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Coronaires

Publié le 10 avr 2007Lecture 7 min

Quelle anticoagulation dans l'infarctus du myocarde en 2007 ?

G. LAMBERT, d'après une rencontre avec G. MONTALESCOT

Demeurée longtemps sans concurrence, l’héparine non fractionnée n’en présente pas moins de nombreux inconvénients qui limitent son utilisation, notamment dans la prise en charge du syndrome coronaire aigu avec sus décalage ST. G. Montalescot fait le point des alternatives aujourd’hui disponibles.

Cardiologie Pratique : pouvez-vous nous rappeler la place de l'héparine non fractionnée (HNF) dans la prise en charge du syndrome coronaire aigu (SCA) avec sus décalage ST ? G. Montalescot : Devant un SCA avec sus décalage de ST, trois attitudes thérapeutiques sont possibles : • la reperfusion avec thrombolyse, • la reperfusion avec angioplastie, • l’absence de reperfusion. Dans chacune de ces situations, il existe une indication à l’anticoagulation, toutefois moins nette lorsqu’il n’y a pas de reperfusion. L’HNF a longtemps été le standard, avec une tendance à la diminution des doses au cours des années, en particulier pour éviter les saignements majeurs qui résultent de l’association de la thrombolyse et de l’anticoagulation. L’HNF a aussi été la référence dans l’angioplastie primaire avec des doses également revues à la baisse, mais de façon moins importante. Enfin, l’HNF a été utilisée en association avec de l’aspirine chez les patients qui se présentaient trop tardivement à l’hôpital pour être reperfusés. Actuellement on ne traite jamais plus d’une semaine, souvent beaucoup moins, en particulier en cas d’angioplastie primaire. L’anticoagulation peut être arrêtée dès la 24e heure et, si tout se passe bien, la sortie se fait dès le troisième jour. Avec la thrombolyse il semble qu’il y ait intérêt à poursuivre l’anticoagulation soit jusqu’au cathétérisme complémentaire avec angioplastie éventuelle, auquel cas on se retrouve dans la situation précédente, soit pendant toute la phase hospitalière. Chez les patients qui ne sont pas reperfusés, l’anticoagulation est aussi donnée pendant le temps de l’hospitalisation. Quels sont les problèmes rencontrés avec l'héparine ? GM : Le premier problème est lié à la mauvaise biodisponibilité de l’HNF qui en fait un produit difficile à manier. On ne peut pas définir un protocole applicable chez tous les patients. Il suffit par exemple d’avoir un important syndrome inflammatoire pour être obligé d’augmenter les doses. Il faut donc contrôler le traitement, soit par TCA (=TCK) lorsqu’on a le temps d’attendre les résultats pendant plusieurs heures, soit par l’ACT en salle de cathétérisme (Activated Coagulation Time), qui est une mesure sur sang total. Mais ces tests sont mal corrélés au devenir clinique du patient, le niveau d’anticoagulation mesuré avec ces examens n’étant prédictif ni de la récidive ischémique, ni de la mortalité. Il existe par ailleurs une grande variabilité de ces mesures, ce qui rend leur interprétation encore plus délicate. Une autre limite est la fréquence des complications liées à l’HNF, au premier rang desquelles les hémorragies. Lorsque les tests ne sont pas satisfaisants il est nécessaire d’augmenter les doses et c’est notamment dans ces circonstances que surviennent ces complications. Les thrombopénies induites par l’héparine (TIH), qui sont beaucoup plus fréquentes avec l’HNF qu’avec d’autres produits disponibles aujourd’hui, représentent une autre complication à prendre en compte. Enfin, les enquêtes montrent que, dans les hôpitaux, l’HNF arrive parmi les premiers produits impliqués dans les erreurs médicales, avant les antibiotiques et l’insuline. Quelle est l'alternative à l'HNF dans le SCA avec sus décalage de ST ? GM : Trois nouveaux anticoagulants font leur apparition : • les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), avec un développement particulièrement important pour l’énoxaparine, notamment dans cette indication, alors qu’il existe peu ou pas de données pour les autres molécules de la classe; • la bivalirudine, un inhibiteur direct de thrombine qui a été évalué dans l’angioplastie et dans le SCA sans sus décalage de ST, mais pas dans l’infarctus ; • le fondaparinux, le pentasaccharide qui a été testé dans l’infarctus aigu du myocarde (SCA ST+) et dans le SCA sans sus décalage de ST. Du fait des problèmes avec l’HNF est-il encore logique de l’utiliser, en 2007, dans cette indication ? GM : Je pense qu’il existe maintenant suffisamment de données pour changer l’anticoagulation dans l’IDM. Dans le service nous avons déjà modifié notre pratique dans cette situation et utilisons l’énoxaparine. Quelle est l'étude qui a montré la supériorité de l'énoxaparine ? GM : L’étude pivot pour l’IDM thrombolysé est l’étude EXTRACT- TIMI 251, une grande étude multicentrique en double-aveugle qui a recruté plus de 20 000 patients. Il s’agit d’une étude de thrombolyse de l’IDM où l’énoxaparine a été comparée à l’héparine standard administrée aux doses recommandées (60U/kg en bolus intraveineux puis 12U/kg/h). L’énoxaparine a été délivrée à la dose de 1mg/kg en sous-cutané toutes les 12 heures 15 minutes après un bolus intraveineux de 30 mg. Pour les patients âgés de plus 75 ans, le bolus a été supprimé et les doses abaissées à 0,75 mg/kg/12h. La posologie était également adaptée en cas d’insuffisance rénale. Du fait de la facilité d’utilisation de l’énoxaparine en injections sous-cutanées et sans adaptation des doses, il faut noter que les patients recevant l’énoxaparine ont été traités plus longtemps (globalement jusqu’à 8 jours) comparativement à l’HNF (48 heures en moyenne). Les résultats de ce travail ont montré une réduction significative de 17 % (p < 0,001) des décès et de la récidive d’IDM avec l’énoxaparine, deux critères regroupés dans l’objectif primaire d’évaluation, avec un gain observé dès le troisième jour. Le bénéfice sur la mortalité est relativement modeste et non significatif (7,5 % de décès avec l’HNF versus 6,9% avec énoxaparine, p=0,11), alors qu’il est beaucoup plus net sur les reinfarctus liés aux réocclusions coronaires (4,5% HNF vs 3% énoxaparine, p<0,001 avec RR 33 %). Quelle a été l'incidence des effets indésirables dans le groupe recevant de l'énoxaparine ? GM : On a noté un petit excès d’hémorragies majeures, mais pas d’hémorragie intracrânienne. Cet effet peut être lié à la durée du traitement avec l’énoxaparine, plus long qu’avec l’HNF. On retiendra qu’il faut sans doute éviter de traiter trop longtemps des patients à risque hémorragique tout en conservant le bénéfice du traitement sur la période la plus précoce. Quoi qu’il en soit, le bénéfice clinique net, c’est-à-dire prenant en compte les taux de décès, d’IDM et d’hémorragies majeures, reste très en faveur de l’énoxaparine. De nombreuses études ancillaires ont été conduites autour d'EXTRACT-TIMI 25. Le bénéfice est-il encore plus net dans certains sous-groupes ? GM : Oui, plusieurs sous-analyses sont intéressantes, notamment celle qui a porté sur presque 5 000 patients2 qui ont eu une angioplastie. Ces malades ont été thrombolysés et dilatés en double-aveugle, sans que les médecins connaissent le traitement en cours. Les résultats montrent un bénéfice plus marqué encore que dans l’étude principale : 16,7 % de décès et récidive IDM avec HNF contre 13 % avec énoxaparine (p = 0,002, RR = 0,77). Le taux d’hémorragies majeures était identique dans les deux groupes (1,4 % énoxaparine vs 1,6 % HNF), et celui d’AVC ischémiques significativement abaissé avec l’énoxaparine (0,3 vs 0,9 %, p = 0,006). Pour ces patients qui se rapprochent beaucoup de ceux que nous voyons en France, le bénéfice est donc encore plus grand. Le même bénéfice est-il attendu en cas d'angioplastie programmée ? GM : L’étude STEEPLE3, qui a inclus 3 500 patients, a comparé de façon randomisée l’HNF par voie intraveineuse aux doses recommandées à l’énoxaparine par voie intraveineuse à deux doses différentes : 0,5 mg/kg ou 0,75 mg/kg. Les résultats à 30 jours de suivi ont montré une supériorité de l’énoxaparine 0,5 mg/kg en termes de sécurité avec une diminution de presque 60 % des hémorragies majeures par rapport à l’HNF, pour une efficacité comparable. Pour la dose de 0,75 mg/kg, les événements étaient également diminués, mais moins qu’avec l’autre dosage. Sur le plan économique le choix de l'énoxaparine est-il avantageux ? GM : Nous ne disposons pas encore des analyses médico-économiques sur EXTRACT ou sur STEEPLE mais la réduction des complications (réhospitalisations, prolongations des hospitalisations) devrait avoir un impact important sur les coûts. On peut donc parier qu’il y aura également un avantage médico-économique, et ce d’autant que l’énoxaparine n’est pas un médicament cher, en particulier dans notre pays. Vous avez cité le fondaparinux comme autre alternative à l'anticoagulation par HNF dans l'IDM. Qu'en est-il ? GM : Le fondaparinux a été testé dans deux grandes études, OASIS-54 et OASIS-65. Alors que nous avons pris soin, depuis le début de cette interview, de distinguer les différents scénarios dans l’IDM, dans OASIS-6 les differentes situations cliniques (reperfusion ou non, thrombolyse ou angioplastie, etc.) ont été analysées de manière globale. En premier lieu on constate que dans l’angioplastie primaire, les résultats en termes de réinfarctus et de décès ne sont pas meilleurs qu’avec l’HNF, voire moins bons. On ne peut donc pas recommander cette molécule dans l’angioplastie primaire. Dans l’autre grand groupe où l’on trouve des patients thrombolysés et d’autres qui ne l’ont pas été, il semble que le fondaparinux peut faire jeu égal avec l’HNF, avec une bonne sécurité d’emploi. Quel protocole suivez-vous aujourd'hui à la Pitié après thrombolyse ou angioplastie ? GM : Dans notre service nous recevons peu de patients reperfusés par thrombolyse, mais dans ces cas, on associe une anticoagulation par l’énoxaparine. Nous réalisons en revanche beaucoup d’angioplasties primaires,. Ces malades sont anticoagulés en salle de cathétérisme avec de l’énoxaparine par voie intraveineuse comme dans l’étude STEEPLE, soit une dose de 0,5mg/kg d’énoxaparine. Ils reçoivent ensuite une injection sous-cutanée de 40 mg à titre préventif. Lorsqu’il n’y a pas de complications, le traitement anticoagulant est arrêté le lendemain et la sortie se fait au troisième jour.

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