Publié le 20 juin 2006Lecture 7 min
Quel est le rapport bénéfice/risque de la prescription d'une statine ?
F. DIÉVART, Clinique Villette, Dunkerque
La prescription d’une statine chez un patient donné, si elle peut et doit être guidée par les recommandations, ne peut faire l’impasse d’une évaluation du rapport bénéfice/risque pour chaque patient. Pour juger de ce rapport chez un patient donné, il faut prendre en compte un raisonnement statistique évaluant les bénéfices et les risques d’une telle prescription.
Quel est le risque délétère des statines ?
Quelques publications ont permis d’obtenir une approche quantitative à grande échelle du risque de rhabdomyolyse fatale encouru avec les statines (notamment le New England Journal of Medicine 2002 ; 346 : 539-40 et Circulation 2005 ; 111 : 3051-7).
Les risques observés sont rapportés dans les tableaux 1 et 2. Ces données permettent schématiquement de conclure que la prescription de statines expose à 2 cas fatals de rhabdomyolyse par million de prescriptions.
Quel est le bénéfice de la prescription d’une statine ?
Ce bénéfice peut être exprimé en valeur relative et celle-ci sera fixe et en valeur absolue, et celle-ci dépend du niveau de risque absolu du patient.
En valeur relative, il peut être établi que, sur une durée moyenne de 10 ans, la prescription d’une posologie usuelle d’une statine doit permettre de baisser de 30 % le risque d’infarctus du myocarde (réduction relative du risque : RRR) ; en termes de bénéfice absolu, le bénéfice d’une prescription d’une statine dépend du risque absolu du patient.
Quel est le rapport bénéfice/risque de la prescription d’une statine pour un patient donné ?
Le rapport bénéfice/risque de la prescription d’une statine ne dépend pas de la valeur du LDL mais de celle du risque absolu du patient comme cela va être illustré par les deux exemples suivants.
Soit un patient dont le LDL est à 0,97 g/l et dont le risque absolu (RA) d’infarctus du myocarde à 10 ans est de 50 % ; lui proposer une statine diminuera ce risque de 30 % (RRR), la diminution absolue du risque (RAR) sera donc de 15 %, faisant donc passer le risque absolu de ce patient à 35 %. En d’autres termes, traiter 1 000 pa-tients de ce type pendant 10 ans avec une statine doit permettre d’éviter 150 infarctus du myocarde ou encore, le nombre de patients à traiter (NPT) pendant 10 ans pour éviter un infarctus sera de 6,66 (1/RAR). Sachant que le risque de rhadbomyolyse fatale est de 2 cas par million de prescriptions, la prescription d’une statine à une population de patients dont le risque d’infarctus à 10 ans est de 50 % permettra, pour 1 cas de rhadbomyolyse fatale induit, d’éviter 75 000 in-farctus fatals et non fatals. Le rapport bénéfice/risque d’une telle prescription est donc extrêmement favorable.
Soit un patient dont le LDL est à 2,25 g/l et dont le risque absolu d’infarctus du myocarde à 10 ans est de 0,1 %, proposer une statine à ce patient fera passer son risque absolu à 0,07 %. Le nombre de sujet à traiter (NPT) pendant 10 ans pour éviter un infarctus du myocarde sera de 3 333 ou, en d’autres termes, traiter 10 000 patients pendant 10 ans permettra d’éviter 3 infarctus du myocarde.
Sachant qu’il y a 2 cas fatals de rhadbomyolyse par million de prescriptions, traiter une population de ce niveau de risque, quelle que soit la valeur de son LDL cholestérol induira 1 rhadbomyolyse fatale pour 15 infarctus évités, et le rapport bénéfice/risque, s’il reste positif, est déjà nettement moins favorable. Par ailleurs en supposant que ce patient sportif prenne régulièrement des antifongiques et du jus de pamplemousse, le risque d’effets indésirables musculaires augmente, diminuant d’autant le rapport bénéfice/risque.
Cas pratique
Si l’on prend le cas du premier patient, celui dont le risque cardiovasculaire absolu est à 50 % et dont le LDL est à 0,97 g/l : lui prescrire une statine n’est pas en accord avec les recommandations françaises de 2005 puisqu’il est à l’objectif.
Que risque le médecin pour avoir une pratique non conforme aux recommandations ?
L’assurance maladie ne pourrait reprocher au médecin d’avoir prescrit au patient de la simvastatine ou de l’atorvastatine (dans ce second cas, si ce patient est diabétique) puisque ces molécules ont une indication remboursable « qu’il y ait ou non hypercholestérolémie associée ».
Le patient sera-t-il remboursé ?
La caisse d’assurance maladie n’est pas la garante de l’application des recommandations en matière de remboursement mais uniquement des indications remboursables et donc, ne peut et ne doit pas refuser la prise en charge de ce patient. Le médecin doit en être rassuré de même que l’assuré.
Que risque le médecin si une rhabdomyolyse survient ?
Bien qu’il n’agisse pas dans le cadre des recommandations, le médecin peut tout à fait justifier sa prescription puisque, pour ce patient, le rapport bénéfice/risque de la prescription d’une statine est hautement favorable et donc… justifiable. Bien évidemment, outre le simple raisonnement mathématique ou probabiliste, le médecin en prescrivant une statine devra, d’une part, s’être assuré que les éléments associés à cette prescription et la façon dont a été faite la prescription ne constituaient pas des facteurs favorisant ou augmentant le risque de rhabdomyolyse à un niveau peu acceptable (tableaux 3 et 4) et, d’autre part, il devait avoir prévenu le patient des risques encourus avec ce traitement et notamment de la nécessité de consulter en cas de survenue de douleurs musculaires. Si ces différents éléments peuvent être justifiés, la pratique du médecin ne devrait pas devoir ou pouvoir être mise en cause.
Mais retournons l’argument, et dans le bon sens, car, de fait, ce patient a beaucoup plus de probabilité d’être victime d’un infarctus du myocarde que d’une rhabdomyolyse : donc, pour ce même patient, qui par ailleurs n’aurait pas de facteurs pouvant favoriser la survenue d’une rhabdomyolyse.
Que risquerait le médecin qui ne prescrirait pas de statine, si ce patient venait à décéder d’un infarctus du myocarde ?
A tout le moins, il peut être considéré que de n’avoir pas une pratique en accord avec les recommandations constitue pour ce patient une perte de chance certaine et, très probablement, cet argument aurait plus de poids devant un tribunal que le respect ou non des recommandations. Les délégués de l’assurance maladie qui visitent les médecins en mettant en avant les recommandations Afssaps 2005, ont-ils considéré le problème sous cet angle en sachant que la démarche qui consiste à prescrire une statine à ce patient paraît plus conforme à l’éthique médicale que le respect des recommandations ?
Qu’elle est la rentabilité potentielle de cette démarche ?
Elle peut être calculée en termes de coût induit pour éviter un infarctus. Sachant qu’il faut traiter 6,66 patients de ce type pendant 10 ans pour éviter un infarctus, le coût réel d’une telle prescription est calculable selon l’équation : (coût journalier de la statine x 3 650 x 6,66 + coût de la surveillance) – (coût moyen d’un infarctus du myocarde). Quelle que soit sa valeur de départ, le rapport coût/efficacité de la démarche sur 10 ans ne fera probablement que croître puisque le coût journalier de la statine va diminuer progressivement (avec le passage aux génériques notamment) et que l’on peut envisager des baisses encore plus importante de LDL, donc une augmentation du bénéfice relatif et donc une diminution du nombre de patients à traiter, alors qu’en parallèle, tout indique que le coût de la prise en charge de l’infarctus va augmenter du fait du coût hospitalier et des technologies appliquées.
Comment optimiser le rapport bénéfice/risque de la prescription d’une statine ?
Optimiser le rapport bénéfice/risque de la prescription d’une statine repose sur une démarche où tout doit concourir à augmenter le bénéfice et à diminuer les risques.
En approche individuelle
Le meilleur garant du bénéfice est de prescrire aux patients à risque le plus élevé : le nombre de patients à traiter pour éviter un infarctus du myocarde sera d’autant plus faible que le risque absolu du patient est élevé. En second lieu, il convient d’obtenir la diminution la plus importante possible du LDL-cholestérol puisqu’il y a une relation linéaire entre la diminution du LDL et celle du risque cardiovasculaire. Enfin, plusieurs éléments doivent permettre de diminuer les risques, tels que la prise en compte des traitements associés, des comorbidités et les modalités de surveillance.
En approche de population
La démarche est différente puisqu’il pourrait être considéré que, si le risque moyen de la population est faible, cette population sera à l’origine de beaucoup plus d’infarctus du myocarde que la population des patients à risque élevé. Ainsi, en reprenant les deux exemples cités plus haut : si la population des patients dont le risque cardiovasculaire est à 0,1 % est 10 000 fois plus importante que celle des patients dont le risque cardiovasculaire est à 50 %, en traitant la première population avec une statine permettant de diminuer de 30 % le LDL, il sera évité 20 fois plus d’infarctus du myocarde en nombre absolu qu’en traitant la seconde population. Cette notion a pu laisser envisager qu’un traitement par statine devrait ou pourrait être proposé largement à des populations à bas risque mais importantes en nombre. Si cela permet d’augmenter le bénéfice à l’échelle de toute une population, cela ne change rien au rapport bénéfice/risque individuel pour chaque membre de cette population : le risque reste de 1 rhadbomyolyse fatale pour 15 infarctus évités.
Ainsi
Le médecin doit-il individuellement, devant chaque patient, peser le pour et le contre d’une prescription afin d’assurer une prise en charge optimale. Cette éventuelle ordonnance doit s’accompagner d’explications et le patient doit être prévenu des risques encourus par le traitement ou l’absence de traitement.
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