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Cardiologie générale

Publié le 02 mar 2010Lecture 10 min

Place du cardiologue dans le syndrome d'apnées du sommeil

F. de ROQUEFEUIL, Hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt

Le cardiologue, partant de la physiopathologie du syndrome des apnées obstructives du sommeil (SAOS) et des connaissances acquises durant les 10 dernières années sur les conséquences cardiovasculaires de cette pathologie, se doit d’être un acteur de sa prise en charge à deux niveaux :
• celui du dépistage : une étude rapide de la prévalence dans les deux sens (du SAS dans les pathologies cardiovasculaires, des pathologies cardiovasculaires dans le SAS) permet de s’en convaincre rapidement,
• celui de l’évaluation du risque cardiovasculaire d’un patient apnéique diagnostiqué.

Mais pour nous convaincre il faut pouvoir répondre à deux questions clés : - le SAS est-il un facteur de risque cardiovasculaire ? - traiter le SAS permet-il d’améliorer le pronostic des patients atteints d’une pathologie cardiovasculaire ? Malgré la persistance de nombreuses inconnues, la réponse à ses deux questions est oui. Rappel physiopathologique Le SAOS se définit par la survenue au cours du sommeil d’une interruption ou d’une réduction du flux nasal de 50 % au moins s’accompagnant : - d’une désaturation de 4 % caractérisant les apnées (A) et les hypopnées (H) ou, - d’un micro éveil (ME), qui peut survenir après une simple limitation de débit (LDD). La sévérité de cette pathologie s’évalue sur : • l’index d’apnées-hypopnées horaire : IAH avec, selon sa valeur, la possibilité de définir un SAOS : - minime (IAH > 5-15/h), - modéré (16-30/h), - sévère (> 30/h) ; • le niveau de désaturation : index de désaturation horaire, saturation moyenne nocturne, Nadir de désaturation (cutoff 82 %) ; • l’existence ou non de signes cliniques (asthénie, somnolence diurne, nycturie, etc.). Parallèlement à cette évaluation du SAOS, le cardiologue aura en tête l’évaluation du niveau de risque cardiovasculaire de son patient, sachant qu’il sera particulièrement attentif devant un SAS diagnostiqué chez un coronarien : la survenue d’une hypoxie intermittente nocturne répétitive est à éviter sur un myocarde « ischémique ». C’est en abordant la physiopathologie de la cascade des effets cardiovasculaires du SAS que cette « affirmation » prend tout son sens. Le sommeil « normal », notamment le sommeil lent profond (SLP), s’accompagne de modifications cardiovasculaires importantes avec chute du tonus sympathique, de la fréquence cardiaque, de la tension artérielle et du métabolisme. Le patient porteur d’un SAOS aura des modifications paroxystiques inverses : après chaque arrêt respiratoire, il aura une négativation des pressions intrathoraciques (avec souvent un reflux gastro-œsophagien…), un ME (asthénie diurne, sommeil non récupérateur, etc.), une activation du système sympathique (tachycardie,vasoconstriction nycturie, etc.), une désaturation, plus ou moins profonde, suivie d’une réoxygénation (angor spastique ou non, ischémie myocardique nocturne, troubles du rythme), l’ensemble entraînant à la longue une adaptation chronique du système cardiovasculaire (hyperactivité sympathique, altération des baroréflexes, élévation tensionnelle, remodelage vasculaire). Cette pathologie prédispose, par ses effets vasculaires, à une athérosclérose précoce, mais également en cas de facteur confondant (présence d’autres facteurs de risque et/ou atteinte d’organes cibles) à une évolutivité particulière de la maladie athérothrombotique en l’absence de prise en charge du SAOS. De nombreuses études expérimentales ont été effectuées avec ce qui paraît être le stimulus le plus important, à savoir l’hypoxie intermittente (HI). Chez la souris : survenue en cas de diète enrichie en cholestérol d’une athérosclérose rapide de l’aorte ascendante, qui n’apparaît pas en l’absence d’HI. Chez des volontaires sains, on observe également une augmentation de l’index de masse myocardique et l’apparition rapide de troubles métaboliques à type de résistance à l’insuline. Acteur du dépistage : pourquoi ? La prévalence du SAOS dans la patientèle cardiologique (figure 1) est très supérieure à celle de la population générale : on observe dans la population générale une prévalence de 4-6 % versus 46 % chez l’hypertendu tout-venant, 50 % chez l’insuffisant cardiaque, 60 % en prévention secondaire d’un accident vasculaire cérébral (AVC), 30 % minimum chez le coronarien stable (au décours d’un syndrome coronaire aigu (SCA). Certaines études évoquent une prévalence > 50 %). Figure 1. Prévalence des SAS dans les maladies cardiovasculaires. L’existence d’un SAS augmente le risque relatif d’AVC et d’IDM de 3,1, ce qui situe le SAS en 3e position juste derrière le tabagisme (RR 9,8) et le diabète (RR 4,2) mais devant l’HTA (1,9) et la dyslipidémie (1,8) (Pecker 1999 Eur Respir J, figure 2). Figure 2. Facteur de risque cardio-vasculaire (AVC, IDM). Le SAS augmente la morbi-mortalité cardiovasculaire parallèlement à son degré de sévérité (Marin, Lancet 2005). Le SAS sévère traité par PPC efficace bénéficie d’une réduction de morbi-mortalité tout à fait significative. Dans une étude prospective essentielle, Marin a comparé, pendant 10 ans, l’évolution de 5 groupes de sujets : témoins, ronfleurs, SAOS modérés, SAOS sévères non traités et SAOS sévères traités par PPC avec une évaluation des événements cardiovasculaires mortels (IDM et AVC) et non mortels (IDM, AVC et SCA). L’étude montre, de manière très significative, que les apnéiques sévères non traités ont une surmortalité cardiovasculaire et une sur-morbidité comparativement au groupe témoin alors que la mise sous ventilation nocturne des SAOS sévères leur permet de rejoindre le risque de morbi-mortalité des simples « ronfleurs » (figure 3). Figure 3. Etude observationnelle sur 10 ans. 2 certitudes : une morbi-mortalité augmentée et une efficacité du traitement. Acteur du dépistage : avec quels outils ? L’interrogatoire du patient reste un moment phare de la décision, redouté car chronophage, il peut être facilité par le préremplissage en salle d’attente d’un questionnaire adapté comportant les items à rechercher : somnolence diurne invalidante (échelle d’Epworth > 10) ; présence de ronflements associés ou non à une obstruction nasale chronique (antécédents de fractures de nez, de sinusite chronique, terrain atopique), asthénie et/ou céphalées et/ou bouche sèche au réveil, nycturie (HTA nocturne), pyrosis (négativation des pressions intrathoraciques). Une question toute simple mais ayant une grande valeur d’orientation, concerne le délai d’endormissement : « en quelques minutes » pour un SAS sévère. L’examen clinique apprécie la tension artérielle (TA), la fréquence cardiaque (FC), le poids, la taille, avec calcul de l’IMC (facteur de risque confondant majeur), le périmètre abdominal (PA) et le tour de cou (TC), qui sont les 6 constantes à noter, avec, bien sûr, une étude rapide de la morphologie faciale (recherche d’une déviation de cloison nasale évidente, présence ou non d’une rétromandibulie, sources de rétrécissement de la filière oropharyngée postérieure). La recherche d’une atteinte d’organe cible associée, sera la troisième étape de la démarche, à la fois diagnostique et thérapeutique. La prise en charge ultérieure sera guidée par le niveau de sévérité du SAS, le niveau de désaturation, l’existence ou non d’une asthénie diurne, mais également l’existence d’une HTA, d’un antécédent d’AVC ou de troubles du rythme, la présence de souffles artériels périphériques, témoignant d’une artériopathie, d’une insuffisance cardiaque et d’un trouble de la régulation du métabolisme glucidique (insulinorésistance, syndrome métabolique, intolérance au glucose, diabète). Le cardiologue va utiliser les outils à sa disposition lui permettant de déterminer le niveau de risque cardiovasculaire : - l’ECG bien sûr, - l’enregistrement de la TA sur 24 h : la MAPA occupe une place importante ; elle va permettre de mettre en évidence une HTA diastolique éventuellement méconnue, de confirmer l’existence d’une hypertonie sympathique, et de rechercher un aspect non dipper quasi pathognomonique du SAOS ; - les autocontrôles de TA sont intéressants car il permettront de montrer des chiffres de TA au réveil souvent plus élevés que les chiffres de TA du soir, ce qui est un élément d’orientation ; - un bilan sanguin comporte un dosage de la glycémie à jeun, un bilan lipidique (cholestérol total, HDL, LDL, triglycérides) et une étude de la fonction rénale ; - restent la pratique d’un test ischémique (recherche d’une coronaropathie méconnue ou d’une évolutivité coronarienne), d’une échocardiographie Doppler (recherche d’une dysfonction ventriculaire systolique ou diastolique), et d’un écho-Doppler des troncs supraaortiques (évaluation du degré d’athérosclérose périphérique ) qui ne seront pas systématiques, mais laissés au choix du cardiologue selon le niveau du risque cardiovasculaire du patient, mais aussi selon l’existence de signe d’appel en prévention primaire ou secondaire, il s’agit du choix et de l’obligation du cardiologue. Pathologies par pathologies, quelles sont les particularités à connaître ? Sur l’HTA et le SAS : - la prévalence importante de SAS chez les hypertendus ; - la relation quasi linéaire entre le degré de gravité de l’HTA et l’index d’apnées-hypopnées (Young : le risque relatif de développer une HTA se situe entre 1,5 et 2,2 après indexation sur les facteurs confondants, l’obésité notamment) (figure 4) ; - la fréquence d’une HTA méconnue, notamment diastolique, chez les apnéiques diagnostiqués ; - la présence d’une hypertonie sympathique associée (qui dans certains cas peut prendre l’aspect d’une relative résistance aux bêtabloquants) ; - l’aspect non dipper sur la MAPA ; - l’existence d’une HTA résistante (cf. les recommandations de l’HAS. sur la recherche d’un SAS dans ce contexte ; - l’HTA du matin (parfois facilement mis en évidence par les autocontrôles) ; - l’incidence positive du traitement (baisse de 1,69 mmhg sur HTA moyenne sous PPC). Figure 4. Syndrome d’apnées du sommeil et HTA. Relation de type « Effet-dose » entre SAS et HTA. Sur le syndrome métabolique (SM) et le SAS : - les déterminants sont les mêmes pour ces deux pathologies ; - il existe une relation linéaire entre IAH et IMC ; la perte de poids est un des traitements du SAS dont l’efficacité n’est pas discutée ; - le SAS a un effet spécifique sur la distribution de la graisse viscérale (étude de Vgontas, Sleep Med Rev 2005), avec une relation linéaire entre l’IAH et l’index de masse viscérale (figure 5) ; - le rôle important des adipocytes, dans le développement d’une insulinorésistance chez les apnéiques. Figure 5. HTA avec obésité. Syndrome d’apnées du sommeil favorisant le syndrome métabolique. Sur les troubles du rythme et le SAS : - prévalence de l’arythmie complète par fibrillation auriculaire (AC/FA) augmentée (4,8 % versus 0,9 %) ; - en prévention secondaire d’AC/FA traitée par choc électrique externe (CEE En cas de SAS non traité, le risque relatif de récidive à 12 mois est multiplié par 2 (82 % versus 42 %) ; il faut tenir compte du facteur confondant représenté par l’obésité ; à mon sens, devant une AC/FA régularisée par CEE, le cardiologue doit faire une recherche de SAS ; - l’hyperexcitabilité myocardique (extrasystolie ventriculaire et/ou auriculaire : ESV et ESA) régresse sous ventilation positive nocturne ; - les morts subites sont plus fréquentes la nuit en cas de SAS. Sur les coronaropathies et le SAS : que sait-on ? - Il existe une surmortalité, démontrée par Pecker en 2000 sur 62 patients d’USIC suivis pendant 5 ans : 38 % versus 9 %, et confirmée par toutes les études ; la sévérité du SAS était la seule variable indépendante prédictive de mortalité (p = 0,018) ; - la survenue des événements cardiovasculaires majeurs (MACE) est controversée : selon Milleron (2004) : MACE 58 % versus 24 %, réduction du risque relatif de 30 % (p 0,01) sur un suivi de 74 mois chez des coronariens apnéiques traités ou non traités (figure 6) ; selon Yumino (2007) : MACE : 5,3 % versus 23,5 %, resténose 15 % versus 37 % à 6 mois d’une angioplastie, selon l’existence d’un SAS ou non ; - la constitution d’un groupe témoin comparable au groupe apnéique en termes de facteur de risque cardiovasculaire est difficile en raison des facteurs confondants ; - le rôle bénéfique du traitement est démontré en cas de SAS obstructif sévère : si le rôle délétère de la désaturation nocturne semble évident, le lissage obtenu sous PPC en termes de FC et de TA plaident pour la poursuite d’une prise en charge dans l’attente d’études indiscutables. Figure 6. Le traitement du SAOS diminue le taux d’événements cardio-vasculaires chez les coronariens (Milleron, EHJ 2004). Sur l’insuffisance cardiaque et le SAS : - le SAS dans l’insuffisance cardiaque n’est pas seulement central ; il est le plus souvent obstructif ou mixte (la cohorte française de 316 patients avec une FEVG < 45 % comportait 70 % d’obstructifs) ; - l’asthénie, qui est d’un des symptômes majeurs de l’insuffisant cardiaque, est davantage présente que la somnolence ; - la présence d’un SAS est un facteur de mauvais pronostic chez l’insuffisant cardiaque, potentialisé par l’existence d’une dilatation de l’OG (figure 7) ; - la qualité de vie sous ventilation est améliorée ; - la ventilation doit se faire à deux niveaux de pressions (avec une aide expiratoire et inspiratoire), au mieux auto-asservie (BiPAP « autopilotée ») pour être efficace et bien tolérée. Figure 7. Mortalité en fonction de l’IAH et de la taille de l’OG chez l’insuffisant cardiaque. Le cardiologue a un grand rôle à jouer dans la prise en charge du patient apnéique en collaboration avec le pneumologue, dont l’expérience permet de confirmer le diagnostic et de mettre en route un traitement (simples règles hygiéno-diététiques, gestes ORL, orthèse d’avancée mandibulaire ou ventilation positive nocturne). Il s’agit pour nous de stratifier le niveau de risque cardiovasculaire d’un apnéique connu et traité. Pourquoi ? La prévalence des pathologies cardiovasculaires augmente avec la sévérité du SAS. L’étude de la Wisconsin Sleep Cohort study chez 1 206 patients a montré que la prévalence des maladies cardiovasculaires est de 4 % dans la population générale, 10 % si l’IAH est entre 15 et 30, et de 18 % si IAH est > 30 ; Le SAS est reconnu comme un facteur de risque d’HTA ; Sa reconnaissance comme facteur de risque cardiovasculaire au niveau du continuum se situe à plusieurs niveaux : au démarrage, comme un facteur de risque associé ; également en tant que facteur évolutif probable chez le coronarien, ou en présence de troubles du rythme, sans oublier le rôle pronostique délétère chez l’insuffisant cardiaque (figure 8). Figure 8. Le continuum de la maladie coronaire. En pratique La dysfonction endothéliale précoce et accélérée est probablement au cœur du risque cardiovasculaire du SAOS en raison des épisodes désaturants et de l’hypertonie sympathique, responsables d’une cascade de conséquences métaboliques et inflammatoires. Certes, il s’agit de continuer à progresser dans la compréhension de cet articulé mais l’heure d’une entrée des cardiologues sur la scène du dépistage et de la prise en charge cardiovasculaire des apnéiques a sonné, confirmant la nécessité d’une étroite collaboration entre les différents spécialistes pour améliorer le pronostic de cette pathologie. Cette « entrée » des cardiologues ne peut qu’aboutir à l’augmentation de la charge de travail des pneumologues et non l’inverse.

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