coronarien chronique fait l’unanimité la plus totale. La démonstration, il y a plus de 30 ans maintenant, de la possibilité de réduire la morbi-mortalité du coronarien (en l’occurrence dans le postinfarctus) par l’aspirine représente l’un des premiers triomphes de la médecine par les preuves avant même d’ailleurs que cette appellation ne soit à la mode. La démonstration de la possibilité de réduire d’environ 20 % la mortalité cardiovasculaire par l’administration d’un médicament aussi simple, bien toléré et peu coûteux que l’aspirine a représenté, dans le domaine de la thérapeutique, un événement que l’on peut sans grandiloquence qualifier d’« historique ».

Depuis, les études se sont multipliées confirmant l’intérêt d’un traitement antiagrégant plaquettaire dans toutes les formes cliniques de la maladie coronaire ; il est également intéressant de noter que la physiopathologie est venue secondairement à l’appui des essais thérapeutiques fournissant, par la mise en évidence du rôle central du phénomène de rupture de plaque, le rationnel mécanistique de cette prescription. Malgré cette belle unanimité, quelques questions restent en débat.   Quelle posologie d’aspirine ? Cette question a fait couler beaucoup d’encre, mais « pour résumer très brièvement une histoire très longue », la fourchette de posologie « admise » en pathologie coronaire se situe entre 75 et 300 mg. Quelques confrères neurologues restent partisans de posologies plus élevées lorsqu’une pathologie vasculaire cérébrale est associée à la coronaropathie. Ce point de vue n’est cependant pas unanime. Les plus faibles posologies (75 et 100 mg) sont plus volontiers utilisées dans le cadre d’une coprescription avec le clopidogrel, chez les patients ayant des problèmes de tolérance gastrique ou, un peu empiriquement, chez le coronarien âgé ou lorsque l’aspirine est utilisée en prévention quasi primaire chez le sujet à risque vasculaire plutôt que chez le coronarien avéré.   Quels effets indésirables de l’aspirine ? Tout d’abord, le risque hémorragique : il est très faible comparativement au bénéfice attendu chez le coronarien avéré mais suffisamment élevé pour expliquer l’inefficacité de l’aspirine à réduire la mortalité lors des quelques essais effectués en prévention primaire sur des populations à risque artériel absolu modérément élevé. L’intolérance gastrique peut être un vrai problème mais ne concerne qu’une minorité (quelques pourcents de patients), tout du moins aux posologies antiagrégantes. La moindre épigastralgie ne doit pas faire interrompre le traitement pour passer à une autre classe pharmacologique et/ou prescrire un inhibiteur de la pompe à protons. Une concertation avec le gastroentérologue est souhaitable. La coprescription d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) peut se concevoir pendant la phase aiguë hospitalière en raison du « stress », bien que cette attitude n’ait pas été réellement étayée par des essais thérapeutiques contrôlés. En revanche, la coprescription au long cours d’un IPP avec l’aspirine n’est justifiée que pour une petite minorité de patients ayant des antécédents gastriques particulièrement lourds. L’allergie vraie à l’aspirine est très rare. Ce diagnostic mérite d’être avalisé par un allergologue car il est lourd de conséquence chez le coronarien. Une allergie vraie peut être momentanément surmontée, notamment à l’occasion d’un acte de cardiologie interventionnelle, par induction, grâce à l’utilisation de doses progressives d’un phénomène temporaire de tolérance.   Quelles indications pour le clopidogrel ? Le clopidogrel, en raison de sa meilleure tolérance notamment hématologique, a quasi-définitivement remplacé, au sein de la famille des thiénopyridines, la ticlopidine. L’indication la plus évidente en prescription au long cours en monothérapie est l’allergie vraie et l’intolérance gastrique documentée à l’aspirine. Lorsque la maladie coronaire est associée à une artérite des membres inférieurs ou à une pathologie vasculaire cérébrale, plusieurs études montrent une supériorité modérée mais statistiquement significative du clopidogrel comparativement à l’aspirine. Certains auteurs proposent de substituer le clopidogrel à l’aspirine lorsqu’un patient coronarien rechute d’un événement coronaire aigu malgré un traitement correctement dosé et correctement suivi par l’aspirine. Ce raisonnement est sous-tendu par l’existence d’authentiques « résistances » plaquettaires à l’aspirine. Ce phénomène, s’il est réel et encore mal individualisé, est difficile à dépister chez un patient donné avant de faire le choix entre aspirine et clopidogrel. Il n’est donc pas illogique, qu’en cas de rechute et malgré l’aspirine, un tel phénomène de résistance puisse être incriminé. Cependant, une récidive de syndrome coronaire peut survenir même sous traitement antiagrégant plaquettaire biologiquement parfaitement efficace. La tolérance au long cours du clopidogrel est satisfaisante, les effets hématologiques, hépatiques, neurologiques, et les allergies sont possibles mais rares. En monothérapie, le risque d’accident hémorragique est assez proche de celui de l’aspirine. Le coût journalier de traitement est nettement plus élevé.   Quelles indications pour l’association aspirine + clopidogrel ? Il s’agit là, probablement, de l’interrogation la plus « sensible ». L’idée, brillante et empirique, d’associer une thiénopyridine et de l’aspirine pour limiter le risque de thrombose aiguë de stent coronaire a permis, il y a plus de 15 ans maintenant, le véritable essor du stenting. Indiscutablement, l’association d’aspirine et de clopidogrel permet d’additionner dans une très large mesure, l’efficacité thérapeutique de ces deux molécules et de réduire plus efficacement la thrombose. Cette addition des effets antithrombotiques s’accompagne cependant d’une addition des risques hémorragiques. Il y a une situation clinique où la balance bénéfice/risque penche en faveur de la coprescription aspirine + clopidogrel, c’est bien sûr l’encadrement et les suites de l’implantation d’un stent endocoronaire. Cette coprescription est incontournable, pendant un mois après l’implantation  d’un stent « nu », 2 à 6 mois, selon le modèle choisi, après l’implantation d’un stent pharmacologiquement actif.   Oser l’arrêt du clopidogrel ? Passé ce délai, bien souvent en pratique, chez un malade revu en consultation, tolérant parfaitement le traitement, il peut être difficile pour le prescripteur « d’oser » interrompre le clopidogrel. L’argument est plus émotionnel qu’issu de la médecine par les preuves… Si un accident coronaire aigu survenait dans les quelques semaines à quelques mois suivant l’arrêt du clopidogrel, le patient et son entourage n’auraient-ils pas tendance à incriminer cet allègement de l’ordonnance ? Cela est à mettre en balance avec le surrisque d’une complication hémorragique grave, telle qu’une hémorragie intracrânienne. Cette interrogation revient à tenter de définir quel est le profil de patient coronarien chez lequel, en dehors des suites d’un stenting, l’augmentation sur la longue durée de l’activité antithrombotique contrebalance l’augmentation sur la longue durée du risque hémorragique ? Dans l’état actuel de la littérature, une réponse précise et « tranchée » est difficile à proposer. La coprescription au long cours paraît raisonnablement justifiée chez un coronarien jeune, porteur de lésions coronaires sévères avec un lit d’aval médiocre et ne souffrant d’aucune comorbidité susceptible d’augmenter le risque hémorragique. Il appartient au sens clinique à chacun d’entre nous d’appliquer cette phrase un peu générale au cas particulier de son patient. Pour tenter d’illustrer ce qui est encore du domaine de la subjectivité du prescripteur, deux extrêmes sont faciles à définir : - un patient de 70 ans, hospitalisé pour angor instable en rapport avec une sténose monotronculaire de la coronaire droite n’a pas de raison de recevoir de clopidogrel au-delà des 1 à 6 mois après le stenting ; - à l’inverse, un coronarien de 45 ans sans comorbidité, tritronculaire ponté, à lit d’aval médiocre représente une indication raisonnable au maintien au long cours d’une bithérapie antiagrégante.   Comment gérer une interruption temporaire d’antiagrégant ? Il s’agit d’une question importante car une suspension temporaire d’un traitement antiagrégant sans mise en place d’une thérapeutique de substitution, représente un facteur déclenchant fréquent d’un épisode coronaire aigu, angor instable ou infarctus myocardique. Il est fondamental d’éduquer le patient à refuser toute interruption de traitement antiagrégant plaquettaire pour réalisation d’un acte médical si aucune thérapeutique de substitution ne lui est proposée. Il faut aussi, parallèlement, diffuser l’information auprès de nos confrères, notamment dermatologues, endoscopistes, ophtalmologues, stomatologues ainsi qu’aux chirurgiens dentistes. Ces interruptions « sauvages » de traitement antiagrégant sont rarement commises à l’occasion d’une chirurgie lourde nécessitant une consultation anesthésique préalable. Ce sont plutôt des actes beaucoup plus courants qui génèrent ce type de risque thérapeutique : ablation d’une lésion cutanée, endoscopie notamment digestive, soin dentaire, chirurgie ophtalmologique sous anesthésie locale. Tout d’abord, bon nombre de gestes chirurgicaux peuvent actuellement être effectués en toute sécurité sans interruption du traitement antiagrégant plaquettaire (ni même d’un traitement anticoagulant) par exemple, la chirurgie de cataracte, bon nombre de soins dentaires peuvent être effectués sous antiagrégants. Lorsque l’interruption est réellement incontournable, un relais par héparine de bas poids moléculaire reste la solution la plus sûre ; moyennant quelques explications, elle est généralement  parfaitement acceptée. La mise à disposition du patient d’une carte mentionnant le traitement antiagrégant et signalant les précautions à prendre représente une avancée intéressante.

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