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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 30 mar 2010Lecture 10 min

Tachycardie ventriculaire sur cœur sain ?

P.V. ENNEZAT(1), F. MOUQUET(1), D. MONTAIGNE(1), J.-L. AUFFRAY(1), J.-J. BAUCHART(1), D. LACROIX(1), J.-P. BEREGI(1), X. LELEU(2), P. ASSEMAN(1), (1)Hôpital cardiologique, CHRU Lille ; (2)Hôpital Huriez, Service des Maladies du Sang, CHRU Lille

Madame A., âgée de 69 ans, nous est transférée pour la prise en charge de syncopes. On note dans ses antécédents une hypertension artérielle contrôlée (voire trop bien contrôlée) par céliprolol. Depuis 8 jours sont survenus des épisodes syncopaux multiples.

À l’arrivée aux urgences, elle présente un état lipothymique, suivi d’une perte brutale de la conscience. L’ECG est enregistré juste avant la perte de connaissance (figure 1). Figure 1. Tachycardie ventriculaire à 290/min. L’électrocardiogramme en tachycardie déroule une tachycardie à 290/min avec des complexes QRS larges (aspect de retard gauche, axe proche de 0 degré). La tachycardie ventriculaire avait été réduite par un choc biphasique de 150 Joules. Une échographie cardiaque de débrouillage montrait un ventricule gauche non dilaté, de géométrie apparemment normale avec une fraction d’éjection conservée. La patiente nous est transférée pour la prise en charge de ces troubles du rythme ventriculaire qui s’avèrent récidivants. Un traitement intraveineux par amiodarone est institué. À l’examen clinique sont constatés une pression artérielle à 95/65 mmHg sans signe d’hypoperfusion périphérique, de discrets œdèmes des membres inférieurs et une turgescence jugulaire. On note également un aspect discrètement infiltré péri-orbitaire. L’électrocardiogramme en rythme sinusal est montré à la figure 2. Figure 2. Retour au rythme sinusal après cardioversion. Une nouvelle échographie cardiaque est réalisée (figure 3) qui montre un ventricule gauche non dilaté, hypertrophié de façon concentrique (septum interventriculaire 14 mm, paroi postérieure 14 mm) alors qu’une échographie réalisée 1 an auparavant ne mentionnait pas l’existence d’une hypertrophie ventriculaire gauche. Le remplissage ventriculaire gauche est de type restrictif (figure 4). Figure 3. Vue parasternale grand axe et apicale 4 cavités mettant en évidence une hypertrophie ventriculaire gauche concentrique et une dilatation biauriculaire. Figure 4. Remplissage ventriculaire de type restrictif. L’enregistrement Doppler tissulaire de l’anneau mitral met en évidence des vélocités réduites en systole ainsi qu’en diastole (figures 5 et 6). Le rapport E/Ea moyenné est calculé à 30. Une adiastolie du ventricule droit est mise en évidence par un temps de décélération court de l’insuffisance pulmonaire démasqué par l’inspiration (figure 7). La veine cave inférieure et les veines sus-hépatiques sont congestives. Figure 5. Doppler tissulaire de l’anneau mitral latéral. Figure 6. Doppler tissulaire de l’anneau mitral septal. Figure 7. Doppler pulsé des veines sus-hépatiques mettant en évidence une augmentation de l’amplitude de l’onde A ainsi qu’un reflux systolique traduisant l’élévation des pressions de remplissage du ventricule droit. Une amylose de type AL avec atteinte cardiaque est donc fortement suspectée devant l’association des signes suivants : – baisse de la tension artérielle liée à l’atteinte neurovégétative et à la baisse du débit cardiaque, – dissociation entre l’hypertrophie ventriculaire gauche échographique et l’absence d’hypertrophie ventriculaire gauche électrique (bas voltage relatif), – signes d’insuffisance cardiaque avec aspect de cardiopathie hypertrophique de surcroît récente et restrictive. Une imagerie par résonance magnétique cardiaque avec injection de gadolinium est réalisée. L’IRM révèle différentes anomalies, caractéristiques d’une amylose cardiaque (figure 8) : – sur les séquences anatomiques en écho de spin, on note une hypertrophie myocardique à prédominance septale ; – sur les séquences de perfusion tardive, réalisées 15 min après injection de gadolinium, l’analyse du rehaussement tardif myocardique révèle deux anomalies notables. Tout d’abord, il est impossible d’annuler complètement le signal du myocarde (en pratique, de le rendre noir). Ainsi, l’analyse du myocarde, quel que soit le temps d’inversion choisi, montre une prise de contraste diffuse. Ces deux anomalies reflètent l’infiltration myocardique par les dépôts amyloïdes. Figure 8. A. Coupe petit axe mettant en évidence l’hypertrophie biventriculaire. B. Réhaussement myocardique diffus (délimité par les têtes de flèche). Sur le plan biologique, on note un syndrome inflammatoire (CRP 75 mg/l) ainsi qu’une protéinurie non détectée par la bandelette urinaire. L’analyse des protéines urinaires confirme la présence d’une protéinurie de Bence-Jones de type Lambda. L’électrophorèse des protéines sériques montre également la présence d’une dysglobulinémie monoclonale à IgG Lambda (16,5 g/l) avec excès de chaînes légères libres Lambda sérique (248 mg/l, N < 2) et un ratio K/L effondré à 0,01 (N 0,26-1,65) (figure 9). Figure 9. Electrophorèse des protéines sériques. Le reste de la biologie est résumé dans le tableau ci-dessous. Le myélogramme retrouve 6 % de plasmocytes de morphologie anormale et permet d’écarter le diagnostic de myélome multiple. La biopsie des glandes salivaires accessoires (BGSA, analyse histologique, positivité de la coloration au rouge Congo et immunofluorescence) permet de confirmer la déposition amyloïde au niveau des parois vasculaires (si la BGSA ne permet pas de poser le diagnostic de certitude, la biopsie de la graisse ombilicale et la biopsie ostéo-médullaire doivent être réalisés). Le diagnostic retenu est donc l’amylose AL à composant monoclonal IgG lambda avec atteinte cardiaque sévère et retentissement majeur sur la fonction cardiaque. Compte tenu de l’âge de la patiente, en raison du pronostic extrêmement péjoratif de cette maladie (5 % de survie à 5 ans) quel que soit le traitement proposé, l’implantation d’un défibrillateur automatique n’est pas retenue. Un traitement anti-arythmique associant amiodarone et bêtabloquant est prescrit, ainsi qu’un traitement spécifique de l’amylose associant melphalan-dexaméthasone. Discussion L’amylose est un désordre clinique caractérisé par la déposition dans le milieu extracellulaire de protéines insolubles agrégées en feuillets plissés bêta (maladie du repliement des protéines). C’est cette conformation protéique qui est responsable des caractéristiques tinctoriales des dépôts comme la coloration au rouge Congo. Son incidence est probablement sous-estimée en raison d’un défaut diagnostique. L’amylose cardiaque complique l’amylose AL, alors que l’atteinte cardiaque au cours de l’amylose AA (secondaire à la déposition de la protéine de l’inflammation amyloïde A) n’est pas observée. L’atteinte cardiaque au cours de l’amylose sénile, liée à la déposition de la transthyrétine non mutée, est beaucoup plus progressive et touche les sujets âgés (25 % des sujets de plus de 80 ans). L’amylose AL est secondaire au dépôt de chaînes légères d’immunoglobulines produites par un clone plasmocytaire. L’amylose découverte au stade d’insuffisance cardiaque est une des formes les plus graves de cette maladie. La survenue de syncopes est souvent d’origine multifactorielle : troubles de la conduction, fibrillation auriculaire, troubles du rythme ventriculaire, hypotension orthostatique liée à la neuropathie végétative. L’étude échographique peut être très évocatrice du diagnostic d’amylose comme dans le cas de notre patiente ou au contraire difficile ; l’IRM cardiaque peut alors apporter une aide diagnostique décisive. On notera qu’aux stades initiaux de l’atteinte myocardique, l’adiastolie ventriculaire droite peut se manifester uniquement sur l’écho-Doppler cardiaque par un raccourcissement du temps de décélération de l’insuffisance pulmonaire. L’aspect granité du muscle cardiaque est classique mais peu sensible, surtout depuis l’avènement de la seconde harmonique. Devant une hypertrophie ventriculaire gauche concentrique, à ce jour seule l’IRM est capable de réaliser la caractérisation tissulaire en pratique quotidienne de façon non invasive. Dans le cas présent, l’impossibilité d’annuler le signal du myocarde et la prise de contraste diffuse sont les deux signatures de l’amylose. Dans le cas d’une maladie de Fabry, on observerait un allongement du temps de relaxation du myocarde (allongement du T2 à 80-90 ms en séquence d’écho de spin, contre 50-55 ms du myocarde normal). L’hypertrophie ventriculaire gauche concentrique posthypertensive, ou consécutive à un rétrécissement aortique, ne présente aucune des anomalies décrites ci-dessus ; dans ce cas, l’IRM montre, comme l’échographie, une simple hypertrophie myocardique, qui sera cependant distinguée de l’hypertrophie ventriculaire gauche du sportif par l’utilisation des méthodes de tagging. Les hypertrophies ventriculaires gauches asymétriques (obstructive ou non) s’accompagnent souvent d’une prise de contraste nodulaire (et non diffuse comme l’amylose) dans la zone hypertrophique. Quel traitement ? Les diverses thérapeutiques n’ont à présent pas permis d’améliorer significativement le pronostic de l’amylose cardiaque. En présence d’une insuffisance cardiaque, la médiane de survie est d’environ 4 mois. Malgré ce pronostic très péjoratif à court terme, un traitement spécifique de l’amylose AL doit être proposé systématiquement. Le traitement pivot de l’amylose avec atteinte cardiaque reste l’association melphalan et dexaméthasone orale pendant 4 jours en cycles de 4 ou 6 semaines selon la tolérance clinique et hématologique. Ce traitement peut permettre d’obtenir une réponse hématologique dans un délai de 1 à 6 mois, mais le plus souvent dans une médiane de 3 à 6 mois. Ce traitement peut induire une aplasie et doit être manipulé avec précaution dans le cadre d’une prise en charge spécialisée. À ce traitement doivent être associés des nouveaux agents issus des thérapeutiques ciblées afin de renforcer l’effet antiplasmocytaire et maîtriser la sécrétion de chaînes légères d’immunoglobulines. Deux familles de nouvelles molécules ont l’autorisation de mise sur le marché dans le myélome multiple (mais pas dans l’amylose) : les inhibiteurs du protéasome (bortézomib : Velcade®) et les IMiD (lénalidomide : Revlimid® et Thalidomide). Les essais thérapeutiques en cours dans l’amylose AL confirment la bonne tolérance et l’efficacité de ces nouvelles molécules. Ces molécules assurent un contrôle de la maladie amyloïde précoce pouvant débuter dès 1 à 2 semaines. Chez les patients ayant une insuffisance cardiaque avancée, l’association d’un IMiD au traitement par melphalan-dexaméthasone, particulièrement le lénalidomide, doit être privilégié par rapport au bortézomib. Il est rapporté des cas de mort subite survenue chez des patients traités pour une amylose cardiaque avec atteinte sévère de la fonction cardiaque par un traitement comprenant du bortézomib. L’utilisation de la dexaméthasone doit aussi être réalisée avec précaution. À l’heure de ces thérapies ciblées, l’intensification thérapeutique par autogreffe de cellules souches périphériques avec conditionnement par hautes doses de melphalan ne fait plus partie des options de première ligne dans l’amylose AL. D’ailleurs, cette option thérapeutique n’était pas proposée aux patients de plus de 65 ans et aux patients avec une atteinte cardiaque sévère. L’allogreffe hématopoïétique (de moelle osseuse ou de cellules souches) n’a ainsi pas été proposée chez cette patiente et ne doit être envisagée que dans le cadre d’un projet combiné de transplantation cœur – moelle osseuse, encore exceptionnel, ou dans le cadre d’un essai thérapeutique. Pour la plupart des équipes en France l’amylose AL reste une contre-indication à la transplantation cardiaque en raison du risque de récidive sur le greffon et du risque important de morbidité liée à la procédure thérapeutique liée aux traitements intensifs hématologiques. Appréciation de la réponse hématologique La réponse hématologique d’une amylose AL est appréciée par la quantification du composant monoclonal et tout particulièrement des chaînes légères libres lambda sériques. La rémission complète est définie par une disparition de ces dernières. En cas de rémission complète durable, une réponse dite d’organe est observée chez certains patients dans une médiane variant de 6 mois à 2 ans du début du traitement. Une désinfiltration des organes amyloïdes peut alors être constatée avec amélioration de la fonction cardiaque dans le cas présent. Le marqueur de la réponse d’organe dépend de l’organe atteint et sera pour le cœur le couple BNP (ou pro-BNP) et troponine. Leur décroissance voire leur normalisation est plus tardive que celles des chaînes légères libres sériques, mais représente un très bon critère de survie à 2 ans, quel que soit le pronostic péjoratif initial. Diagnostic différentiel avec la tachycardie ventriculaire sur cœur sain Concernant la présentation rythmologique du cas de la patiente, le diagnostic de tachycardie ventriculaire sur coeur sain ne pouvait être retenu qu’après avoir exclu formellement une cardiopathie sous-jacente. Parmi ces cardiopathies sous-jacentes, la dysplasie arythmogène du ventricule droit est à rechercher tout particulièrement en raison des formes débutantes de la maladie où le cœur est authentiquement « normal » en échocardiographie. Les tachycardies ventriculaires (TV) sur cœur sain regroupent à la fois des troubles du rythme bénins (TV infundibulaire droite ou gauche, TV fasciculaire) et des tachycardies avec un haut risque de mort subite (TV polymorphe catécholergique, syndrome du QT long congénital, syndrome de Brugada, fibrillation ventriculaire idiopathique, torsade de pointe à couplage court). Pour ce qui est des tachycardies sur cœur sain « bénignes », l’aspect morphologique des QRS en tachycardie évoque fortement le diagnostic étiologique : – aspect de retard gauche, axe inférieur dans les TV infundibulaires avec r/S < 1 en V3 pour la TV infundibulaire pulmonaire et R/s > 1 en V3 pour la TV infundibulaire aortique ; – aspect de retard droit, complexes QRS peu élargis, axe gauche le plus souvent (axe droit plus rarement) dans les TV fasciculaires. Les tachycardies sur cœur « sain » malignes sont congénitales et se manifestent donc le plus souvent dans l’enfance ou chez l’adulte jeune. Elles sont responsables de TV souvent polymorphes qui se dégradent rapidement en fibrillation ventriculaire. On notera que l’aspect monomorphe de la tachycardie est très peu évocateur d’une étiologie ischémique myocardique. Par ailleurs, l’absence échocardiographique de trouble de la cinétique segmentaire écarte une tachycardie ventriculaire compliquant une cardiopathie ischémique. En pratique L’amylose cardiaque doit être évoquée devant toute insuffisance cardiaque inexpliquée avec fraction d’éjection préservée et en l’absence de dilatation ventriculaire. La présentation rythmologique est particulièrement grave. La suspicion diagnostique repose souvent sur une échocardiographie complète et rigoureuse à la recherche de signes d’adiastolie (insuffisance pulmonaire). L’IRM cardiaque est d’un apport diagnostique parfois décisif entre des mains expertes. Le diagnostic de certitude reste de confirmation histologique. Le projet thérapeutique devrait faire l’objet d’une rencontre multidisciplinaire.

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