Publié le 29 avr 2008Lecture 10 min
Pathologie coronaire - Un « quinquennat » riche d'enseignements
S. WEBER, hôpital Cochin, Paris
Un plan quinquennal « prospectif » de type soviétique avec objectif chiffré et mesure coercitive s’applique particulièrement mal à la pratique médicale… En revanche, un effort de réflexion rétrospectif sur un quinquennat écoulé est souvent riche d’enseignement, de remises en cause, mais également de pistes d’amélioration… Je diviserai cette réflexion en trois parties : les instruments du diagnostic et de l’évaluation, la prise en charge des syndromes coronaires aigus et enfin celle du coronarien chronique.
Les moyens du diagnostic
En biologie
Dans le domaine de la biologie, il faut observer l’extinction de l’épidémie précédemment évoquée dans ces mêmes colonnes de « troponite aiguë grave », caractérisée par de nombreux dosages et assez peu de réflexion. Le quinquennat écoulé a permis de bien définir les indications utiles du dosage de la troponine, d’identifier les nombreuses situations cliniques où, en dehors d’un syndrome coronaire aigu, ce marqueur est élevé, d’affiner sa valeur pronostique et de mieux utiliser les résultats pour guider les décisions thérapeutiques. Ce dosage est donc enfin parvenu à maturité. Mon seul souci concerne l’opportunité de le doser « en ville ». La qualité technique des dosages est tout aussi parfaite bien sûr qu’en milieu hospitalier, mais ce marqueur étant destiné principalement à diagnostiquer un syndrome coronaire aigu, entité mettant en jeu le pronostic vital immédiat et la valeur prédictive négative nécessitant la réalisation de deux dosages à 6 heures d’intervalle, on peut légitimement s’interroger s’il ne serait pas plus raisonnable de déployer ce dosage biologique dans une structure permettant une réelle observation « sécurisée ». La troponine est un marqueur de micronécrose cellulaire, généralement consécutive à un phénomène de rupture de plaque-thrombose. Au début du quinquennat précédent, certains marqueurs biologiques avaient pour ambition de diagnostiquer ou de prédire ce phénomène de rupture de plaque. À ma connaissance, aucun d’entre eux n’a tenu ses promesses. Il s’agit d’une réelle déception ne devant cependant pas décourager les efforts de recherche dans ce sens. La mise au point et la validation des marqueurs biologiques d’instabilité ou de rupture de plaque représenterait une avancée considérable.
En imagerie
Les indications pratiques, utiles à la prise de décision de l’IRM myocardique, se sont considérablement étendues ces 5 dernières années. Les progrès des « machines », l’apprentissage des praticiens, mais surtout la réalisation de nombreuses études cliniques ont très largement augmenté notre confiance et donc nos besoins.
Pour une douleur thoracique aiguë, l’IRM permet de distinguer des syndromes coronaires habituels, quelques entités beaucoup plus rares mais non exceptionnelles telles les myocardites aiguës et plus rarement les sidérations aiguës de type Tako-tsubo.
Toujours en phase aiguë d’infarctus, l’IRM peut potentiellement discriminer la nécrose constituée de la sidération et de l’œdème ; l’intégration de ces possibilités dans les arbres décisionnels reste cependant à étayer.
Chez le coronarien chronique, l’IRM est devenue, tout du moins dans ma pratique, la technique de référence pour évaluer la viabilité myocardique et participer ainsi pleinement aux décisions de revascularisation chez le coronarien à fonction ventriculaire gauche altérée. En effet, l’IRM couplée à l’injection de gadolinium est une technique plus performante que les isotopes et l’échographie de stress et beaucoup plus accessible et moins coûteuse que la tomographie à émission de positons (TEP).
L’angioscanner coronaire a également beaucoup mûri ces 5 dernières années avec la généralisation des scanners multibarrettes à hautes performances ; la validation de cet instrument comparativement à la coronarographie traditionnelle est en bonne voie mais ne peut cependant être considérée comme pleinement achevée. Les indications de cette technique par rapport à la coronarographie traditionnelle sont en train de se dégager :
- dans le dépistage des patients à haut risque en association (et non pas en remplacement pour l’instant) aux tests de détection de l’ischémie ;
- lors de l’enquête diagnostique d’une douleur thoracique, notamment lorsque la probabilité d’une origine coronaire est jugée « intermédiaire » et lorsque le diagnostic d’angor vasospastique paraît peu probable (seule la salle de coronarographie reste le lieu où un test au méthergin peut être effectué en toute sécurité !) ;
- les indications de l’angioscanner coronaire itératif lors du suivi du coronarien chronique sont encore imprécises et, enfin, comme pour les marqueurs biologiques précédemment évoqués, nous sommes toujours en attente de critères d’identification des plaques coronaires instables à haut risque de rupture.
La révolution attendue des années à venir, peut-être par conjonction de marqueurs biologiques et de techniques d’imagerie, reste l’identification de la lésion coronaire à haut risque de rupture, qui ne se superpose pas ou peu à la sténose la plus serrée, la plus ischémiante.
La coronarographie reste l’examen clef au quotidien.
La prise en charge des syndromes coronaires aigus
Les instruments thérapeutiques n’ont pas connu d’avancée spectaculaire ces cinq dernières années, ni en matière de cardiologie interventionnelle, ni dans le domaine pharmacologique. Une réflexion critique sur les résultats des innombrables essais thérapeutiques effectués en la matière permet néanmoins d’y voir plus clair… et surtout beaucoup plus simple. Je résumerais mes inflexions d’attitude de ces cinq dernières années en trois points.
De très larges indications d’angioplastie pour l’infarctus du myocarde comme pour l’angor instable. Lorsque le malade est pris en charge au stade de la plaque coronaire rompue avec thrombose endoluminale et si, bien sûr, le territoire concerné est suffisamment conséquent, la prise en charge interventionnelle affiche, sauf cas particulier, un bon rapport bénéfice/risque.
Les progrès matériels, la maîtrise de l’environnement pharmacologique, la meilleure organisation des filières de cardiologie interventionnelle d’urgence, permettent d’afficher des résultats supérieurs aux approches conservatrices dans la quasi-totalité des sous-groupes de patients.
Les délais de prise en charge continuent de susciter quelques controverses, aussi bien en matière d’infarctus que d’angor instable. Le bénéfice d’une reperfusion tardive, voire ultratardive, n’est toujours pas solidement démontré dans l’infarctus du myocarde. Dans l’angor instable, c’est l’intérêt ou non d’un prétraitement pharmacologique de quelques heures à quelques dizaines d’heures avant la réalisation d’un geste interventionnel qui reste soumis à débat. Il s’agit cependant là de nuances ne remettant pas en cause le principe somme toute simple qu’une plaque rompue dans une grosse artère commandant un vaste territoire, nécrosé ou menacé d’être nécrosé mérite un stent ! Autant cette question paraît résolue, autant le bien-fondé de réaliser lors de la même hospitalisation de façon préventive un geste d’angioplastie sur d’autres sténoses coronaires, même proximales, mais non impliquées dans le syndrome coronaire aigu reste discutable.
Mon deuxième changement d’attitude concerne le maniement des antithrombotiques. Tous les 6 mois, à l’occasion de chaque changement d’internes, nos nouveaux jeunes collègues ayant antérieurement fréquenté divers services de cardiologie s’enquièrent anxieusement de savoir quel est « notre » protocole d’anticoagulation dans les diverses formes cliniques de syndrome coronaire aigu. Ils sont parfois étonnés lorsque je leur conseille de faire tout simplement leur métier de médecin et que je ne leur remets aucun document autoritaire définissant la ligne du « comité central du parti »… Il est clair que nous ne disposons pas et que nous disposerons probablement pas dans les 2-3 années à venir, d’antithrombotique permettant d’avoir plus d’efficacité sans qu’il y ait parallèlement, de façon obligatoire et indissociable, une augmentation du risque hémorragique. En dehors des inclusions nécessairement rigides dans le cadre d’un protocole d’évaluation contrôlé, si l’on ne prend en compte que le service rendu au patient, il nous appartient de positionner, au cas par cas, le curseur entre l’efficacité antithrombotique maximale et la prise de risque hémorragique minimale. Nous disposons de quatre classes pharmacologiques validées : aspirine, clopidogrel, héparine de bas poids moléculaire et anti-GP-IIb/IIIa. L’implantation d’un stent endocoronaire nécessite impérativement la coprescription d’aspirine et de clopidogrel pendant une période d’un mois à un an selon le modèle de stent retenu. Il est tout aussi clair que l’adjonction d’une troisième ou d’une quatrième classe d’antithrombotique diminue le risque coronaire et augmente le risque hémorragique.
Toutes les conférences de consensus, recommandations (etc.) du monde ne nous déchargerons pas du choix individualisé en fonction :
- des éléments du risque hémorragique (âge, antécédent, coprescription, comorbidité etc.),
- du risque coronaire (importance du territoire concerné, tolérance, marqueurs biologiques, connaissances préalables de l’anatomie coronaire, traitement médicamenteux déjà déployé).
Placer au niveau optimal ce curseur n’est pas toujours facile… mais qui a jamais pensé que notre métier était facile !
La dernière modification assez profonde de nos pratiques a été l’augmentation de la proportion de patients octogénaires et plus pris en charge de façon « interventionnelle » à la phase aiguë des syndromes coronaires. Cette augmentation est-elle la conséquence rationnelle logique de la publication des essais randomisés démontrant de façon éclatante que l’angioplastie réduit la morbi-mortalité lors des syndromes coronaires aigus de l’octogénaire ou du nonagénaire ? Hélas non ! À ma connaissance aucune étude de ce type n’a récemment été publiée ; je ne suis même pas certain qu’il y en ait en cours de réalisation.
Il est « implicitement » admis que ce qui est établi et validé sur des populations de coronariens dont la moyenne d’âge se situe entre 65 et 70 ans, l’est également par extrapolation chez des octogénaires, voire nonagénaires. Certains « intégristes » vont jusqu’à postuler que comme le pronostic spontané des syndromes coronaires aigus est bien plus grave chez des patients très âgés (ce qui est parfaitement exact), le bénéfice à attendre d’une prise en charge interventionnelle est encore plus ample. Ce postulat extrêmement bien-pensant n’est cependant étayé par aucun essai thérapeutique. Dans la « vraie vie », malgré l’absence de preuve, la pression en faveur d’une prise en charge agressive dans les tranches d’âge élevées est devenue la règle même, si son bénéfice n’a pas été formellement démontré. Reconnaissons, pour terminer sur une note raisonnablement optimiste, que le risque iatrogène de la cardiologie interventionnelle a diminué même dans les tranches d’âges élevées et que, si nous n’avons aucune preuve d’être réellement efficace sur ce terrain, nous avons une bonne probabilité d’au moins ne pas être nocifs.
Chez le coronarien chronique
Le coronarien chronique est de plus en plus souvent un patient dont la phase symptomatique de la maladie s’est limitée à quelques dizaines de minutes ou quelques heures de douleur lors de l’épisode initial d’angor instable ou d’infarctus ayant marqué l’entrée dans la maladie coronaire, suivies d’une longue phase de plusieurs années voire plusieurs décennies totalement asymptomatique. Ce type d’évolution devenu banal et même largement majoritaire doit être pour la cardiologie un constat de fierté ; peu de maladies se sont transformées en aussi peu de temps d’une pathologie lourdement symptomatique et réduisant très fortement l’espérance de vie en une pathologie chronique n’hypothéquant que très modestement la qualité de vie et modérément l’espérance de vie. Ce constat de légitime autosatisfaction étant posé, n’oublions pas d’en tirer les conséquences :
– en ne relâchant pas la garde sur les thérapeutiques validées de prévention secondaire médicamenteuse (bêtabloquant, aspirine, statines, parfois IEC, etc.) mais également non médicamenteuses (sevrage tabagique et prévention de la sédentarité notamment) ;
– toutefois, la « longueur » de mes ordonnances tend à se raccourcir, à limiter la coprescription de 2 antiagrégants plaquettaires, à réserver la prescription d’un médicament du système rénine angiotensine aux patients à mauvaise fonction gauche, aux diabétiques ou aux hypertendus, à revoir et souvent supprimer la prescription de nitrés ou d’anticalciques, chez le coronarien vieillissant plus sensible aux effets indésirables des vasodilatateurs ;
– cet allégement de la prescription médicamenteuse s’accompagne en revanche de très vigoureuses recommandations sur « l’interdiction » d’interrompre le traitement antiplaquettaire sans en référer préalablement au cardiologue quand bien même cette suspension serait préconisée par un confrère d’une autre spécialité un peu moins au fait qu’il ne devrait l’être des dangers du sevrage et/ou de la possibilité de mener sans interruption des antiagrégants la quasi-totalité des gestes de chirurgie, petite, moyenne ou grosse (à quelques rares exceptions près cependant) ;
– l’allègement concerne également les moyens de la surveillance au long cours du coronarien chronique. Ce qui ne doit sûrement pas être allégé est la surveillance clinique en cogestion avec le médecin généraliste dans le but de détecter des symptômes ayant tendance à se modifier et s’abâtardir au fur et à mesure de l’évolution (moins d’angor franc ; plus de dyspnées ou de fatigabilité d’effort) pour surveiller la tolérance du traitement, remotiver le patient, vérifier son observance des mesures non médicamenteuses de prévention secondaire ;
– en revanche, j’ai franchement revu à la baisse, si le patient reste réellement asymptomatique, la fréquence de réalisation de tests de dépistage de l’ischémie silencieuse. Une simple épreuve d’effort effectuée sous bêtabloquants tous les ans voire tous les 2 ans chez le coronarien « jeune » est largement suffisante ; destinée même à être espacée puis supprimée lorsque le patient atteint des tranches d’âge où l’on aurait quelques scrupules à mettre le doigt dans l’engrenage d’explorations pouvant conduire à une attitude invasive chez un octogénaire menant sous traitement une vie active normale ;
– en ce qui concerne et pour terminer la surveillance biologique, autant il est nécessaire de vérifier en début de traitement que les objectifs lipidiques sont bien atteints et que la tolérance (hépatique et musculaire) du traitement est satisfaisante, autant, avec le vieillissement de ce coronarien asymptomatique, il est probablement plus important de surveiller la fonction rénale, la numération globulaire, dont les modifications peuvent réellement et utilement modifier la prise en charge, plutôt que de trop s’appesantir sur les taux de LDL-cholestérol. S’il remonte « un peu », est-il vraiment raisonnable d’alourdir la prescription de statines chez un coronarien âgé ?
En conclusion
Les habitudes de rigueur prises pendant 15 ans d’omniprésence de l’evidence-based medecine nous permettent maintenant d’aborder avec plus de sérénité l’essence du travail médical qui est de faire du « sur mesure » mariant harmonieusement la littérature, résumée par les recommandations et la réalité de nos patients, notamment les plus fragiles et les plus âgés d’entre eux.
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