Publié le 13 jan 2009Lecture 11 min
Qui orienter vers un centre d'angioplastie après thrombolyse ?
G. POCHMALICKI, Centre hospitalier de Provins
La prise en charge des infarctus du myocarde a fait l’objet de nouvelles recommandations de l’ESC, afin de guider le choix de la stratégie de reperfusion initiale entre thrombolyse initiale et angioplastie primaire.
L'infarctus du myocarde (IDM) ST+ est souvent déclenché par la rupture d’une plaque vulnérable avec occlusion thrombotique occasionnant des dégâts myocardiques irréversibles dès 15 à 30 minutes. Après l’établissement du diagnostic deux approches sont possibles pour la primordiale revascularisation du vaisseau : la fibrinolyse médicamenteuse et l’angioplastie primaire.
La fibrinolyse
De nombreuses années se sont écoulées depuis GISSI qui, en 1986, a prouvé chez plus de 11 000 patients que la streptokinase IV réduit la mortalité des sujets traités dans les 6 premières heures de leurs symptômes. La fibrinolyse, en recanalisant l’occlusion, réduit la taille de la nécrose, améliore la fonction myocardique ainsi que la survie ; elle réduit les dégâts microcirculatoires dans la zone infarcie, les besoins en oxygène, inhibe l’accumulation des métabolites toxiques, accroît la disponibilité des substrats pour le métabolisme anaérobie et atténue les effets des médiateurs délétères pour les structures intracellulaires et les membranes.
Rappelons que d’après le Fibrinolytic Therapy Trialists Group en particulier, la fibrinolyse dans les 6 premières heures permet d’éviter 30 à 50 décès sur 1 000 patients traités, avec un gain de survie persistant à 10 ans ! Bien que les fibrinolytiques de dernière génération revascularisent le vaisseau dans plus de deux tiers des cas, l’évolution spontanée est émaillée d’un taux de récidives ischémiques de 20 à 30 %, de réocclusions de 5 à 15 % et de récidive d’IDM de 3 à 5 %, la plupart des patients ayant des sténoses coronaires significatives après une thrombolyse même réussie.
Les particularités du système de soins français
Une des particularités du système de soins français est une organisation forte de la prise en charge des urgences extrahospitalières reposant sur les services d’aide médicale urgente (SAMU) qui assurent la régulation et la réception des appels et peuvent activer différents effecteurs, parmi lesquels les SMUR (structures mobiles d’urgences et réanimation) avec un premier intervenant souvent non cardiologue et une grande hétérogénéité résultante de la prise en charge des SCA ST+. En dépit d’un maillage avec des centres de référence ouverts 24 h/24, des système de télétransmission d’ECG, d’hélicoptères, la plupart des patients en particulier en zone rurale ne bénéficient pas d’angioplastie primaire dans les délais idéaux. Les véhicules du SMUR sont donc équipés, pour la plupart, des moyens diagnostiques et thérapeutiques permettant au besoin de mettre en route la reperfusion pharmacologique des IDM avant même d’arriver dans un établissement de soin, dans le but d’atteindre 75 % de reperfusés dans les trois premières heures.
Cependant, les tentatives pour étendre aux patients le bénéfice de la revascularisation mécanique en les fibrinolysant initialement puis en les dilatant précocement ont été controversés par l’incidence élevée de saignements et d’événements ischémiques dans ASSENT 4 PCI.
Actuellement, en France, les patients sont dans la plupart des cas pris en charge de façon conservatrice dans des centres non interventionnels avec thrombolyse initiale suivie d’un transfert pour angioplastie seulement en cas de non-reperfusion ou d’instabilité hémodynamique.
Les critères qui conditionnent la stratégie de reperfusion sont les suivants :
- délai écoulé depuis le début de la douleur,
- gravité de la nécrose,
- risque lié à l’emploi des thrombolytiques,
- délai nécessaire pour initier une stratégie invasive.
Le délai entre le début des symptômes et la reperfusion se décompose en :
- temps « patient-dépendant » nécessaire au malade ou à son entourage pour reconnaître la gravité de son problème et appeler un médecin ;
- temps « organisation-dépendant » ;
- prise en charge médicalisée préhospitalière, mise en route de la thérapeutique et transport ;
- délai de confirmation du diagnostic et début du traitement, c'est-à-dire délai « door to needle » de mise en route de la thrombolyse ou délai « door to balloon » chez les patients qui vont bénéficier d’une stratégie de reperfusion. Il est à noter qu’aux États-Unis, la « door » est assimilée à la porte de l’hôpital. En France, le SMUR, structure hospitalière ambulatoire déplace cette « door » en divers sites hors de l’hôpital. Ainsi, le délai « de la porte au ballon » correspond à la durée écoulée entre deux instants : celui du premier contact avec le médecin permettant grâce à l’ECG le diagnostic et celui du moment de l’inflation du ballon dans la coronaire ;
- délai entre la mise en route de la thérapeutique et la restauration du flux coronarien.
Les principaux facteurs péjoratifs pour le délai de prise en charge sont : l’âge élevé, le sexe féminin, le bas niveau socioéconomique, un seuil de résistance élevé à la douleur, un diabète, une perte de temps induite par une consultation préalable, une prise en charge le week-end ou en dehors des « heures ouvrables ».
La fibrinolyse préhospitalière ; dans le monde réel, la thrombolyse peut être réalisée beaucoup plus précocement que l’angioplastie primaire !
Plusieurs études randomisées ont évalué la fibrinolyse préhospitalière et une métaanalyse suggère une baisse de la mortalité de 17 % étayée par l’étude CAPTIM dans les IDM ST+ recevant une fibrinolyse préhospitalière, comparativement à l’angioplastie primaire, nette lorsque les patients sont traités moins de 2 heures après le début des symptômes. Le plus grand gain est observé lorsque la reperfusion peut être débutée dans les 60 à 90 minutes. Au domicile ou aux urgences, un sus-décalage du segment ST ou un nouveau BBG couplé à une douleur thoracobrachiale ou moins typique, suggère l’occlusion d’une artère épicardique et doit conduire à débuter la stratégie de reperfusion. L’ECG 12 dérivations (ou mieux 18 dérivations) étant la clé de voûte du diagnostic, il doit être réalisé très vite. Les objectifs sont alors un délai « door to needle » < 30 minutes pour l’instauration de la thrombolyse ou un délai « door to ballon » < 90 minutes pour l’angioplastie.
Au domicile, le SAMU doit donc opter entre la thrombolyse ou la stratégie invasive. Si la symptomatologie est présente depuis moins de trois heures, et l’accès à une salle interventionnelle immédiat, il n’y a pas de supériorité de l’une des deux stratégies. Au-delà de la 3e heure, le bénéfice de la fibrinolyse s’estompe au profit de l’angioplastie primaire.
Dans les recommandations ESC 2008
La stratégie invasive est à privilégier si elle est réalisable < 2 heures après le premier contact médical dans un centre expérimenté ouvert 24 h/24 et 7 j/7, en particulier en cas de nécrose à haut risque (insuffisance cardiaque, voire choc), de contre-indication à la thrombolyse ou de risque élevé d’hémorragie en particulier intracrânienne, de doute sur le diagnostic de nécrose aiguë.
La thrombolyse vient en second choix, en l’absence de contre-indication, si l’angioplastie ne peut être réalisée en moins de deux heures, la salle de cathétérisme étant occupée ou non disponible, avec un délai probable de reperfusion trop long en raison du transport. Nous ne détaillerons pas le choix du fibrinolytique (le meilleur nous semble être la ténectéplase, fibrinospécifique et utilisable en bolus IV unique en dix secondes environ, à demi-vie courte, adaptable au poids du patient), ni les autres traitements adjuvants (aspirine, dose de charge de clopidogrel, enoxaparine, morphine, etc.), le tout chez un patient mis en condition (monitorage, voie veineuse, défibrillateur prêt). La thrombolyse, plus aisée à mettre en œuvre que l’angioplastie primaire, même en France où des centres interventionnels sont implantés dans nombre de régions, a pour elle l’avantage de sa simplicité !
Un transfert en urgence d’un centre hospitalier à un autre, interventionnel, est nécessaire si le patient est arrivé directement aux urgences et si la dilatation peut être débutée en < 90 min après l’arrivée dans le premier hôpital receveur ou en < 60 min par rapport à la thrombolyse dans l’hôpital receveur, ou s’il existe une contre-indication à la thrombolyse. Il en est de même dans le cas où la fibrinolyse échoue ou en cas d’ischémie récurrente.
Reperméabilisation par le guide métallique d’une artère circonflexe et marginale en post-fibrinolyse d’une nécrose ST+.
Résultat final après angioplastie.
Des études contradictoires mais qui semblent plaider pour un transfert précoce vers une salle de cathétérisme après thrombolyse !
La dernière en date est TRANSFER-AMI (Trial of Routine Angioplasty and Stenting after Fibrinolysis to Enhance Reperfusion in Acute Myocardial Infarction), présentée à l’ACC 2008, portant sur 1 030 patients à « risque » présentant un IDM de < 12 heures avec mauvaise tolérance, fibrinolysés par TNK, sous aspirine, clopidogrel et héparine, se présentant dans un centre ne disposant pas d’angioplastie. Dans cette étude canadienne, le transfert en < 6 heures vers un centre de coronarographie en vue d’une opacification systématique avec angioplastie semble supérieur à la stratégie dite conservatrice de transfert retardé à > 24 heures ou en présence de critères de non-reperfusion. Le critère de jugement primaire incluait à 30 jours décès, récidives d’infarctus et ischémiques, états de chocs et autres insuffisances cardiaques. Le délai moyen entre thrombolyse et cathétérisme a été de 3 heures dans le groupe pharmaco-invasif et de 27 heures dans le groupe standard. Cependant, une angioplastie de sauvetage a été réalisée dans 40 % des cas dans le groupe standard. L’incidence du critère primaire a été de 10,6 % dans le groupe pharmaco-invasif versus 16,5 % dans le groupe standard soit une réduction du risque relatif de près de 50 % (p = 0,001). Les événements hémorragiques n’ont pas été plus fréquents dans le groupe pharmaco invasif... Lors de sa présentation à Chicago, l’auteur fit le commentaire suivant : « la stratégie consistant à attendre 2 à 3 heures après la fibrinolyse, mais sans dépasser 6 heures, semble la bonne », la surmortalité observée dans ASSENT 4 PCI étant probablement favorisée par un délai court de < 90 minutes entre thrombolyse et angioplastie.
Haro sur l’angioplastie facilitée… Vive l’approche pharmaco-invasive !
Les résultats de TRANSFER-AMI concordent avec ceux de CARESS AMI. Cette étude a été réalisée chez 600 patients de moins de 75 ans à haut risque (sus-décalage diffus de ST, bloc de branche gauche, antécédent d’IDM, classe Killip ≥ 2, FE ≤ 35 %), hospitalisés en France, Italie ou Pologne, traités par demi-dose de rétéplase, abciximab, héparine et aspirine, et randomisés entre un transfert immédiat vers le plus proche centre de cardiologie interventionnelle pour angioplastie, ou pris en charge dans l’hôpital local avec transfert seulement en cas de persistance du sus-décalage du ST ou détérioration clinique. Le critère composite associant décès, récidive d’infarctus ou ischémie réfractaire à 30 jours est survenu chez 4,4 % du groupe angioplastie immédiate vs 10,7 % du groupe traitement standard avec un intervalle de confiance large (0,21-0,76) mais significatif (p = 0,004). Une angioplastie de sauvetage a été réalisée chez 30 % du groupe standard. Certes, il y a eu un peu plus d’hémorragies mineures dans le groupe angioplastie immédiate, essentiellement au point de ponction, (mais la voie radiale n’a été utilisée que dans moins de 5 % des cas), mais pas davantage d’hémorragies graves. L’intervalle entre l’administration de retéplase et d’abciximab et l’angioplastie dans CARESS in AMI a été 40 min plus long que dans FINESSE et a peut être contribué à une meilleure reperfusion. La collaboration entre les hôpitaux locaux et les centres d’angioplastie (distance moyenne de 31 km) a été très efficace puisque, dans le groupe standard, le délai d’angioplastie de sauvetage a été de 211 min vs 135 min pour l’angioplastie primaire. Avec une telle organisation, les résultats obtenus par une thrombolyse dans les 12 h suivant les symptômes, suivie par une coronarographie systématique et une angioplastie quand c’était possible, sont excellents avec une mortalité à 30 jours à 3 %, analogue à celle de l’angioplastie primaire. Ces résultats confirment l’intérêt du transfert après thrombolyse, qui évite un délai supplémentaire en cas d’angioplastie de sauvetage.
L’étude REACT a, quant à elle, prouvé l’intérêt de l’angioplastie de sauvetage dans les échecs de thrombolyse (moins de 50 % de régression du sus-décalage du segment ST après 90 min), conduisant à une classification de type IA de cette indication, réduisant de 28 % le critère événements graves.
Le transfert systématique d’emblée vers une structure interventionnelle est logique sur le plan médical et économique : un transfert plutôt que deux
Ces résultats sont étayés par le registre français FAST MI, comparant les patients bénéficiant de la stratégie pharmaco-invasive (thrombolyse suivie d’une coronarographie de « routine ») et ceux traités d’emblée par angioplastie primaire. Ce registre a inclus en 2005, dans 223 centres, 1 714 patients consécutifs, suivis 1 an. Soixante pour cent ont bénéficié d’une thérapie de reperfusion, 33 % par angioplastie primaire et 29 % par thrombolyse. Le délai d’instauration de la reperfusion a été plus court chez les patients thrombolysés que chez ceux traités par angioplastie primaire (130 vs 300 min). Après thrombolyse, 96 % des patients ont eu une coronarographie, et 84 % une angioplastie. La mortalité hospitalière a été de 4,3 % dans le groupe thrombolyse et de 5,0 % dans le groupe angioplastie primaire. Chez les patients thrombolysés, la mortalité à 30 jours a été de 9,2 % quand une angioplastie n’a pas été réalisée et de 3,9 % quand elle l’a été. La survie à un an a été de 94 % pour la thrombolyse et de 92 % pour l’angioplastie primaire (p = 0,31). Le recours fréquent à l’angioplastie de sauvetage, similaire ou plus élevé que dans WEST, CAPTIM ou REACT, contribue probablement à la basse mortalité. Ainsi, utilisée précocement, une stratégie combinant thrombolyse et recours facile à l’angioplastie confère un bénéfice clinique superposable à celui de l’angioplastie primaire. D’autres études comme GRACIA 1, SIAM III, et CAPITAL–AMI préconisent également un transfert de tous les IDM ST+ traités par fibrinolytiques.
En pratique
Il faut privilégier les transferts primaires plutôt que secondaires dans les nécroses aiguës pour donner toutes leurs chances aux patients d’autant plus que la fibrinolyse ne « marche » pas à tous les coups, et que l’obtention d’un véhicule pour un transfert secondaire en vue d’une angioplastie de sauvetage est parfois longue… Les nouvelles guidelines en ont tenu compte :
Pour un IDM aigu de > 3 heures, le transfert vers un centre interventionnel est nécessaire pour pratiquer une angioplastie primaire.
Pour un IDM de < 3 heures, s’il n’est pas logistiquement possible d’effectuer une angioplastie primaire dans les 2 heures suivant le premier contact médical, il faut, sauf contre-indications, démarrer une thrombolyse puis transférer le patient dans une structure pouvant réaliser une angioplastie dans de bonnes conditions dans les 24 heures. Rappelons qu’une étude française, USIC 2000, a montré que les patients admis dans des centres avec salle de cathétérisme avaient un meilleur devenir que les patients traités dans des centres non interventionnels, indépendamment de la réalisation d’une angioplastie primaire…
En effet, en cas d’échec de reperfusion (dont les marqueurs ECG et biologiques sont peu spécifiques) par la thrombolyse, il faut réaliser en urgence une angioplastie de sauvetage. La problématique est la même en cas de réocclusion.
En cas de succès de la fibrinolyse, l’inventaire systématique des lésions coronarographiques sera réalisé plus tard, entre 3 et 24 heures après la lyse (recommandation IIa avec un niveau de preuve A). C’est l’un des grands changements des recommandations 2008 de l’ESC.
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