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Valvulopathies

Publié le 06 déc 2005Lecture 10 min

Un rétrécissement mitral syncopal lié à un thrombus flottant

N. HADDOUR, R. MESBAHI, M. KETTANI, L. CHAMI, L. AMAR, M. KOUACH, M. BENOMAR et M. BENOMAR, CHU de Rabat, Maroc

Le rétrécissement mitral rhumatismal est fréquemment source de complications rythmiques (fibrillation auriculaire) et de thrombose intraauriculaire gauche.
En revanche, la présence d’un thrombus libre et flottant dans l’oreillette gauche est une situation rare. Son incidence à l’autopsie est estimée à environ un cas sur 2 000 ou 3 000. Cette situation est grave car elle menace le pronostic fonctionnel par la survenue d’événements emboliques cérébraux et périphériques, ainsi que le pronostic vital par la survenue d’une mort subite secondaire à un enclavement du thrombus dans l’orifice mitral.

Observation Madame E., 49 ans, est hospitalisée dans le service de cardiologie le 15 janvier 2005 à la suite d’un œdème aigu du poumon sévère ayant nécessité une intubation trachéale et une ventilation assistée 48 h auparavant dans le service des urgences. Elle est connue comme porteuse d’un rétrécissement valvulaire mitral rhumatismal depuis plus de 26 ans, pour lequel une commissurotomie à cœur fermé a été réalisée en 1979. Depuis cette date, la patiente a eu un suivi cardiologique irrégulier. Une échocardiographie, faite trois ans auparavant à l’occasion d’une aggravation de sa dyspnée de base (stade II de la NYHA), avait révélé une resténose mitrale serrée (surface mitrale 1,2 cm2 ; gradient moyen transmitral à 10 mmHg) associée à une insuffisance mitrale légère, en hypertension artérielle pulmonaire modérée. La patiente a ensuite été perdue de vue jusqu’à sa dernière hospitalisation. Elle n’avait jamais pris de traitement anticoagulant avant son admission à l’hôpital. Elle rapporte une aggravation de sa dyspnée (stade IV de la NYHA) avec une orthopnée et plusieurs épisodes de dyspnée paroxystique nocturne. Par ailleurs, son entourage a assisté à 3 épisodes de perte de connaissance à l’emporte-pièce. Deux épisodes consécutifs sont survenus au repos et sans prodromes, avec révulsion des yeux, émission d’urines et morsure de langue, sans notion de mouvements tonico-cloniques, d’une durée de 10 à 15 minutes avec amnésie postcritique. Le 3e épisode, identique, est survenu 2 jours avant son admission, au décours d’un examen échocardiographique, lors du passage du décubitus latéral au décubitus dorsal. La patiente a été ressuscitée après un coup de poing sternal. Elle a aussitôt été adressée aux urgences où elle fut admise dans un tableau d’œdème aigu du poumon massif. À son admission dans le service de cardiologie, la patiente est eupnéique au repos. Sa pression artérielle est à 95/64 mmHg et sa fréquence cardiaque à 85 bpm. Elle n’a pas de signes périphériques d’insuffisance cardiaque droite. L’auscultation cardiaque trouve un rythme cardiaque irrégulier, avec un éclat du 2e bruit au foyer mitral, ainsi qu’un roulement diastolique intermittent. Ses pouls périphériques sont tous présents. L’auscultation pleuropulmonaire trouve des râles crépitants aux bases pulmonaires. Le reste de l’examen somatique est sans particularité. L’électrocardiogramme montre une fibrillation auriculaire avec une cadence ventriculaire moyenne à 80 cycles/min. La radiographie du thorax montre une silhouette cardiaque mitrale et une surcharge vasculaire hilaire bilatérale. Les examens biologiques ne décèlent aucune anomalie. L’échocardiographie transthoracique (figures 1 à 4) objective une masse ovoïde de 42 mm de grand axe et de 24 mm de petit axe, au sein d’une oreillette gauche dilatée (surface par planimétrie en incidence apicale 4 cavités à 36 cm2) et siège d’un contraste spontané abondant. Cette masse s’enclave dans l’orifice valvulaire mitral en protomésodiastole, gênant ainsi le remplissage ventriculaire gauche (figure 5). Il n’y a pas de pédicule visualisable en échocardiographie bidimensionnelle. La masse semble totalement libre dans la cavité intraauriculaire gauche. Par ailleurs, on note un rétrécissement mitral très serré (surface mitrale par planimétrie 0,8 cm2; gradient transmitral moyen : 13 mmHg en moyenne ; gradient maximal : 19 mmHg en moyenne) à valves mitrales remaniées, non calcifiées. L’appareil sous-valvulaire est épaissi et court, constitué de cordages fusionnés. Il existe une double fuite mitro-aortique minime. Les sigmoïdes aortiques sont légèrement remaniées. Le ventricule gauche est de taille normale et de bonne fonction systolique segmentaire et globale. Les cavités cardiaques droites ne sont pas dilatées. Il existe une insuffisance tricuspidienne minime. Les pressions pulmonaires sont normales (pression artérielle pulmonaire systolique : 23 mmHg). Figure 1. Coupe parasternale grand axe montrant le thrombus « flottant » dans l’oreillette gauche. Figure 2. En coupe parasternale grand axe, le thrombus s’enclave dans l’orifice mitral en diastole. Figure 3. Coupe apicale 4 cavités. Figure 4. Coupe parasternale petit axe : dimensions du thrombus. Figure 5. Flux mitral transténotique au doppler continu : interruption du flux mésotélédiastolique secondaire à l’enclavement partiel du thrombus. Une intervention est réalisée. Au cours de son hospitalisation, la patiente n’a pas présenté de récidive syncopale. Devant cette masse très mobile menaçant le pronostic fonctionnel et vital, la décision d’une intervention chirurgicale à cœur ouvert est rapidement prise. La patiente est opérée à J3 sous circulation extracorporelle. La masse est extirpée à travers une atriotomie gauche (figure 6). Il s’agit d’une masse compacte et bien organisée, de 70 mm de long sur 30 mm de large, appendue au toit de l’oreillette gauche par un très fin et petit pédicule qui la rattache à la base de l’auricule gauche (figure 7). Après un bilan lésionnel rapide, la décision d’un remplacement valvulaire mitral par valve mécanique est prise. Les suites opératoires sont simples. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire est en faveur d’un thrombus. Figure 6. Atriotomie gauche mettant en évidence le thrombus. Figure 7. Petit pédicule inséré à la base de l’auricule gauche ligaturé, apparaissant après extirpation de la masse. Discussion Les thrombi auriculaires gauches sont fréquemment associés à la pathologie valvulaire mitrale, surtout lorsque coexistent une arythmie complète par fibrillation auriculaire et une dilatation de l’oreillette gauche. Le thrombus libre ou flottant fait partie d’un sous-groupe de thrombi particuliers qui se caractérisent par une évolution et des conséquences cliniques spécifiques dominées par le risque d’enclavement orificiel, mais aussi par un aspect macroscopique propre associant caricaturalement une forme sphérique et une structure lisse qui peut prêter à confusion avec un myxome sans attache septale ou valvulaire. Abe et coll. ont corrélé le risque d’embolie systémique dans la fibrillation auriculaire avec la forme, le site, la mobilité, le nombre et le diamètre des thrombi auriculaires gauches. Ainsi, indépendamment des autres facteurs, la mobilité du thrombus semble être un facteur prédictif d’événements emboliques cérébraux ou périphériques.   Aspects anatomiques À l’origine, le thrombus flottant prend naissance le plus souvent au niveau du septum interauriculaire sous forme de thrombus mural de petite taille, plus rarement dans l’auricule gauche. La formation du thrombus flottant peut résulter d’un microthrombus initial adhérent à la paroi, avec un phénomène d’accrétion qui augmente progressivement la taille de la masse (effet « boule de neige »). Celle-ci devient saillante tout en restant attachée à la paroi auriculaire par un pédicule. Plus le corps du thrombus augmente de taille, plus le pédicule s’affine jusqu’à ce que le thrombus se détache ou se fragmente. Pendant qu’il flotte librement dans la cavité intraauriculaire gauche, ballotté d’une paroi auriculaire à l’autre et animé de mouvements rotatoires autour de son propre axe, le thrombus acquiert secondairement son apparence caractéristique lisse et polie. Stricto sensu, un thrombus libre (free ball thrombus) possède une surface lisse sans séquelle d’attache à l’une des parois auriculaires, et un diamètre généralement plus grand que celui de l’orifice mitral. Dans notre observation, le site du thrombus était situé à la base de l’auricule gauche, ce dernier ayant été ligaturé lors d’une précédente commissurotomie mitrale à cœur fermé. Les constatations peropératoires étaient en faveur de l’étape du thrombus constitué avec une menace de détachement imminent, puisque le petit pédicule qui rattachait encore la masse à la paroi s’était détaché de celle-ci sans aucune résistance au moment de son accouchement à travers l’atriotomie gauche. De plus, l’aspect macroscopique était celui d’une masse ovoïde solide à surface lisse.   Risques liés au thrombus flottant Pendant le développement et les changements morphologiques du thrombus, le patient peut présenter des complications emboliques transitoires ou des accidents vasculaires ischémiques cérébraux. En effet, la fragmentation du thrombus suivie d’une embolie périphérique peut provoquer une ischémie ou un infarctus du myocarde, du cerveau, des viscères ou des extrémités. Paradoxalement, dans la littérature, l’embolie systémique est rarement rapportée dans la situation d’un thrombus libre. Cela serait en rapport avec l’endothélialisation de la surface du thrombus dont l’intégrité aurait tendance à empêcher l’agrégation plaquettaire et la fragmentation. Dans le cas que nous rapportons, la sévérité du rétré-cissement mitral aurait probablement fait obstacle au passage du thrombus, même s’il avait été entièrement libre. Toutefois, l’association de thrombus flottant et d’événements emboliques a été décrite dans la littérature et résulterait soit de la fragmentation du thrombus libre qui est projeté contre la valve mitrale à chaque systole ventriculaire, soit de facteurs indépendants du thrombus et liés à l’oreillette gauche (antécédent de chirurgie mitrale, fibrillation auriculaire chronique). Par ailleurs, les mouvements libres du thrombus peuvent provoquer une syncope, un œdème aigu du poumon ou une mort subite en fonction du degré d’obstruction de la valve mitrale (intermittente, partielle ou totale respectivement). Ainsi, l’étape initiale du microthrombus est dominée par le risque d’embolie, alors que la conséquence majeure d’un thrombus flottant constitué est la décompensation hémodynamique aiguë, et le risque de mort subite due à l’obstruction de l’orifice mitral (« hole-in-one » thrombus effect). Parfois, les phénomènes emboliques et obstructifs peuvent survenir en même temps. Dans le cas d’un thrombus flottant intraventriculaire gauche associé, le risque de mort subite est accru (« hole-in-two » thrombus effect).   Un diagnostic clinique difficile Un thrombus flottant dans l’oreillette gauche devrait être suspecté devant un patient présentant un rétrécissement mitral serré en fibrillation auriculaire, chez lequel on ausculte un roulement diastolique intermittent ou variable, ou qui présente des événements emboliques ou des syncopes. Un roulement mésodiastolique peut augmenter d’intensité lorsque le thrombus libre s’enclave partiellement dans l’orifice mitral et, au contraire, disparaître temporairement quand l’orifice est obstrué. La variabilité des symptômes a également été associée aux changements posturaux : la position assise peut entraîner une exacerbation de la dyspnée. Grandmougin et coll. ont rapporté le cas d’une patiente qui présentait un thrombus flottant intraauriculaire gauche géant en l’absence de rétrécissement mitral, avec pour unique symptôme une dyspnée paroxystique posturale. Parfois, le thrombus flottant intra-auriculaire gauche peut rester longtemps asymptomatique. Vitale et coll. ont rapporté un cas de thrombus flottant intraauriculaire gauche associé à un rétrécissement mitral serré, où les signes cliniques et les complications inhérents à cette situation étaient absents, malgré la taille importante du thrombus. Dans notre observation, les signes fonctionnels présentés par la patiente sont très suggestifs du diagnostic et en rapport direct avec l’enclavement transitoire et partiel du thrombus dans l’orifice mitral.   L’échographie affirme, en règle, le diagnostic Quand un thrombus flottant est suspecté cliniquement, l’échocardiographie devrait être faite sans délai. L’échocardiographie transthoracique bidimensionnelle est la méthode non invasive de choix pour la détection de ces masses. Toutefois, dans certains cas, sa sensibilité est prise en défaut et le recours à l’échocardiographie transœsophagienne devient indispensable. Gonzales et coll. décrivent le cas d’un thrombus flottant intraauriculaire gauche récidivant chez un patient porteur d’une prothèse mitrale, où l’échocardiographie transœsophagienne était indispensable pour mettre en évidence le thrombus originel logé dans l’auricule gauche. Bien que plus fréquemment décrit en présence d’un rétrécissement mitral, le thrombus flottant intraauriculaire gauche est parfois retrouvé dans d’autres circonstances plus rares, comme la coexistence d’une prothèse mécanique mitrale, d’une cardiomyopathie hypertrophique, d’une cardiomyopathie dilatée ou d’une arythmie complète par fibrillation auriculaire isolée. Shimada et coll. ont décrit un cas de thrombus flottant intraauriculaire gauche chez un patient atteint de lupus érythémateux aigu disséminé sans lésion organique mitrale.   Traitement Il semblerait qu’un traitement anticoagulant préexistant, même efficace et contrôlé, ne soit pas une condition suffisante pour prévenir la formation d’un thrombus flottant chez des patients à risque. En effet, certains cas de thrombus libres intraauriculaires gauches ont été rapportés même en présence d’une anticoagulation efficace. La chirurgie en urgence. La découverte d’un thrombus libre dans l’oreillette gauche devrait faire poser l’indication d’une chirurgie immédiate, afin d’éviter les complications fatales, a fortiori lorsque certains critères échocardiographiques sont relevés : • valvulopathie mitrale au stade chirurgical, • oreillette gauche dilatée, • arythmie complète par fibrillation auriculaire, • mobilité complète, • diamètre de la masse > 1 cm, • thrombi flottants multiples, • localisation ventriculaire associée (« hole-in-two thrombi » effect). La chirurgie permet d’obtenir un taux de survie à long terme > 90 %. Après la thrombectomie, des procédures complémentaires devraient être prises en considération dans la prise en charge d’un thrombus libre intraauriculaire gauche, en fonction des données préopératoires. Ainsi, une réduction de l’oreillette gauche, un remplacement valvulaire mitral, une ablation de la fibrillation auriculaire par radiofréquence ou une procédure de Cox Maze devraient être envisagés. Le traitement fibrynolytique et anticoagulant n’a pas de place dans la prise en charge immédiate du thrombus libre. Néanmoins, des cas de disparition du thrombus flottant sous anticoagulant ont été rapportés dans la littérature, mais cela nécessitant une surveillance échocardiographique très rapprochée et une prolongation de la durée d’hospitalisation jusqu’à la disparition complète de la masse. Quoiqu’il en soit, l’imprévisibilité de l’évolution du thrombus flottant et le risque hémodynamique majeur que cette pathologie représente, impose une prise en charge chirurgicale dans les délais les plus brefs.

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