Valvulopathies
Publié le 21 oct 2008Lecture 13 min
Physiopathologie et spécificité échographique de l'insuffisance mitrale ischémique
L. A. PIERARD, P. LANCELLOTTI, CHU Sart Tilman, Université de Liège, Belgique
L’insuffisance mitrale (IM) ischémique ne consiste pas en une maladie valvulaire, mais elle représente la conséquence valvulaire d’une dilatation et d’une dysfonction ventriculaires gauches (VG). Il s’agit donc d’une IM fonctionnelle, apparaissant sans qu’il n’y ait d’anomalie structurelle de la valve mitrale.
L’IM ischémique résulte de la balance entre des forces de traction et des forces de fermeture ; un des éléments essentiels est son caractère dynamique. L’échocardiographie est la technique de choix pour l’évaluation d’une IM ischémique. L’examen doit renseigner sur les anomalies du VG, la déformation de l’appareil valvulaire mitral, la sévérité quantifiée de l’IM et son caractère dynamique.
L'IM ischémique est rarement liée à un épisode aigu d’ischémie myocardique. Le terme peut donc prêter à confusion. Il s’agit donc d’une formule raccourcie, caractérisant une situation clinique qui s’accompagne d’une « IM secondaire à un remodelage ventriculaire gauche global ou régional compliquant une maladie coronarienne chronique qui a donné lieu à un ou plusieurs infarctus myocardiques en l’absence le plus souvent d’une ischémie aiguë réversible ».
Physiopathologie
La fermeture incomplète de la valve mitrale est liée, d’une part, à des forces de traction accrues et, d’autre part, à des forces de fermeture réduites.
Forces de traction
Les forces de traction accrues sont liées à la déformation géométrique de l’appareil valvulaire mitral, secondaire au remodelage du VG qui se développe suite à un ou plusieurs infarctus myocardiques.
Le point de départ consiste en un déplacement latéral et postérieur d’un ou des deux muscles papillaires. Ce déplacement entraîne une traction accrue sur les feuillets valvulaires par l’intermédiaire des cordages tendineux. Plus les piliers sont déplacés loin de l’anneau mitral, plus la traction des feuillets est importante et plus la régurgitation est sévère. Le déplacement apical du point de coaptation des feuillets valvulaires engendre une forme de tente par rapport à l’anneau mitral. La surface sous la tente est un paramètre étroitement relié à la taille de l’orifice régurgitant (figure 1).
Figure 1. A. Coupes parasternale grand axe et apicale des 4 cavités chez un sujet normal. B. Déformation de l’appareil valvulaire mitral chez un patient présentant une IM ischémique. Phénomène de traction sur les feuillets valvulaires avec déplacement apical, entraînant une distance importante du point de coaptation par rapport à l’anneau et une large surface sous la tente.
La géométrie de la surface sous la tente peut être asymétrique ou symétrique :
- la forme symétrique est observée chez les patients qui ont présenté un infarctus antérieur. Dans cette situation, le remodelage ventriculaire gauche est global ; le ventricule gauche est plus sphérique, le volume ventriculaire gauche est plus important, de même que le déplacement apical des feuillets valvulaires. La surface de l’anneau mitral est également un paramètre déterminant ;
- chez les patients qui ont des antécédents d’infarctus inférieur, la surface sous la tente est asymétrique ; la traction prédomine sur le feuillet postérieur, dans une zone proche de la commissure interne. Le remodelage ventriculaire gauche est davantage régional ; l’élément déterminant est la surface sous la tente dans la partie médiane. La mobilité de la valve postérieure est réduite.
Forces de fermeture
La dysfonction ventriculaire gauche joue également un rôle important dans la genèse de l’IM ischémique. Cette dysfonction entraîne un retard de montée de pression pendant la phase de contraction isovolumétrique et un faible gradient de pression transmitral. Un élément important chez les patients en insuffisance cardiaque est le degré d’asynchronisme intraventriculaire gauche, soit au niveau des segments de la base du ventricule gauche, soit au niveau des piliers avec un décalage temporel de leur activation qui peut être important.
Conséquences
Si l’oreillette gauche est peu compliante, l’énergie générée par la régurgitation est essentiellement transformée en énergie potentielle dont témoigne une élévation de la pression auriculaire gauche sous la forme d’une onde V ample. L’IM chronique entraîne une dilatation progressive de l’oreillette gauche qui devient plus compliante mais entraîne également une surcharge volumétrique du ventricule gauche, ce qui contribue à un cercle vicieux.
Plus le ventricule gauche est dilaté, plus l’IM est sévère ; plus l’IM est sévère, plus le ventricule gauche se dilate encore.
Les conséquences en amont se traduisent par l’apparition d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Les variables indépendantes associées au degré d’HTAP sont les volumes de l’oreillette gauche, la déformation valvulaire mitrale, dont la surface sous la tente est le témoin, et la surface de l’orifice régurgitant.
Caractère dynamique
La surface de l’orifice régurgitant est le paramètre le plus robuste qui témoigne de la sévérité de l’IM.
L’orifice régurgitant peut varier au cours de la systole. Dans le cas de l’IM ischémique, la surface de l’orifice régurgitant est moindre en mésosystole par rapport aux phases proto- et télésystoliques. Ces modifications de l’orifice régurgitant sont déterminées de manière préférentielle par les changements dynamiques de pression transmitrale qui contribuent à la fermeture valvulaire. La contribution de la surface de l’anneau et de la contraction annulaire est beaucoup plus faible.
Un autre aspect du caractère dynamique de l’IM ischémique est la diminution du volume régurgité à la suite d’un traitement médicamenteux approprié.
Les classes médicamenteuses qui entraînent progressivement un remodelage VG inverse, tels les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les bêtabloquants, permettent la réduction des forces de traction et s’accompagnent d’une diminution de l’IM.
La dobutamine agit essentiellement par ses propriétés inotropes en augmentant les forces de fermeture. Les vasodilatateurs tels que les nitrés améliorent les conditions de charge et réduisent le volume régurgité par l’intermédiaire d’une réduction de la surface de l’origine régurgitant.
Le troisième aspect du caractère dynamique correspond à des modifications de la sévérité de l’IM dans la vie courante à la suite de divers éléments qui modifient les conditions de charge du ventricule gauche. Il s’agit rarement d’un épisode d’ischémie myocardique. Les éléments qui concourent à cette modification de sévérité peuvent être une montée brusque de pression artérielle, le passage de la position debout à la position couchée qui entraîne une majoration du retour veineux, un effort physique.
Il n’y a en fait pas de relation entre la sévérité de l’IM au repos et les variations secondaires à une épreuve d’effort.
• Chez certains patients, les modifications sont faibles.
• D’autres patients ont une IM modérée, voire sévère au repos, mais une diminution à l’effort. Cette diminution survient le plus souvent à la suite du recrutement d’une réserve contractile, en particulier au niveau de la partie postérobasale du VG et/ou une diminution, voire une abolition de l’asynchronisme intraventriculaire gauche.
• À l’inverse, certains patients développent une augmentation importante de l’IM à l’effort, que la régurgitation au repos soit légère, modérée ou sévère. Lorsque l’IM est légère dans les conditions basales et que, dès lors, l’oreillette gauche est peu compliante, l’augmentation brutale du volume régurgité est transmise en amont et peut entraîner une dyspnée ou même un œdème pulmonaire aigu, si les mécanismes de compensation tels que l’augmentation du débit lymphatique sont dépassés. L’augmentation importante de l’IM à l’effort est corrélée à une augmentation rapide du taux sérique de peptides natriurétiques de type B.
Si l’on étudie une population importante, on constate qu’au moins 30 % des patients majorent leur IM à l’effort, que 20 % la diminuent, que les variations sont négligeables dans la moitié des cas. À nouveau, les variations des forces de traction et de fermeture jouent un rôle déterminant. Les variations de la surface de l’orifice régurgitant sont directement corrélées, d’une part, aux variations de la surface sous la tente et, d’autre part, aux modifications de l’asynchronisme ventriculaire gauche.
Spécificités échocardiographiques
L’échocardiographie est la technique de choix pour évaluer les patients porteurs d’une IM ischémique. Une attention particulière doit être portée à tous les éléments qui la caractérisent et qui la déterminent. L’importance de l’IM doit être quantifiée. Les anomalies géométriques et fonctionnelles doivent être définies. Le caractère dynamique doit être étudié.
Quantification
L’importance de la régurgitation est encore trop souvent estimée par la simple évaluation qualitative du jet dans l’oreillette gauche en utilisant les grades suivants : minime (1+), modéré (2+), modéré à sévère (3+) et sévère (4+). Ce mode d’analyse devrait être abandonné. En effet, la surface du jet de régurgitation dans l’oreillette gauche et le rapport entre la surface de régurgitation et la surface de l’oreillette gauche (en %) présentent de nombreux pièges. La mesure est peu reproductible, dépend de nombreux facteurs tels que :
– le niveau de gain,
– la taille de l’oreillette gauche,
– la vitesse de repliement spectral,
– la direction du jet.
De plus, la mesure surestime l’IM fonctionnelle.
Le diamètre du jet au niveau de la vena contracta est un paramètre plus utile et requiert une excellente résolution latérale. L’IM est jugée sévère lorsque ce diamètre est supérieur à 7 mm.
Les méthodes quantitatives sont préférables. Le Doppler volumétrique est techniquement plus difficile. Doivent être mesurés les volumes antérogrades passant par la valve mitrale et la valve aortique ; le volume de régurgitation est mesuré par la différence entre ces deux volumes. La méthode la plus utilisée en pratique est la méthode basée sur l’étude de la zone de convergence ou méthode PISA. Sont mesurés le rayon de la PISA, la vitesse sélectionnée de repliement spectral, la vitesse maximale et l’intégrale temps-vitesse du spectre des vélocités en Doppler continu. Dans le cas de l’IM ischémique, le mode TM couleur doit être utilisé pour évaluer la zone de convergence et juger des variations du rayon au cours de la systole.
La méthode PISA repose sur le paradigme du caractère hémisphérique de la PISA. On sait cependant, en particulier grâce à l’échocardiographie 3D en temps réel, que la PISA est le plus souvent hémi-elliptique et qu’une formule hémi-elliptique de calcul pourrait être plus adéquate.
Anomalies géométriques
Un certain nombre de mesures doivent être obtenues pour caractériser les anomalies du ventricule gauche et la déformation géométrique de l’appareil valvulaire mitral.
La première étape est d’évaluer la fonction régionale, d’identifier les séquelles de nécrose. Les volumes télédiastolique et télésystolique du ventricule gauche sont obtenus par la méthode de Simpson ou mieux par l’écho 3D en temps réel. L’indice de sphéricité peut être calculé.
Plusieurs paramètres permettent de juger de la déformation de l’appareil valvulaire mitral : surface sous la tente (surface entre le plan de l’anneau mitral et le corps des feuillets valvulaires en systole), déplacement apical du point de coaptation, distance entre le sommet du pilier postéromédian et la fibrosa, recherche d’une courbure caractéristique du feuillet antérieur appelé « signe de la mouette ».
Anomalies fonctionnelles
La fraction d’éjection du VG est naturellement calculée. Non seulement, sa valeur est très dépendante des conditions de charge, mais elle est naturellement surestimée puisqu’elle comprend non seulement la fraction éjectée dans le sens antérograde mais également la fraction régurgitée.
La force de fermeture peut être évaluée par l’estimation du dp/dt maximum, par la mesure de l’intervalle de temps entre les vitesses de 1 m/s et 3 m/s du spectre obtenu en Doppler continu. Le degré d’asynchronisme intraventriculaire gauche peut être évalué et quantifié, soit par la méthode basée sur le Doppler tissulaire, soit de préférence par l’étude de la déformation myocardique basée sur la méthode dite de « speckle tracking ». C’est particulièrement au niveau des piliers que la désynchronisation contribue à l’importance de l’IM.
Les répercussions en amont sont également importantes à quantifier : volume de l’oreillette gauche et estimation par la mesure du gradient transtricuspide de la pression systolique artérielle pumonaire.
Évaluation du caractère dynamique de l’IM
Les variations épisodiques du volume régurgité et de la surface de régurgitation sont très variables d’un patient à l’autre. Les conditions de charge jouent un rôle important. C’est la raison pour laquelle la sévérité de l’IM ischémique est habituellement largement sous-estimée en salle d’opération au cours d’une anesthésie générale. Certaines équipes utilisent dans ce contexte une épreuve de charge. Il peut s’agir d’un remplissage rapide de manière à ce que la pression capillaire pulmonaire atteigne 15 mmHg associée éventuellement à l’administration de bolus de phényléphrine de manière à ce que la pression artérielle systolique soit au moins équivalente à celle mesurée avant l’intervention chirurgicale.
De manière plus générale, la majorité des mesures obtenues dans les conditions basales peuvent également être recueillies au cours d’une épreuve de stress.
L’échographie sous dobutamine peut, certes, renseigner sur l’existence d’une réserve contractile et d’une ischémie inductible. La diminution de la précharge et de la post-charge, et les propriétés inotropes de la dobutamine entraînent dans la grande majorité des cas une diminution de l’IM.
C’est donc l’échocardiographie d’effort qui représente la technique la plus appropriée. Le nombre important de paramètres à obtenir requiert d’utiliser une table appropriée, munie d’un pédalier, afin que les divers enregistrements nécessaires soient obtenus au cours de l’effort et non pas seulement pendant la phase de récupération. La surface de l’orifice régurgitant de même que le volume de régurgitation sont obtenus pendant l’effort avec une excellente reproductibilité. Les variations inter-observateur et intra-observateur sont faibles. La corrélation entre les mesures obtenues à l’effort selon la méthode PISA et la méthode du Doppler volumétrique est excellente (r = 0,92). Ces mesures permettent de juger de la différence par rapport aux conditions basales (figure 2).
Surface de l’orifice régurgitant
Figure 2. Images obtenues en mode Doppler couleur au repos et pendant l’effort chez un patient présentant une IM ischémique sévère et dynamique. À gauche : vues apicales des 4 cavités montrant l’augmentation de la surface du jet régurgitant dans l’oreillette gauche. À droite : étude de la zone de convergence OR = orifice régurgitant VR = volume régurgité. L’OR augmente de 18 mm2 pendant l’effort.
Au repos, l’IM ischémique est considérée comme sévère lorsque la surface de l’orifice régurgitant est > 20 mm2 ou lorsque le volume régurgité est > 30 ml.
Au-delà de ces seuils, le pronostic des patients est plus sombre. Le caractère dynamique de l’IM a également une importance pronostique. Les patients dont la surface de régurgitation diminue à l’effort ont une survie à moyen terme au-delà de 4 ans excellente. Par contre, la mortalité est largement accrue chez les patients dont la surface de l’orifice régurgitant augmente de plus de 13 mm2. Chez de tels patients, la mortalité sur un suivi de 5 ans est quadruplée. La morbidité est également majorée comme en témoigne un taux beaucoup plus élevé d’hospitalisation pour décompensation cardiaque. La sévérité de l’IM au repos contribue de manière indépendante aux risques de décès mais n’est pas associée comme paramètre indépendant pour prédire la survenue d’hospitalisation.
Les variations de l’orifice régurgitant au cours de l’effort sont corrélées à celles de la déformation géométrique de l’appareil valvulaire mitral, en particulier avec les modifications de la surface sous la tente. La corrélation entre les variations de ces deux paramètres est élevée avec une valeur de r = 0,85. La corrélation est également excellente entre les changements de la surface de l’orifice régurgitant et les paramètres d’asynchronisme ventriculaire gauche. L’acquisition d’images en mode Doppler tissulaire et d’images conventionnelles en échelle de gris permettent d’obtenir, après l’examen sur une station de travail, les paramètres de désynchronisation et le décalage temporel de la contraction des muscles papillaires.
Les variations du volume éjecté doivent également être mesurées ; l’augmentation de la sévérité de l’IM est, en effet, corrélée à la faible augmentation ou à la chute du volume éjecté pendant l’effort.
La pression artérielle systolique pulmonaire peut également être estimée pendant l’effort. Les variables indépendantes associées aux valeurs de pression artérielle pulmonaire à l’effort sont la surface de l’orifice régurgitant obtenue pendant l’effort de même qu’une fraction d’éjection ventriculaire gauche faible pendant l’effort. L’augmentation du volume de régurgitation à l’effort est le seul paramètre indépendant qui permette de prédire une modification induite par l’effort de la pression systolique artérielle pulmonaire. L’augmentation concomitante à l’effort de surface d’orifice régurgitant et de la pression artérielle pulmonaire permet d’identifier les patients qui risquent de développer un œdème pulmonaire aigu.
Évaluation de l’asynchronisme dynamique
Le caractère dynamique de l’IM est associé au caractère dynamique de l’asynchronisme du VG. L’asynchronisme dans les conditions basales contribue à l’aggravation de l’IM fonctionnelle pendant l’effort.
L’augmentation de l’asynchronisme pendant l’effort est également corrélée avec l’augmentation de la sévérité de l’IM et à la dégradation du volume éjecté au cours de l’exercice.
La resynchronisation ventriculaire est associée à une diminution immédiate de l’IM au repos mais ne réduit pas rapidement le caractère dynamique de celle-ci. Ce n’est que plus tardivement, lorsqu’un remodelage inverse du VG apparaît, accompagné d’une diminution de la déformation de l’appareil valvulaire mitral, que la resynchronisation entraîne une réduction de l’IM non seulement au repos mais également au cours de l’effort.
Il est donc utile d’obtenir les paramètres d’asynchronisme au repos et à l’effort soit à partir d’images enregistrées en mode Doppler tissulaire, soit à partir des images conventionnelles en appliquant la méthode de « speckle tracking » (figure 3).
Figure 3. Exemple d’asynchronisme ventriculaire gauche dynamique. Nette augmentation du délai entre les pics de vélocités myocardiques en mode Doppler tissulaire au niveau de la partie basale des segments septal et latéral.
En pratique
L’IM ischémique, lorsqu’elle est sévère et dynamique, grève le pronostic des patients coronariens qui présentent cette complication.
La physiopathologie est dominée par l’interdépendance des forces de traction et des forces de fermeture.
L’échocardiographie permet non seulement de quantifier la sévérité de l’IM et ses modifications au cours d’un effort mais rend également compte de l’influence respective des différentes forces et de leurs modifications dynamiques.
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