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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 17 mar 2009Lecture 9 min

Resynchronisation cardiaque : indications actuelles et futures

J.-C. DAUBERT, CHU Rennes


Les Journées européennes de la SFC
La resynchronisation cardiaque (RC) est née en France (S. Cazeau) au début des années 90. Depuis, elle a connu un spectaculaire succès : plus de 150 000 appareils de resynchronisation auront été implantés dans le monde en 2008. Avec le défibrillateur automatique implantable auquel elle peut être associée, la RC constitue l’une des principales modalités de traitement électrique dans l’insuffisance cardiaque chronique.
Ses indications cliniques sont aujourd’hui codifiées. Elles ont fait l’objet de recommandations récentes tant en Europe qu’aux Etats-Unis, avec des propositions concordantes. Il ne s’agit toutefois que d’une première phase de développement. De nouvelles indications cliniques sont en cours d’évaluation et pourraient en élargir sensiblement le champ d’application dans les prochaines années.

Une indication formellement validée (classe I-a) Basée sur les preuves cliniques issues des grands essais contrôlés, essentiellement les études MUSTIC, MIRACLE, COMPANION et CARE-HF, une indication clinique de classe I-a est aujourd’hui reconnue par les recommandations internationales pour les patients en insuffisance cardiaque chronique demeurant symptomatiques en classe NYHA III ou IV malgré un traitement médical optimal, avec fraction d’éjection VG ≤ 35 % et dilatation cavitaire, en rythme sinusal avec une durée de QRS ≥ 120 ms sur l’ECG de surface. Chez ces patients, la RC améliore significativement les symptômes et la qualité de vie, réduit de 50 % en moyenne le besoin d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque décompensée et diminue la mortalité totale de plus de 30 % à 3 ans ainsi que le risque de mort subite. Plusieurs interrogations demeurent néanmoins. Le choix de l’appareil à implanter : resynchronisateur seul ou resynchronisateur + défibrillateur ? Les patients peuvent être implantés soit avec un stimulateur atrio-biventriculaire (CRT-P) ou pacemaker triple-chambre (appellation retenue dans l’arrêté de remboursement de 2004 en France), soit avec un défibrillateur biventriculaire (CRT-D) qui associe à la resynchronisation une fonction de défibrillation automatique afin de réduire le risque de mort subite. Le niveau de preuve étant plus élevé pour le stimulateur que pour le défibrillateur, les recommandations européennes ont respectivement accordé un niveau de preuve A au stimulateur et un niveau de preuve B au défibrillateur. Il est vrai que le bénéfice additionnel du défibrillateur pour réduire la mortalité, n’est pas clairement démontré et que le rapport coût/efficacité est plus favorable au stimulateur. De plus, les problèmes techniques sont plus nombreux avec le défibrillateur comparativement stimulateur, en particulier les problèmes de sonde avec le risque de thérapies inappropriées qui peuvent altérer sérieusement le confort de vie des patients. Néanmoins, les recommandations américaines de même que les récentes recommandations de l’ESC pour le diagnostic et le traitement de l’insuffisance cardiaque, ne font pas de différence entre les deux types d’appareils. Tous deux se voient créditées d’une recommandation de classe I-a. Un essai randomisé comparant directement CRT-P et CRT-D demeure indispensable pour résoudre cette question aux lourds enjeux médico-économiques. L’ESC/EHRA pourrait prendre l’initiative de cette étude courageuse. Le problème des non-répondeurs : le taux de non-répondeurs reste élevé, compris entre 20 et 40 % selon les études et les paramètres d’évaluation utilisés. En se basant sur des critères cliniques « durs », il était de 37 % dans CARE-HF (données non publiées). Ce taux d’échec est difficilement acceptable pour une thérapie interventionnelle, non dénuée de risques et onéreuse. En pratique, l’échec peut être dû soit à une mauvaise sélection des patients, soit à une technique d’implantation imparfaite, soit aux deux. L’optimisation des critères de sélection est probablement à considérer en priorité. Aujourd’hui, la sélection repose sur le seul critère ECG de largeur du QRS. On sait que ce paramètre simple est mal corrélé avec la désynchronisation mécanique ventriculaire, telle qu’on peut l’évaluer par les méthodes d’imagerie, en particulier l’échocardiographie et l’IRM. On peut espérer que dans l’avenir, des critères mécaniques viendront se substituer totalement ou en partie au critère ECG. Encore faut-il identifier les bonnes techniques et les bons critères d’évaluation. Cela n’est malheureusement pas encore le cas. Les résultats des premières études contrôlées (PROSPECT, RethinQ, ESTEEM) sont très décevants. Ils illustrent surtout les limites majeures de ces techniques en terme de faisabilité pratique et de reproductibilité. Aussi faute de mieux, la sélection des patients repose encore en 2009, sur l’ECG malgré ses limites.   Deux indications en voie de reconnaissance, mais à conforter   Patients avec fibrillation auriculaire (FA) Vingt à 40 % des patients en insuffisance cardiaque systolique de stade avancé, sont en FA persistante ou permanente. Ces patients, nombreux, pourraient en théorie tirer bénéfice de la resynchronisation sous réserve qu’ils soient à l’état basal désynchronisés (désynchronisation spontanée ou induite par stimulation ventriculaire droite). Toutefois, la FA constitue un double handicap pour ce traitement. Par définition, elle exclut toute resynchronisation auriculo-ventriculaire qui constitue l’un des deux mécanismes fondamentaux par lesquels la RC améliore la performance cardiaque chez les patients en rythme sinusal. De plus, le rythme ventriculaire intrinsèque, volontiers rapide et irrégulier, rend aléatoire la capture du ventricule par la stimulation biventriculaire. La resynchronisation ventriculaire peut ainsi être inhibée tout ou partie du temps. Ces contraintes particulières expliquent les difficultés qui ont été rencontrées pour évaluer le bénéfice clinique de RC dans cette population. En pratique, le niveau de preuves reste très modeste, supporté par un seul essai contrôlé de faible taille et non conclusif (MUSTIC-AF) et les résultats de registres, essentiellement celui de M. Gasparini et coll. Ces données ont néanmoins paru suffisantes aux experts internationaux pour proposer une indication de classe II-a, niveau de preuve C en Europe, et B aux Etats-Unis. L’indication est libellée comme suit : - pour les ESC Guidelines : « patients en insuffisance cardiaque demeurant symptomatiques en classe NYHA III-IV malgré un traitement médical optimal, avec fraction d’éjection < 35 %, dilatation cavitaire, fibrillation atriale permanente et indication d’interruption de jonction atrio-ventriculaire ». Ce libellé met l’accent sur la nécessité d’un contrôle drastique de la fréquence ventriculaire pour obtenir une resynchronisation efficace ; - pour les ACC/AHA/HRS Guidelines : « Chez les patients avec fraction d’éjection ≤ 35 %, QRS ≥ 0,12 s et fibrillation atriale, la CRT associée ou non à un défibrillateur est raisonnable en cas d’insuffisance cardiaque avec symptômes de classe NYHA III-IV (patients ambulatoires) malgré un traitement médical optimal tel que recommandé dans les guidelines ». Cette rédaction plus libérale expose à de nombreux échecs thérapeutiques. Quoiqu’il en soit, ces recommandations doivent être considérées comme provisoires, dans l’attente de preuves plus solides apportées par une grande étude de morbidité-mortalité. Compte tenu du développement simultané de l’ablation de FA pour traiter l’insuffisance cardiaque, l’étude la plus pertinente serait à ce jour une comparaison en groupes parallèles, de trois stratégies thérapeutiques : traitement médical optimal seul ; ablation de FA ; interruption de conduction AV plus stimulation biventriculaire. Patients déjà stimulés ou avec indication classique de stimulation Bien que, là encore, une large étude randomisée fasse défaut, les observations cliniques ont paru suffisamment convaincantes pour proposer une recommandation de niveau II-a, sur la base d’un consensus d’experts (niveau de preuve C), Elle est libellée comme suit : - dans les recommandations de l’ESC : « Patients en insuffisance cardiaque classe III-IV, avec fraction d’éjection < 35 %, dilatation cavitaire, et indication concomitante de stimulation cardiaque permanente (primo implantation ou optimisation de mode à l’occasion d’un changement de boîtier) ; - dans les ACC/AHA/HRS guidelines : « Chez les patients avec fraction d’éjection < 35 %, symptômes d’insuffisance cardiaque de classe NYHA III ou IV (ambulatoires), recevant un traitement médical optimal tel que recommandé dans les guidelines, et besoin de stimulation ventriculaire fréquent, l’indication de resynchronisation cardiaque est raisonnable ». Ces recommandations demeurent à juste titre restrictives car elles ne s’adressent qu’aux patients avec insuffisance cardiaque modérée à sévère et FEVG basse. Elles concernent les primo implantations chez des patients avec troubles de conduction de haut degré (essentiellement les blocs AV) et probable besoin de stimulation ventriculaire permanente (ou très fréquente), mais aussi les réinterventions pour optimisation du mode de stimulation chez des patients déjà implantés et qui développent ou aggravent une insuffisance cardiaque avec un stimulateur conventionnel. Ici encore, le manque de preuves solides doit faire appliquer ces recommandations avec discernement. Cela est particulièrement vrai pour les réinterventions où le rapport bénéfices/risques reste difficile à évaluer. La seule petite étude contrôlée en ce domaine (RD-CHF) a montré que ces procédures de biventricularisation étaient techniquement difficiles avec un taux de complications élevé. Une évaluation complémentaire est donc indispensable.   De nouvelles indications potentielles, à évaluer   Patients avec QRS « fins » Des études observationnelles suggèrent que certains patients avec QRS < 120 ms peuvent tirer bénéfice de la resynchronisation. Il s’agit en particulier de patients avec cardiomyopathie ischémique. La position de la sonde ventriculaire gauche est critique. Plusieurs études randomisées ont été conçues sur ces bases fragiles. La sélection des patients était basée sur des critères de désynchronisation mécanique par échocardiographie-Doppler. Trois études de taille limitée (Rethinq, DESIRE et ESTEEM, non publiée) sont achevées. Leurs résultats sont négatifs ou neutres. Un projet plus ambitieux est annoncé, l’étude ECHO-CRT. Dans ce contexte de doute, ses résultats seront attendus avec impatience. Force est de reconnaître qu’aujourd’hui nous ne savons pas identifier les éventuels candidats à la RC dans cette population d’insuffisants cardiaques à QRS fins. Il n’y a donc pas d’indication actuelle de la RC pour ces patients. Patients avec insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée Les observations cliniques de RC restent anecdotiques. Il faudra probablement attendre un long temps avant de disposer d’études cliniques d’ampleur dans cette population qui représente près de la moitié des insuffisants cardiaques et se caractérise en particulier par un âge élevé. Avant de débuter d’éventuels essais cliniques, une première étape est indispensable : apprendre à caractériser la désynchronisation ventriculaire dans cette pathologie très différente de l’insuffisance cardiaque systolique, et en évaluer prospectivement la prévalence et l’incidence pronostique. Un registre multicentrique franco-suédois (KaRen : Karolinska-Rennes registry) est en cours. Il se propose d’inclure 400 patients et de les suivre prospectivement pendant 18 mois. Les résultats sont attendus en 2010-2011. Ce n’est qu’ensuite et sur la base de données épidémiologiques solides, que l’on pourra construire le projet d’essais cliniques. Prévention de la progression de l’insuffisance cardiaque L’efficacité clinique de la RC chez les patients désynchronisés avec FEVG basse, mais peu symptomatiques voire asymptomatiques (classe NYHA I-II) sous traitement médical optimal, reste à démontrer. Les objectifs thérapeutiques sont très différents des patients en classe III-IV. Ils s’expriment en termes de prévention de progression de la maladie et nécessitent de longues périodes d’observation pour être documentés. Les critères de jugement les plus pertinents sont probablement des critères cliniques composites (symptômes, morbidité et mortalité), mais aussi l’effet sur le remodelage ventriculaire qui apparaît comme un facteur prédictif indépendant du risque d’événements majeurs à long terme dans ces populations. Ces critères de jugement originaux ont été choisis pour les deux principales études en cours dans cette population, REVERSE et MADIT-CRT. Les premiers résultats de REVERSE sont connus. Dans l’étude principale avec un suivi de 12 mois, l’objectif principal n’a pu être validé. En revanche, l’objectif secondaire de remodelage ventriculaire (volume télésystolique VG) est largement validé (p < 0,0001). L’étude randomisée se poursuit dans la cohorte européenne jusqu’à 24 mois. Une analyse intérimaire à 18 mois vient d’être communiquée au congrès de l’ESC (Munich, septembre 2008) avec des résultats très encourageants. S’ils se confirment, ils ouvriront un nouveau et vaste champ d’application à la resynchronisation, sachant que, dans cette population à risque moins élevé, le ratio bénéfices/risques devra être considéré avec une particulière attention. Prévention primaire de la désynchronisation Elle concerne les patients avec indication conventionnelle de stimulation cardiaque. Ce point est d’importance car il pose la question du site optimal de stimulation cardiaque dans les indications tout venant de pacemaker. Plusieurs études suggèrent que la stimulation conventionnelle, avec une sonde ventriculaire unique placée dans l’apex du ventricule droit, peut favoriser le développement d’une dysfonction ventriculaire gauche et d’une insuffisance cardiaque, via une désynchronisation ventriculaire induite. On ne connaît toutefois ni la prévalence exacte de ce phénomène, ni ses facteurs de risque individuels. Le risque semble d’autant plus élevé que la capture ventriculaire est plus fréquente. Le problème se poserait en particulier chez les patients implantés pour bloc auriculo-ventriculaire de haut degré. Pour prévenir ce risque, trois solutions peuvent être discutées : - ne pas stimuler inutilement le ventricule lorsque persiste une conduction intrinsèque ; - stimuler le ventricule droit dans un site alternatif, respectant mieux le synchronisme ventriculaire. C’est essentiellement le septum ; - utiliser la stimulation biventriculaire de première intention pour une resynchronisation préventive. Ces deux dernières modalités font actuellement l’objet d’études contrôlées, les comparant à la stimulation traditionnelle dans l’apex du VD. En ce qui concerne la stimulation biventriculaire, deux grands essais sont en cours l’un aux États-Unis (BLOCK-HF), le second en Europe (BIOPACE) avec un projet particulièrement ambitieux puisqu’il s’agit d’un essai de mortalité sur 1 800 patients avec un suivi minimum de 5 ans. Les résultats ne devraient pas être disponibles avant 2012-2013. Dans l’attente, il n’y a pas de place pour la resynchronisation dans cette indication de prévention primaire.   En pratique Le traitement par resynchronisation cardiaque a de vastes perspectives de développement. Il devrait occuper le devant de la scène de l’insuffisance cardiaque et de l’électrophysiologie, pendant encore un long moment.

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