Publié le 14 oct 2008Lecture 6 min
Insuffisance mitrale - Les recommandations actuelles
B. IUNG, Hôpital Bichat, Paris
D'importantes modifications sont survenues lors des dernières décennies dans la prise en charge de l'insuffisance mitrale (IM), en particulier avec le développement des investigations ultrasonores et de la chirurgie conservatrice. Des études contemporaines ont permis d'améliorer la connaissance de l'histoire naturelle et des résultats de la chirurgie, permettant ainsi de mieux évaluer le rapport bénéfice/risque des différentes interventions, dont les indications sont codifiées dans les recommandations actuelles.
Évaluation
L'évaluation d'une IM repose essentiellement sur la clinique et l'échocardiographie. Il est nécessaire de confronter les résultats des examens complémentaires entre eux et avec les données cliniques. Ceci concerne particulièrement la quantification de l'IM car aucune méthode n'est d’une fiabilité absolue. Les évaluations à l'effort ont pour principal intérêt de mettre en évidence une mauvaise tolérance objective à l'effort chez des patients se disant asymptomatiques. L'échocardiographie d'effort peut également démasquer des IM ischémiques intermittentes. En revanche, les données pronostiques des épreuves d’effort, en particulier de l'échocardiographie d'effort, sont encore limitées, ce qui explique que leurs résultats ne soient pas pris en compte dans les indications actuelles.
La seule investigation invasive est généralement la coronarographie, qui est indiquée en présence de facteurs de risque vasculaire. La coronarographie est évidemment indispensable dans le bilan de toute IM de mécanisme fonctionnel afin de rechercher une cause ischémique.
Insuffisances mitrales organiques
Patients symptomatiques
La comparaison de l'histoire naturelle de l'IM et des résultats de la chirurgie justifie la correction chirurgicale de toute IM volumineuse symptomatique. Il s'agit d'une recommandation de classe I aussi bien dans les recommandations américaines (ACC/AHA) que dans celles de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) et d'une indication formelle dans les recommandations de la Société Française de Cardiologie, sauf dans les rares cas d’altération majeure de la fonction systolique (figure 1). La plastie mitrale doit être favorisée mais l'indication ne doit pas être retardée lorsqu’un remplacement valvulaire prothétique est le seul traitement possible.
Figure 1. Indications chirurgicales dans l’insuffisance mitrale organique chronique. Recommandations ESC.
Les seules exceptions sont les patients dont l'âge, les comorbidités ou la fonction ventriculaire gauche rendent le risque opératoire prohibitif tout en compromettant la durée et la qualité de vie. En cas de dysfonction ventriculaire gauche sévère, le degré de recommandation dépend de la présence de comorbidités et de la faisabilité de la plastie mitrale.
Patients asymptomatiques
Le bénéfice de la chirurgie comparativement à l'histoire naturelle est moins clair chez les patients asymptomatiques. Il existe une tendance à envisager des indications plus précoces sur les arguments suivants :
- la sévérité de l'IM est en elle-même un facteur pronostique de la survie,
- aucun seuil de dilatation ou de fonction ventriculaire gauche ne permet de prédire de façon fiable la survenue d'une dysfonction ventriculaire gauche postopératoire,
- les résultats de la chirurgie sont meilleurs, en particulier en terme de survie, chez les patients a- ou pauci-symptomatiques.
La chirurgie précoce de l’IM asymptomatique se discute surtout en cas de plastie mitrale car le remplacement prothétique expose à une mortalité opératoire accrue et aux complications tardives de la prothèse, qui sont plus élevées en position mitrale qu’aortique. Une attitude plus attentiste est également envisageable à la condition que le suivi soit rigoureux. Dans une étude portant sur 132 patients suivis jusqu’à 8 ans, une stratégie d’intervention sur les critères usuels de retentissement ventriculaire gauche (fraction d'éjection £ 60 % ou diamètre télésystolique ≥ 45 mm) était associée à une survie comparable à la population générale.
L'indication précoce de la chirurgie pour le traitement d'une IM sévère asymptomatique, indépendamment du retentissement ventriculaire gauche, et donc conditionnée par la forte probabilité d'effectuer une plastie mitrale avec un faible risque opératoire. Les recommandations ACC/AHA et ESC concordent sur cette analyse, même s'il existe une différence de recommandation, qui est classée IIa dans les recommandations américaines et IIb dans les recommandations européennes.
Dans les recommandations européennes comme dans les recommandations américaines, la seule recommandation de classe I indiquant la chirurgie chez les patients asymptomatiques présentant une IM organique volumineuse reste liée au retentissement ventriculaire gauche : fraction d'éjection ventriculaire gauche ≤ 60 % pour toutes les recommandations, diamètre télésystolique ventriculaire gauche ≤ 45 mm pour les recommandations ESC (figure 1), ≤ 40 pour les recommandations ACC/AHA. Le passage d'un seuil de 45 à 40 mm pour le diamètre télésystolique entre les versions 1998 et 2006 des recommandations ACC/AHA ne repose que sur des études observationnelles de faible effectif. L'avantage du seuil de 45 mm est d'avoir été validé dans une étude clinique prospective ; ce seuil été conservé dans les recommandations européennes et françaises.
Dans toutes les recommandations, la survenue d'une fibrillation auriculaire ou d'une hypertension artérielle pulmonaire doit conduire à envisager la chirurgie en cas d'IM volumineuse asymptomatique.
Insuffisances mitrales ischémiques et fonctionnelles
Les IM ischémiques et fonctionnelles doivent être distinguées des IM organiques car elles en diffèrent par la physiopathologie, l'évaluation, le pronostic et les indications thérapeutiques. Ceci explique qu'elles sont traitées à part dans les recommandations européennes et françaises. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une valvulopathie car le tissu valvulaire est normal, mais d'une anomalie de cinétique valvulaire consécutive à une dilatation et une dysfonction ventriculaire gauche. L'échocardiographie permet le diagnostic différentiel avec une IM organique par l'absence d'anomalie structurelle de la valve mitrale et la cinétique restrictive à l'origine d'un défaut de coaptation. La quantification doit utiliser des seuils plus faibles que pour l'IM organique, une surface de l'orifice régurgitant ≥ 20 mm2 ayant une valeur pronostique péjorative.
L'évaluation du rapport bénéfice/risque des interventions est particulièrement difficile dans les IM ischémiques car, si leur pronostic est mauvais, le risque opératoire est nettement plus élevé que pour les IM organiques et les résultats à long terme sont nettement moins bons et le bénéfice de la correction chirurgicale des IM ischémiques n'est pas prouvé.
La seule recommandation de classe I pour la correction chirurgicale d'une IM ischémique est la présence d'une régurgitation sévère lorsqu'il existe par ailleurs une indication de pontage coronaire (tableau).
Lorsque la régurgitation est seulement modérée ou lorsque la dysfonction ventriculaire gauche est sévère, il s'agit d'une recommandation de classe IIa s’il existe une indication de revascularisation et si la plastie est faisable. En l'absence de revascularisation coronaire, l’indication est plus discutée et ne peut être envisagée que chez des patients très symptomatiques avec peu de comorbidités.
L'IM fonctionnelle sur cardiomyopathie partage le même mécanisme et le même pronostic que l'IM ischémique. Bien que la faisabilité de la chirurgie mitrale ait été démontrée, son bénéfice à long terme n'est pas prouvé, tant sur la mortalité que sur les symptômes, ce qui explique que les recommandations sont particulièrement restrictives.
La supériorité de la plastie mitrale est également moins claire que dans l'IM organique, notamment en raison d'une fréquence de récidive de l'IM nettement plus élevée. Les nouvelles techniques chirurgicales consistant à associer la section de cordages marginaux ou des gestes destinés à corriger la géométrie du ventricule gauche sont encore au stade d’évaluation.
Quelles sont les pratiques ?
L’Euro Heart Survey a mis en évidence des discordances entre les recommandations et la pratique. Cette étude menée en 2001 dans 25 pays d'Europe a inclus 5 001 patients. Parmi les 546 patients ayant une IM volumineuse, 396 étaient asymptomatiques. Seulement 49 % étaient référés en vue d'une chirurgie mitrale alors que l'indication chirurgicale était en principe formelle (classe I) d'après les recommandations ACC/AHA de 1998.
En outre, les facteurs associés à l'absence de décision opératoire semblaient accorder une place trop importante à l'âge et la dysfonction ventriculaire gauche, alors que l'impact des comorbidités semblait sous-estimé.
Une chirurgie était envisagée chez 30 % des patients asymptomatiques présentant une IM non-ischémique. La concordance entre les recommandations et la pratique atteignait 68 % des cas. Toutefois, la chirurgie n'était pas envisagée chez 29 % des patients alors que ceux-ci présentaient une recommandation de classe I ou IIa en faveur de la chirurgie.
Ainsi, les controverses actuelles concernant la précocité de l'indication opératoire dans l'IM ne doivent pas faire oublier le caractère formel de l'indication opératoire chez les patients symptomatiques ou les patients asymptomatiques avec une dysfonction ventriculaire gauche débutante lorsqu'il existe une IM sévère.
En pratique
Les différences entre les recommandations européennes et américaines sont limitées et concernent essentiellement les IM asymptomatiques. Elles traduisent les incertitudes persistantes dans ce domaine et soulignent la nécessité d'études ultérieures.
En revanche, il existe une convergence totale sur le caractère formel de l'indication opératoire en présence d'une IM organique sévère symptomatique. Ce point doit être souligné car ceci concerne la majorité des patients, pour lesquels les pratiques actuelles doivent être améliorées.
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