Publié le 05 sep 2006Lecture 8 min
Traitement AVK : quel bénéfice/risque optimal ?
J.-P. CAMBUS, C. BAL dit SOLLIER, hôpital Lariboisière, Paris
Si le service médical rendu par les antivitamines AVK est incontestable, ceux-ci sont responsables chaque année d’un nombre important d’accidents hémorragiques et de 4 000 à 5 000 décès, dont beaucoup pourraient être évités. Le retard pris dans la mise au point de nouveaux antithrombotiques actifs par voie orale dans une large palette d’indications, annonce un remplacement des AVK probablement très progressif. Les risques encourus sous AVK perdureront donc.
Pour diminuer la morbi-mortalité de ces traitements, nous proposons dix règles pratiques :
Respecter les contre-indications.
Utiliser des AVK à demi-vie longue.
Adapter la posologie initiale à l’âge ou au poids du patient.
Adapter ensuite la posologie à la sensibilité du patient en fonction du premier INR.
Adopter une périodicité des contrôles biologiques suffisante pour faire passer au patient le plus de temps possible dans la zone thérapeutique qui correspond au motif de son traitement.
Renforcer l’échange d’information entre spécialistes et généralistes.
Se méfier des fluctuations du régime alimentaire ou des prises médicamenteuses.
Assurer l’éducation du patient.
Savoir changer de laboratoire de biologie médicale.
Savoir gérer un surdosage dans des délais brefs.
État des lieux
En France, on estime à 1 % de la population le nombre de patients traités par AVK. Une enquête récente a révélé que les AVK représentaient la première cause d'hospitalisation pour iatrogénie avec 2 à 5 % d’hémorragies graves par année de traitement, soit tous les ans environ :
17 300 hospitalisations pour événement hémorragique,
1 500 hospitalisations pour hémorragie du système nerveux central
et enfin 4 000 à 5 000 décès, soit presque autant que le nombre de tués sur les routes (5 232 en 2004), dont la diminution est une cause nationale.
Les risques de récidive de thrombose constituent également des échecs du traitement. La littérature estime ce risque à 5 à 10 % par année de traitement. Une bonne partie de ces échecs (hémorragies ou thromboses) pourrait être liée au fait que, sur une période donnée, le patient passe un pourcentage élevé de temps en dehors de la zone thérapeutique d'INR. Dans une étude récente, des auteurs italiens ont clairement démontré qu’un traitement mal équilibré durant les trois premiers mois est un facteur de récidive de thrombose dans la période suivant l’arrêt du traitement. Cependant, certains accidents se produisent alors que l’INR se trouve bien dans la zone thérapeutique (accidents inévitables, par exemple lorsque l’accident hémorragique est le révélateur d’une pathologie sous-jacente non détectée avant la mise au traitement AVK).
Les moyens d’action : 10 règles pratiques
1. Respecter les contre-indications
Il est évident qu’il ne faut pas débuter un traitement par AVK si les risques, notamment hémorragiques, l’emportent sur les bénéfices escomptés. Dans ce cas, il faut opter pour un antithrombotique dont la durée d’action est plus facilement réversible (HBPM). Dans certains cas complexes, cette évaluation est souvent très difficile. Il faut également savoir réévaluer périodiquement le ratio bénéfice/risque. Il faut enfin savoir arrêter le traitement à la fin de la durée prévue, sauf élément nouveau.
2. Utiliser des AVK à demi-vie longue
On commence à disposer de données cliniques de plus en plus nombreuses, permettant de recommander systématiquement le choix des AVK à demi-vie longue, Préviscan® ou Coumadine®, car ils permettent une meilleure stabilité et une meilleure sécurité du traitement.
3. Adapter la posologie initiale à l’âge ou au poids
La dose nécessaire d’AVK, décroît avec l’âge, probablement en raison de la diminution du catabolisme.
• Pour le Préviscan®, on débute le traitement avec :
- un comprimé chez l’adulte,
- trois quarts de comprimé chez les sujets dont l’âge est compris entre 69 et 79 ans inclus,
- un demi-comprimé chez les sujets ≥ 80 ans, ainsi que pour les sujets < 50 kg quel que soit leur âge.
• Pour la Coumadine®, on débute le traitement avec :
- 5 mg chez l’adulte,
- 4 mg pour les sujets ≥ 70 ans, ainsi que pour les sujets <50 kg, quel que soit leur âge.
Il est déconseillé d'utiliser une dose de charge au début du traitement parce que la sensibilité du patient est imprévisible.
4. Adapter ensuite la posologie à la sensibilité du patient en fonction du premier INR
Selon leur profil génétique, les patients ne répondent pas tous de la même manière aux AVK. Il existe notamment un polymorphisme du cytochrome P450CYP2C9 qui métabolise les AVK. En attendant que soit étudié l’intérêt des tests de pharmacogénétique à l’aide de puces à ADN, avant toute mise en route de traitement AVK, il est possible d’utiliser des algorithmes spécifiques du Préviscan® ou de la Coumadine®. Ils vont permettre d’appréhender la sensibilité du patient et la posologie moyenne d’équilibre en fonction du premier INR réalisé après trois prises d’AVK, ce qui permet en pratique de réduire significativement le temps nécessaire pour atteindre la zone d’équilibre.
5. Adopter une périodicité des contrôles biologiques suffisante pour faire passer au patient le plus de temps possible dans la zone thérapeutique qui correspond au motif de son traitement
Les accidents sont statistiquement plus fréquents durant les trois premiers mois de traitement. Il ne faut donc pas hésiter à multiplier les contrôles d’INR. Un patient éduqué acceptera plus facilement de se plier à ces contrôles. En début de traitement, il faut réaliser un INR tous les trois jours jusqu’à la stabilisation dans la zone thérapeutique. Ensuite, il faut réaliser au moins deux contrôles la semaine suivante, puis un contrôle par semaine le mois suivant, puis un contrôle tous les 15 jours pendant deux mois et ensuite un contrôle mensuel si le traitement démontre une stabilité satisfaisante. Toute modification de posologie doit s’accompagner d’un contrôle biologique dans les jours qui suivent.
6. Renforcer l’échange d’information entre spécialistes et généralistes
La mise en route du traitement se fait le plus souvent sous l’égide d’un spécialiste, généralement un cardiologue, car plus des deux tiers des indications des AVK relèvent de cette spécialité. C’est ensuite le médecin traitant qui est chargé d’équilibrer le traitement mais il faut lui en donner les moyens en confiant directement au patient un document (courrier ou mieux carnet de suivi du traitement) contenant des indications précises : type d’AVK, motif du traitement, zone thérapeutique, durée prévue du traitement, indication que le patient est toujours, ou non, en relais héparine-AVK avec surveillance des plaquettes, liste des médicaments associés, dates et valeurs des premiers INR et posologies d’AVK en découlant.
7. Se méfier des fluctuations du régime alimentaire ou des prises médicamenteuses
L'effet des AVK varie avec la quantité de vitamine K ingérée quotidiennement mais il ne faut pas mettre les patients au régime. Il est important de conserver un régime alimentaire équilibré et constant dans le temps de manière à assurer un équilibre permanent avec l’action de l’AVK. Il faut respecter les contre-indications formelles comme le miconazole, l’aspirine à forte dose, la phénylbutazone. En cas de prise concomitante de médicaments inhibiteurs ou potentialisateurs, ou encore en cas de maladie intercurrente, il faut multiplier les contrôles biologiques pour encadrer parfaitement ces épisodes.
8. Assurer l’éducation du patient
La première obligation du prescripteur est d’informer et d’éduquer le patient. Cela permet d'améliorer l'adhésion au traitement. Souvent ce que l’on croit être de la non-observance est en fait une non-adhésion au traitement par manque d'information. Cela s’observe, par exemple, chez les patients qui ne savent pas pourquoi un traitement anticoagulant oral leur a été prescrit. Si le patient n'est pas en mesure de la comprendre, cette information doit être dispensée à un membre de sa famille qui le prendra en charge.
Le contenu minimal de cette éducation est le suivant : but de l’anticoagulation, bénéfices et dangers, mécanisme d’action des AVK, choix de l’INR cible et surveillance du traitement, importance du carnet d’anticoagulation et des contrôles réguliers de l’INR, interactions médicamenteuses, problèmes diététiques, savoir interpréter des signes d’alarme hémorragiques et conduite à tenir en cas de saignement, chirurgie, grossesse (contraception efficace car les AVK peuvent être tératogènes), maladie intercurrente, oubli de la prise d’anticoagulant, vacances et loisirs.
Il est très utile d’utiliser le livret d’information et de suivi de traitement, dont la dernière version, réalisée sous la coordination de l’Afssaps, malgré un manque de lisibilité en raison d’une impression en caractères de couleur bleu clair. Des livrets destinés aux malvoyants (format A4 imprimé en gros caractères) ainsi que des versions en anglais, arabe et vietnamien, sont disponibles.
Il faut en outre confier au patient une carte indiquant qu’il est sous AVK, destinée à être présentée à tous les professionnels de santé afin d’éviter la réalisation intempestive de gestes agressifs (intramusculaire, ponction d’organe profond, chirurgie, etc.).
De nombreux médecins déclarent légitimement manquer de temps pour assurer cette éducation. Ils peuvent alors confier leur patient à une structure spécialisée.
9. Savoir changer de laboratoire de biologie médicale
Les campagnes de contrôle de qualité obligatoire des laboratoires de biologie médicale montrent une dispersion inquiétante des résultats d’INR et ce, d’autant plus que l’INR est élevé. Ces campagnes prouvent que certains laboratoires rendent des résultats entachés d’incertitude. Dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) concernant les AVK, l’Afssaps recommande de toujours faire mesurer l’INR dans le même laboratoire, ce qui sous-entend qu’un résultat ne sera pas forcément reproductible d’un laboratoire à l’autre.
En pratique, il est très difficile de savoir si le laboratoire choisi par le patient, rend des résultats exacts ou constamment trop élevés ou trop bas. On pourra se méfier et contrôler l’INR dans un autre laboratoire, si plusieurs patients suivis par le même laboratoire présentent une même tendance (difficultés permanentes d’équilibre ou alors équilibre au prix de doses d’AVK élevées ou faibles) ou encore si un incident ou accident survient alors que le patient se trouve dans la zone thérapeutique.
10. Savoir gérer un surdosage dans des délais brefs
Le risque hémorragique augmente de façon exponentielle lorsque l’INR est > 5. Selon la gravité du surdosage et l’estimation du risque hémorragique, diverses mesures pourront être adoptées : suspension transitoire du traitement, administration de vitamine K, perfusion d’un concentré de facteur vitamine K-dépendant (PPSB - Kaskadil®). La conduite à tenir en cas de surdosage est disponible sur le site Internet de l’Agence du Médicament. Les doses de vitamine K doivent être scrupuleusement respectées, un surdosage entraînant une résistance aux AVK pouvant persister jusqu’à une semaine. Le patient doit avoir en réserve de la vitamine K (au moins une ampoule de 2 mg de Vitamine K1 Roche®) afin de raccourcir les délais de correction.
En pratique
Il est possible de limiter les risques des traitements par AVK avec des moyens simples, mais cela demande un effort constant.
Des livrets d’information et de suivi de traitement ainsi que la liste des centres d’éducation AVK sont disponibles à l’adresse postale suivante : Clinique des Anticoagulants d’Île de France, Laboratoire d’Hématologie, Hôpital Lariboisière, 2 rue A. Paré, 75010 Paris ; courrier électronique : cac.idf@lrb.aphp.fr.
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