Polémique
Publié le 21 déc 2020Lecture 7 min
Prise en charge de la FA en 2020 : contrôle du rythme ou de la fréquence ventriculaire ?
Sana AMRAOUI, Neuilly-sur-Seine
La fibrillation atriale (FA) est associée à un surrisque d’événements thromboemboliques, mais aussi de morbi-mortalité. Audelà du rôle essentiel du traitement anticoagulant dans la prévention du risque thromboembolique, face à un patient qui présente une FA, le cardiologue doit se poser la question fondamentale suivante : quand contrôler le rythme et quand contrôler la fréquence ventriculaire (V) ?
En effet, le choix entre les deux stratégies peut constituer un dilemme. Des données issues d’études publiées dans les années 2000 comparant le traitement anti-arythmique (AAR) au contrôle pharmacologique de la fréquence V ont créé une certaine confusion dans le choix de la meilleure stratégie à adopter en fonction du patient. Les dernières recommandations sur le diagnostic et la prise en charge de la FA parues en 2020 permettent de statuer sur certains points spécifiques comme la place des différentes stratégies thérapeutiques et notamment celle de l’ablation par cathéter(1).
Intérêt d’une prise en charge précoce
Prévention du risque thromboembolique
Entre 20 et 30 % des accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques est une conséquence de la FA, et c’est le cas pour 10 % des AVC cryptogéniques(2-4).
Substrat et remodelage myocardique
– Remodelage atrial électrique et mécanique : la transition d’une forme paroxystique à une forme plus évoluée est caractérisée par un remodelage structurel plus marqué du substrat atrial(5-7) ayant pour conséquence une progression vers une forme persistante dans l’année de 1 à 15 %(8,9). En effet, le substrat atrial (souvent corrélé au degré de dilatation des atria et de la dispersion de la fibrose dans celles-ci) entraîne une prolongation des temps de conduction électrique une perturbation du couplage électromécanique du tissu, et au final, un remodelage à l’origine de cette dysfonction atriale(10). Cette progression vers des formes persistantes/permanentes est associée à une majoration des complications cardio-vasculaires, des hospitalisations et de la mortalité(11).
– Dysfonction ventriculaire gauche et insuffisance cardiaque : entre 20 et 30 % des patients en FA présente une dysfonction ventriculaire gauche/insuffisance cardiaque, conséquence notamment d’une accélération de la cadence ventriculaire(12-14).
Qualité de vie et morbi-mortalité
Qualité de vie : la FA, par toutes ses conséquences, impacte fortement la qualité de vie, d’autant plus lorsque la charge en arythmie est élevée. Plus de 60 % des patients en FA décrivent une réduction significative de la qualité de vie(15-17).
Hospitalisation : approximativement 30 % des patients en FA ont été hospitalisés. Environ 10 % des patients en FA sont hospitalisés au moins 2 fois par an(18-20).
Mortalité : le diagnostic de FA est indépendamment associé à un risque de mortalité deux fois plus important chez les femmes et 1,5 fois plus élevé chez les hommes(21-23) avec un risque global supérieur de 3,5 fois notamment en raison de l’insuffisance cardiaque associée(24,25).
Impact clinique de la stratégie de contrôle de la fréquence cardiaque
Le contrôle des symptômes
Dans les années 2000, certaines études (RACE et AFFIRM) ont apporté des arguments en faveur de la stratégie de contrôle de la fréquence cardiaque, comparant le traitement médicamenteux AAR au contrôle de la fréquence V dans la prise en charge de la FA(26-28). Il avait été conclu que, comparée à la stratégie de contrôle de la fréquence V, la stratégie de contrôle du rythme n’apportait pas de bénéfice et pouvait même être associée à un risque de surmortalité. Pourtant, une étude post-hoc d’AFFIRM mettait en évidence que le maintien du rythme sinusal était un facteur de réduction de la mortalité, mais que l’usage des (AAR) était par contre, associé à une surmortalité, annulant ainsi le bénéfice potentiel d’une stratégie de contrôle du rythme(29).
Impact clinique de la stratégie de contrôle du rythme cardiaque
Elle consiste à maintenir et/ou à restaurer le rythme sinusal par cardioversion, traitement AAR et/ou ablation par cathéter, ainsi que le traitement des facteurs favorisant la FA. Les objectifs principaux de cette stratégie sont : 1- améliorer la qualité de vie par la réduction des symptômes ; 2- limiter la progression des formes paroxystiques vers des formes persistantes ou permanentes ; 3- et ainsi ralentir le développement de l’insuffisance cardiaque à composante rythmique(30).
Comparaison avec la stratégie de contrôle de la fréquence ventriculaire
Afin de lutter contre ces conséquences néfastes de la FA, même si intuitivement la stratégie de contrôle du rythme cardiaque pourrait sembler plus efficace qu’une stratégie de contrôle de la fréquence V, ce n’est que récemment que de nouvelles études ont confirmé cette hypothèse. En effet, jusqu’à présent, il n’y avait pas d’évidence absolue de cette théorie(26,31,33), ces études n’incluant pas l’ablation de FA par cathéter dans la stratégie de contrôle du rythme, technique qui a notamment démontré son efficacité dans l’étude CABANA(34,35), et dont le succès est synergique avec l’utilisation de traitements AAR(36,37).
Ralentissement de la progression vers les formes persistante et permanente de FA
Il a été démontré un ralentissement de la progression vers les formes persistantes/permanentes de FA lors de la stratégie de contrôle du rythme, comparativement à celle de contrôle de la fréquence cardiaque(38-40). Afin de répondre à cette question comparative et essentielle sur la stratégie précoce de contrôle du rythme, l’étude internationale randomisée et contrôlée parue en octobre 2020(41), a comparé ces deux stratégies notamment chez les patients avec FA diagnostiquée récemment (1 an avant inclusion). Le contrôle précoce du rythme cardiaque consistait à l’ablation de FA par cathéter et/ou la mise en place de traitement anti-arythmique. Sur un total de 135 centres et de 2 789 patients avec FA de moins d’un an inclus, l’étude a dû être stoppée après une médiane de plus de 5 ans par patient devant une réduction du critère combiné incluant la mortalité dans le bras de contrôle du rythme (comparativement à celui de contrôle de la fréquence V). En effet, la prise en charge précoce du patient avec contrôle du rythme cardiaque est associée à un risque global moins important de complications cardio-vasculaires (mortalité cardio-vasculaire, AVC, aggravation de l’insuffisance cardiaque) comparativement à la stratégie de contrôle de la fréquence V(42).
Évolutions dans les indications d’ablation de FA
L’ablation par cathéter de FA en première ligne thérapeutique
Cette technique peut être envisagée avant même l’utilisation de traitements AAR dans certains cas.
Cardiomyopathie rythmique : elle est recommandée avec indication de classe I (contre IIa en 2016) pour favoriser le remodelage inverse du VG chez les patients avec probabilité élevée de cardiomyopathie rythmique lors du passage en FA.
Absence de facteurs de risque de récidive de FA post-ablation : l’isolation des veines pulmonaires devrait être envisagée en première intention chez les patients avec FA symptomatique et les caractéristiques suivantes : épisodes de FA paroxystique (indication de classe IIa), ou épisodes de FA persistantes sans facteur de risque majeur de récurrence de FA, comme alternative aux traitements AAR de classe I ou III, en considérant les choix du patient, les bénéfices et les risques de la procédure (IIb).
L’ablation de FA après échec d’un traitement médicamenteux
L’isolation complète des veines pulmonaires est maintenant fortement recommandée avec indication de classe I (contre IIa en 2016) pour le contrôle du rythme cardiaque après échec ou intolérance à un traitement AAR de classe I ou III, chez les patients aux antécédents de : 1- FA paroxystique ; 2- FA persistante sans facteur de risque majeur de récidive de FA (hypertension artérielle, obésité, taille de l’OG, syndrome d’apnées du sommeil…) ; et même 3- FA persistante avec facteur de risque majeur de récidive de FA.
Les études des années 2000 avaient conclu que, comparativement à la stratégie de contrôle de la fréquence V, la stratégie de contrôle du rythme n’apportait pas de bénéfice. Cependant, ces études contrôlaient le rythme avec des traitements AAR associés à une surmortalité prouvée et n’utilisaient pas l’ablation par cathéter.
L’ablation par cathéter, initialement proposée en cas d’échec des AAR, a prouvé qu’elle était plus efficace que les traitements médicamenteux, notamment dans les formes précoces de FA permettant non seulement le contrôle des symptômes, mais aussi le ralentissement du passage de la forme paroxystique vers les formes persistantes puis permanentes. De plus, l’expérience grandissante des équipes de rythmologie interventionnelle a permis de réduire l’incidence globale des complications.
Les données récentes de réduction de la morbi-mortalité chez des patients où le choix a été fait de contrôler le rythme cardiaque tendent à nous faire privilégier cette stratégie, sauf dans les cas où l’efficacité escomptée est faible (que ce soit par le traitement anti-arythmique et/ou par l’ablation) et qu’elle ne contrebalance pas les risques liés à l’intervention. L’époque du choix systématique de la stratégie de contrôle de la cadence ventriculaire semble donc révolue.
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