Publié le 15 mar 2019Lecture 4 min
Le screening d’éligibilité au défibrillateur sous-cutané
Pierre OLLITRAULT, CHRU de Caen
Le défibrillateur sous-cutané (Emblem™ MRI S-ICD, Boston Scientific, est le seul représentant de cette catégorie actuellement commercialisé) représente une avancée technique considérable dans la prévention de la mort subite. Actuellement recommandé en première intention chez les patients à haut risque infectieux ou à abord vasculaire inadapté, il constitue une alternative efficace au défibrillateur à sonde endovasculaire lorsqu’il n’y a pas d’indication de stimulation (antitachycardique ou antibradycardique) ou de resynchronisation(1,2).
En conséquence, le nombre d’implantations de défibrillateurs sous-cutanés (DSC) a doublé entre 2015 et 2016, la France étant au premier rang des pays européens implanteurs(3).
Pourquoi un screening d’éligibilité ?
Une des complications les plus fréquentes du DSC est la survenue de chocs inappropriés, estimée à 12 % dans les 3 années suivant l’implantation, principalement due à des surdétections de l’onde T(2). Dans l’optique de prévenir ces dernières, la validation du choix d’un DSC (par rapport à son homologue endovasculaire) passe obligatoirement par la réalisation d’un screening d’éligibilité.
Les méthodes de screening
Le screening DSC repose sur l’analyse préopératoire des vecteurs ECG de surface, le patient étant éligible si au moins un vecteur – primaire, secondaire ou supplémentaire – est compatible dans les positions allongée et assise, au repos, en marge sternale gauche ou droite (figure 1). Durant les premières années de commercialisation, le screening était manuel, réalisé à l’aide d’un ECG 3 dérivations, à différents gains (5, 10 et 20 mm/mV), et d’une règle-modèle (figure 2A). Un screening automatisé a ensuite été intégré dans le programmateur (figure 2B), permettant de simplifier la démarche et d’améliorer ses performances(4).
Figure 1. Positionnement des électrodes de l’électrocardiogramme de surface pour la réalisation du screening d’éligibilité, avec analyse des vecteurs primaire (3), secondaire (2) et supplémentaire (1). Dans cet exemple utilisation de la marge sternale gauche.
Figure 2. Méthodes de réalisation du screening d’éligibilité. A : Règle-modèle de screening manuel à partir du tracé de l’électrocardiogramme 3 dérivations sur papier. B : Outil de screening automatisé via le programmateur.
Actuellement, il est recommandé de réaliser ce screening au repos, afin de confirmer l’indication de DSC en préalable d’une implantation.
Il existe un rationnel pour un screening complémentaire à l’effort, du fait des modifications de détection des signaux et du risque plus élevé de thérapies inappropriées dans ces conditions.
En pratique, un screening à l’effort ne semble pas affecter la proportion de patients déclarés éligibles au DSC, avec toutefois une modification du vecteur optimal (primaire, secondaire ou supplémentaire) à l’effort chez 7 % des patients(15). Il est important de noter qu’aucune donnée issue des registres de suivi du DSC (IDE et EFFORTLESS) ne permet de préciser les circonstances de survenue des thérapies inappropriées (repos vs effort), et l’impact de la réalisation du screening à l’effort sur la survenue de ces dernières. En conséquence, le screening à l’effort n’est pas systématique à l’heure actuelle ; une optimisation des vecteurs de détection à l’effort peut toutefois être réalisée en postimplantation, notamment chez les patients jeunes et actifs ou à risque élevé de thérapies inappropriées.
Facteurs de risque d’inéligibilité
La totalité des études portant sur l’éligibilité au DSC repose sur le screening manuel, sur des populations composées en grande partie de sujets hypertrophiques ou atteints de cardiomyopathies ischémiques, de canalopathies et de fibrillations ventriculaires idiopathiques. Parmi ces patients, environ 10 % sont jugés inéligibles, cette proportion pouvant atteindre 20 % en cas de largeur importante des QRS (notamment de bloc de branche droite) ou de syndrome de Brugada(5-10). Les cardiopathies congénitales (principalement tétralogie de Fallot, transposition des gros vaisseaux et ventricule droit systémique) représentent aussi un sous-groupe de patients où le taux d’inéligibilité préopératoire est plus élevé (25 %), avec des variations importantes en fonction de la complexité de la cardiopathie(11). Chez ces patients, l’utilisation de la marge sternale droite permet de diminuer le taux d’inéligibilité(12,13). Enfin, un poids élevé, un ratio onde R sur onde T < 3, une discordance de polarité entre complexe QRS et onde T, une inversion des ondes T entre V2 et V6 et un allongement du QT sont des facteurs de risques retrouvés de manière plus inconstante dans la littérature.
Qu’en est-il des fausses inéligibilités ?
Les données de la littérature à ce sujet sont récentes et apportent matière au débat : en effet, chez les patients implantés d’un DSC et sans aucune thérapie inappropriée durant le suivi (patient ayant donc une éligibilité « vraie »), 3 à 6 % sont déclarés inéligibles a posteriori par ces mêmes outils de screening, cette proportion étant plus importante avec l’outil de screening automatique et lorsque l’on réalise un screening à l’effort (jusqu’à 18 %)(14). Bien que recommandés systématiquement avant de confirmer l’implantation d’un tel dispositif, les outils de screening semblent donc limités par leur sensibilité et spécificité imparfaites. En conséquence, un nombre incertain mais probablement non négligeable de patients est déclaré inéligible à tort, alors que l’indication est légitime.
Malgré le développement d’algorithmes visant à diminuer les thérapies inappropriées par surdétection (ouverture de deux zones de détection d’arythmie ventriculaire, algorithme SMART Pass), le screening d’éligibilité préopératoire au DSC reste systématique. Ses performances sub-optimales doivent amener à reconsidérer son usage systématique, afin de ne pas déclarer inéligibles des patients qui pourraient bénéficier d’un DSC, notamment en cas de risque infectieux élevé ou d’abord vasculaire inadapté. La validation de l’implantation d’un DSC sans screening préopératoire, chez les patients jugés à faible risque d’inéligibilité, devrait faire l’objet d’une étude prospective afin d’évaluer la sécurité de cette pratique.
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