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Polémique

Publié le 05 déc 2022Lecture 6 min

Peut-on se passer d’un DAI après une ablation de TV sur CVDA ?

Estelle GANDJBAKHCH, Mikael LAREDO, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris ; Philippe MAURY, Hôpital Rangueil, Toulouse

La cardiomyopathie ventriculaire droite arythmogène (CVDA) est une cardiomyopathie héréditaire caractérisée par une perte de cardiomyocytes focale ou diffuse et un remplacement par du tissu fibro-adipeux(1). Elle affecte principalement le ventricule droit dans sa forme classique droite dominante. Le remplacement fibro-graisseux du myocarde entraîne des zones de conduction lente hétérogènes, favorisant la survenue de tachycardies ventriculaires (TV) macro-réentrantes. Bien que l’incidence des TV dans la CVDA soit élevée (5 % par an), le risque de mort subite (MS) lié à des TV rapides et à la fibrillation ventriculaire (FV) apparaît bien moindre (1 % par an)(2,3).

Comment traiter ?   La radiofréquence L’ablation par radiofréquence est un traitement de plus en plus fréquemment utilisé chez les patients avec TV récidivante. Dans la CVDA, l’ablation est recommandée en cas de TV soutenue ou de thérapies appropriées du défibrillateur malgré un traitement bêtabloqueur et/ou antiarythmique au sein de centres experts(4,5). Au cours de l’évolution de la maladie, le substrat fibrograisseux favorisant les réentrées, progresse de l’épicarde vers l’endocarde. Les données des cartographies électroanatomiques endoet épicardiques ont montré que l’épicarde participait plus largement que l’endocarde aux circuits de tachycardie(6). Les études, dont une méta-analyse de 10 études comparatives, ont montré que l’ablation épicardique réduisait significativement la récidive de TV par rapport à l’approche endocardique seule, au prix cependant d’un risque périprocédural légèrement plus élevé. Une approche combinée endoépicardique peut ainsi être proposée en première intention dans les centres experts ou en cas d’échec de la voie endocardique seule(5).   Les défibrillateurs automatiques implantables (DAI) Ils sont le moyen le plus efficace de prévention de la mort subite par arythmie ventriculaire et sont actuellement recommandés en prévention secondaire pour les patients ayant présenté une arythmie ventriculaire, y compris en cas de TV bien tolérée sur le plan hémodynamique, ainsi qu’en prévention primaire pour patients considérés à haut risque(4). Cependant, les DAI sont associés à une morbidité importante en raison des complications liées aux sondes, du risque infectieux des dispositifs et des thérapies inappropriées, en particulier chez les patients jeunes atteints de CVDA(7). Au cours des dernières décennies, des progrès majeurs ont été réalisés dans les techniques et les stratégies d’ablation par radiofréquence, et les récents registres montrent de meilleurs taux de succès sans récidive. Un des débats actuels concernant la CVDA est de savoir si la survenue d’une TV bien tolérée sur le plan hémodynamique confère un risque accru de mort subite.   Que disent les études   Dans le registre italien de Domenico Corrado des années 2000, il était observé que les patients ayant présenté une TV bien tolérée sur le plan hémodynamique ne présentaient pas d’événement rythmique grave au cours du suivi contrairement à ceux ayant présenté une syncope rythmique ou une TV mal tolérée(8). Un autre registre italien plus récent a montré au contraire qu’il s’agissait d’un facteur de risque de survenue de troubles du rythme ventriculaire potentiellement létaux(9). Plus récemment, un large registre international incluant 864 patients dont environ 40 % avec antécédent de TV soutenue a montré qu’un antécédent de TV soutenue n’était pas associé au risque de trouble du rythme létal défini par une TV > 250 bpm, MS ou FV(3). Se pose donc la question de pouvoir traiter par ablation les patients ayant présenté une TV soutenue bien tolérée et ne présentant pas d’autres facteurs de risque de MS, en alternative à la pose d’un DAI. Cette attitude a récemment été introduite par les dernières recommandations européennes ESC 2022 de prise en charge de la cardiopathie ischémique. Basées sur deux études rétrospectives sur 31 et 166 patients avec une TV bien tolérée sur le plan hémodynamique et une dysfonction VG modérée, ces recommandations placent l’ablation en première intention avant la pose de DAI(4). Dans l’étude de Maury et al., les patients étaient atteints de différentes formes de cardiopathies structurelles dont 12 % de patients avec CVDA (n = 20), et aucun décès n’était à déplorer dans ce sous-groupe(10). Dans la CVDA, deux principales études ont montré que l’ablation par radiofréquence pouvait être une alternative à la pose de DAI en cas de TV soutenue bien tolérée. Santangeli et al. ont mené une étude observationnelle multicentrique incluant 32 patients atteints de CVDA – dont une majorité originaire d’Asie de l’Est – traités en prévention secondaire par ablation sans pose de DAI(11). Les auteurs ne rapportaient aucun décès rythmique ou MS récupérée après un suivi médian de 46 mois, avec un taux de succès sans récidive de TV de 81 %.   Notre expérience   Plus récemment, notre groupe a publié un registre rétrospectif multicentrique comprenant 65 patients ayant présenté une TV soutenue bien tolérée traité par ablation(12). Les patients avec dysfonction ventriculaire gauche, antécédent de syncope ou orage rythmique étaient exclus. Après un suivi médian de 52 mois, il n’y a eu aucun décès ou de MS récupérée, et la survie sans récidive de TV était estimée à 88 %, 80 % et 68 % à 12, 36 et 60 mois respectivement. De plus, aucun patient ayant bénéficié d’une ablation épicardique (n = 19) n’a présenté de récidive. Ces données, même si elles restent basées sur un nombre limité de patients (117 au total), montrent qu’il est possible de proposer l’ablation en alternative au DAI chez certains patients sélectionnés en prévention secondaire. Dans ce cas, il est probablement important de réaliser des ablations complètes, visant à traiter le substrat et les TV induites avec pour objectif d’atteindre les critères de succès immédiat comme la non-inductibilité et la disparition des potentiels tardifs afin d’augmenter les chances de succès de la procédure. L’abord épicardique apparaît ainsi nécessaire. Une stimulation ventriculaire programmée à distance de la procédure peut être intéressante pour vérifier l’absence d’arythmie ventriculaire déclenchable résiduelle. Il est important de souligner qu’il faut maintenir les patients sous traitement (bêtabloquant ± antiarythmique) au décours en vérifiant l’efficacité du traitement.   Bien identifier les patients   Il est également important de s’assurer que le patient ne présente pas d’autres facteurs de risque de MS qui pourraient justifier à eux seuls la pose d’un DAI. L’identification des sujets à risque de MS reste un des points les plus difficiles à l’heure actuelle. Contrairement à d’autres pathologies comme le syndrome de Brugada ou la cardiomyopathie hypertrophique dans laquelle les troubles du rythme soutenus sont généralement des TV rapides polymorphes ou de la FV, les TV monomorphes, souvent bien tolérées, sont prédominantes dans la DVDA. Les données de la littérature suggèrent que les facteurs de risque de troubles du rythme létaux peuvent être différents de ceux associés au risque de TV en général. La stimulation ventriculaire programmée, par exemple, si elle est prédictive du risque de TV, est un mauvais prédicteur du risque de mort subite. Ainsi, dans le large registre international de 864 patients, seuls 4 critères (âge jeune relatif, sexe masculin, étendue des troubles de repolarisation et charge en ESV) étaient associés au risque de trouble du rythme létal mais le score proposé à partir de ces critères présentait une performance encore sous-optimale avec un C-index de 0,74(3). D’autres facteurs de risque de MS ont été proposés à partir de registres de plus petite taille comme l’antécédent de syncope, l’atteinte ventriculaire gauche associée ou les données génétiques. Ces dernières prennent en effet une place de plus en plus importante dans la stratification du risque, certains gènes étant associés à un risque rythmique plus élevé (TMEM43, PLN, DSP, association de deux variants pathogènes, etc.). Des phénomènes aigus de type inflammatoires pourraient potentiellement aussi jouer un rôle. Des efforts sont donc encore nécessaires pour affiner la prédiction du risque rythmique, en particulier d’arythmie grave, ce qui permettra de sélectionner au mieux les patients à risque de MS qui bénéficieront réellement du DAI, et de proposer aux autres des traitements alternatifs comme l’ablation. Le DAI sous-cutané (ou bientôt extravasculaire) en complément d’une ablation de TV peut aussi être discuté comme alternative au DAI endocavitaire chez les sujets jeunes.

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