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Dossier GRCI

Publié le 20 oct 2019Lecture 6 min

Défendons la cardiologie interventionnelle, mais aussi la langue française

Pierre AUBRY(a,b), a. Département de cardiologie, Centre hospitalo-universitaire Xavier Bichat, Paris ; b. Service de cardiologie, Centre Hospitalier de Gonesse, Gonesse.

"Alors Mme G., toujours d’accord pour faire le TAVI ? » « Bon Mr D., vous avez réfléchi entre la chirurgie et le TAVI ? »

Ces phrases ont probablement déjà été entendues par beaucoup d’entre nous. Bien entendu le terme « TAVI » n’est pas employé pour complexifier aux patients la nature de leur pathologie ou leur réflexion, mais reconnaissons que la formulation « valve aortique biologique implantée par cathéter (VABIC) » aurait un timbre plus compréhensible pour les patients et leur entourage. Abréviation, sigle ou acronyme ? Le terme « TAVI » est-il une abréviation, un sigle ou un acronyme ? L’abréviation est la réduction d’un mot en retranchant une partie : Dr est l’abréviation de Docteur. Le sigle est une abréviation qui consiste à utiliser la première lettre de chaque mot. On prononce lettre par lettre : HNF est le sigle d’héparine non fractionnée. « TAVI » est un acronyme, c’est-à-dire un sigle qui se prononce comme un mot ordinaire. On ne le prononce pas lettre par lettre. Mais sera-til un jour reconnu comme mot français ? Les abréviations sont largement utilisées en médecine y compris dans nos courriers destinés aussi à un public non professionnel de santé. Leur intérêt n’est pas contestable avec un gain certain d’espace et de temps de rédaction. IDM, SCA, ST+, Tp-, TC, IVA, ATL, RAC, IM, FEVG, IC, CIA, FOP, AVC, AIT, DFG, etc. : autant de termes fréquemment lus dans les comptes rendus. Rarement, un patient va venir demander l’explication d’un sigle ou d’un acronyme, dont certains sont rentrés dans le langage du grand public (sans forcément avoir une bonne connaissance de leur signification). Le professionnel de santé non spécialiste hésite bien souvent à questionner le rédacteur du courrier. Il est plus rapide d’utiliser un moteur de recherche. Peut-on imaginer des logiciels permettant de retranscrire l’orthographe complète à partir d’un sigle ou d’un acronyme au moment de la dictée ou de la frappe ? Pas forcément une bonne idée pour notre planète avec une surconsommation d’espace et donc de papier. La cardiologie interventionnelle n’est pas la seule spécialité médicale concernée. Reconnaissons que certains courriers peuvent rester abscons pour bon nombre de non-spécialistes. Voici un exemple recueilli récemment dans une lettre de néphrologue : « IRCT sur NITC à la PBR »… Origine du terme «TAVI » L’article princeps publié par Alain Cribier en 2002 dans la revue Circulation était intitulé : Percutaneous transcatheter implantation of an aortic valve prosthesis for calcific aortic stenosis : first human case description. Les auteurs anglo-saxons ont clarifié et simplifié comme souvent par Transcatheter Aortic-Valve Implantation (TAVI), car quelques procédures nécessitent un abord chirurgical et que la valve native n’est pas explantée. Dont acte. Mais curieusement certaines publications récentes parlent toujours de Transcatheter Aortic-Valve Replacement. Ne soyons pas naïfs ou excessivement optimistes, le terme « TAVI » va rester comme le MacDo le Smartphone, ou le Tweet, et l’on ne proposera jamais à un patient une procédure de type « VABIC ». La Société française de cardiologie (SFC) endosse généralement les recommandations européennes rédigées en langue anglaise, aussi le sigle TAVI est parfaitement intégré. Il apparaît seulement dans le registre France-TAVI (registre français sur les bioprothèses valvulaires aortiques implantées par cathéter) lorsqu’on réalise une recherche sur le site de la SFC. Mais dans un numéro de 2018 des Archives des Maladies du Coeur et des Vaisseaux Pratique, journal d’expression française de la SFC, on note un article intitulé : « Position papier français (GACI) pour l’implantation de valve aortique percutanée (TAVI) ». Notons l’utilisation discutable de ces deux acronymes. Certains ou certaines essayent de s’adapter tant bien que mal comme la Haute Autorité de Santé (HAS) qui a intitulé un référentiel paru en janvier 2019 : « Bioprothèses valvulaires aortiques implantées par voie transcathéter (TAVI) » On n’utilise pas exactement la terminologie habituelle française et on y ajoute un « acronyme » anglo-saxon qui ne correspond pas au texte. Les mots ont de l’importance dans les textes officiels, mais a priori dans le cas précis, aucun rédacteur ou relecteur de ce référentiel n’a relevé l’incongruité certaine du titre. Sans doute sommes-nous habitués maintenant à utiliser facilement des mots non répertoriés dans notre langue d’usage. Pour preuve, dans un autre document de la HAS datant de 2018 titré : « Réévaluation des critères d’éligibilité des centres implantant des bioprothèses valvulaires aortiques par voie artérielle transcutanée ou par voie transapicale », on parle de TAVIs au pluriel et de patients bénéficiant de la pose d’un TAVI… on ne pose pas un TAVI qui est la description d’une implantation. Tout n’est pas imparfait dans nos textes législatifs. Dans les arrêtés du Journal Officiel (JO) relatifs à l’inscription sur la Liste des produits et prestations remboursables (LPPR) des prothèses aortiques implantables par voie percutanée, le terme « TAVI » n’est pas cité dans la fiche descriptive intitulée : « Bioprothèse valvulaire transcutanée aortique ». Mais cela n’empêche pas de retrouver dans le référentiel de la HAS, les citations suivantes : « les fabricants de TAVI », « l’implantation d’un TAVI », etc. D’accord pour utiliser des acronymes connus largement, même venant d’une langue étrangère, mais alors avec une certaine cohérence : on fabrique une bioprothèse aortique, on implante une bioprothèse aortique. Un acronyme largement utilisé peut-il un jour intégrer le dictionnaire de l'Académie Française ? Ce dernier est défini comme un dictionnaire d’usage où ne figurent que les termes qui, du langage du spécialiste, sont passés dans l’usage courant et appartiennent à la langue commune. Seuls trois volumes de ce dictionnaire académique sont parus en s’arrêtant à la lettre S. Il faudrait parcourir les couloirs de l’institution du quai de Conti pour s’en faire une idée. « Vous savez cher collègue qu’un TAVI m’a sauvé la vie cet été. Un TAVI ? Tiens, un mot qui a échappé à ma connaissance reconnue pourtant comme universelle. Chère amie, il faudra en discuter à une prochaine séance du jeudi après-midi ». Je doute de la démarche et surtout de son aboutissement. Les acronymes ne sont pas cités dans le dictionnaire des Immortels comme dans le dictionnaire Larousse et le Littré d’ailleurs. Le mot « IDM » est inconnu du Littré. Bien entendu, si on tape « IDM » dans des dictionnaires disponibles sur Internet, un lien immédiat va vous diriger sur infarctus du myocarde, magie de l’interconnexion. Gardons à l’esprit que certains acronymes sont devenus des mots de la langue française comme « laser », sigle de l’anglais Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation, et qui existe bien dans le Dictionnaire de l’Académie Française. Restons imaginatifs, souples et tolérants pour le langage parlé qui par nature laisse peu de traces. En revanche, essayons de faire quelques efforts de bon sens lorsqu’il est question de rédiger un document écrit, surtout s’il doit être partagé ou réalisé dans un cadre réglementaire. La langue française ne s’en portera que mieux, ainsi que la compréhension entre les soignants et les patients. J’en terminerai avec un petit conseil aux jeunes générations : si vous êtes à l’origine d’un concept, d’un nouveau traitement ou d’une technique innovante en cardiologie interventionnelle, alors réfléchissez bien au choix de l’intitulé descriptif, avec un bon équilibre en consonnes et voyelles pour un acronyme qui circulera dans l’hexagone et peut-être au-delà des frontières. Vous aurez alors un peu travaillé utilement à une mondialisation si souvent décriée à juste titre.

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