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Échocardiographie

Publié le 09 mar 2014Lecture 7 min

Rétrécissement aortique avec FE préservée : discordance gradient/surface valvulaire, comment raisonner ?

J.-L. MONIN, CHU Henri-Mondor, Créteil

En cas de rétrécissement aortique calcifié (RAC) avec fraction d’éjection ventriculaire gauche (VG) préservée (> 50 %), on parle de discordance entre le gradient de pression et la surface valvulaire quand le gradient moyen est < 40 mmHg (ou le pic de vitesse < 4 m/s) malgré une surface aortique <1cm2.

Prenons l’exemple d’une patiente de 80 ans suivie pour un RAC, hospitalisée pour une poussée d’insuffisance cardiaque. Elle pèse 70 kg pour 1,67 m (surface corporelle : 1,79 m2) et malgré une fraction d’éjection VG calculée à 55%, les critères échographiques sont discordants avec un pic de vitesse transvalvulaire à 3,8 m/s et un gradient moyen à 36 mmHg en dépit d’une surface aortique calculée à 0,8 cm2 (figure 1).     Figure 1. Discordance entre les différents paramètres d'évaluation d'un RAC : surface aortique calculée à 0,8 cm2 malgré un gradient moyen < 40 mmHg et un pic de vitesse < 4 m/s.   Dans ce cas, trois explications sont possibles, avec par ordre de fréquence : 1. Une erreur de mesure d’un ou plusieurs paramètres de l’équation de continuité. 2. Un mauvais étalonnage entre les différents critères de sévérité du RAC. 3. Un bas débit/bas gradient paradoxal, lié en grande partie à une altération de la fonction VG longitudinale.   Étude SEAS : pronostic favorable  à moyen terme en cas de discordance chez un patient asymptomatique   Parmi la cohorte de l’étude SEAS (Simvastatine and Ezetimibe in Aortic Stenosis), 435 patients (29%) avaient une sur face aortique < 1 cm2 malgré un gradient moyen < 40 mmHg et une fraction d’éjection > 55% : nous appellerons ce groupe « discordant ». Par ailleurs, 184 patients (12%) avaient un RAC « modéré » avec une surface entre 1 et 1,5 cm2 et un gradient moyen entre 25 et 40 mmHg(1).   Rappelons que, par définition, tous les patients de la cohorte SEAS étaient asymptomatiques. Les patients du groupe « discordant » étaient majoritairement des femmes (55%), avec une surface aortique et un débit cardiaque significativement plus bas que dans le groupe « modéré » (p < 0,01). Cependant, la masse myocardique indexée était plus basse dans le groupe « discordant ».   Les résultats ne retrouvent aucune différence en termes d’événements cardiovasculaires (décès, évolution vers les symptômes, remplacement valvulaire) entre les 2 groupes après un suivi moyen de 3,5 ans(1).   Au vu de ces résultats, on est tenté de conclure que les patients asymptomatiques ayant une discordance entre les gradients et la surface valvulaire ont probablement un RAC modéré, compte tenu d’un bon pronostic sous traitement conservateur(1). Dans ce cas, les critères discordants pourraient s’expliquer par une ou plusieurs erreurs de mesure ou par un mauvais étalonnage des critères échographiques entre eux(1).   Première cause de résultats discordants : l’erreur de mesure   La mesure du diamètre sous-aortique (anneau basal virtuel) pour l’équation de continuité est techniquement difficile, notamment chez les sujets âgés.   L’anneau basal virtuel doit être mesuré exclusivement par voie parasternale longitudinale, en utilisant le zoom, entre les 2 points d’insertion des sigmoïdes aortiques(2). Une sous-estimation de 1 mm du diamètre sous-aortique réduit la surface aortique de 0,1 cm2 ; ainsi dans l’exemple choisi pour la figure 2, une sous-estimation de 3 mm du diamètre de l’anneau réduit la surface de 1,2 cm2 à 0,9 cm2 , franchissant ainsi le seuil de sévérité.   Figure 2. A :  diamètre mesuré à 21 mm, d'où une surface calculée à 0,9 cm2, soit un RAC serré. B et C :  une mesure correcte du  diamètre à 24 mm rectifie la surface aortique à 1,2 cm2, en faveur d'un RAC modéré.   Le recueil de l’intégrale temps-vitesse (ITV) sous-aortique en Doppler pulsé nécessite également une grande rigueur technique afin d’enregistrer un flux laminaire et les vitesses les plus élevées.   La sous-estimation de l’ITV sous-aortique amène également à sous-estimer le débit cardiaque et la surface valvulaire. Ainsi, un bas débit/bas gradient peut être créé de toutes pièces par une ou plusieurs erreurs de mesure, amenant à sous-estimer la surface valvulaire aortique(3).   Deuxième cause : mauvais étalonnage des critères de sévérité   Une étude allemande(4) a évalué la concordance entre les 3 critères échographiques de sévérité d’un RAC :   - pic de vitesse ; - gradient moyen ;   - surface valvulaire.   L’analyse rétrospective de 3 500 échographies réalisées chez 2 400 patients (fraction d’éjection normale) donne les résultats suivants : - en cas de surface aortique < 1 cm2, le pic de vitesse reste < 4 m/s et/ou le gradient moyen reste < 40 mmHg dans respectivement 25% et 30% des cas(4) ;   - à l’opposé, un pic de vitesse > 4 m/s correspond bien à un gradient moyen > 40 mmHg, tous deux correspondant généralement à une surface valvulaire de 0,8 cm2(4).   Ces données pourraient donc inciter à une révision du seuil de sévérité pour la surface aortique dans les recommandations (0,8 cm2 au lieu de 1 cm2), comme suggéré récemment par William Zoghbi (chairman de l’American Society of Echo cardiography)(5).     Les récentes recommandations européennes pour la prise en charge des maladies valvulaires (ESC/EACTS) ont finalement décidé de maintenir le seuil de sévérité à 1 cm2 pour la surface aortique en indiquant qu’un RAC « critique » correspondait plutôt à une surface < 0,8 cm2(6). J’interprète personnellement cette recommandation de la manière suivante : une surface valvulaire à 0,9 cm2 (gradient moyen à 25 mmHg, fraction d’éjection conservée) chez une patiente asymptomatique de petit gabarit peut correspondre à un RAC moyennement serré.   Troisième cause (rare) : bas débit/bas gradient paradoxal   Le groupe de l’université de Laval (Québec) a défini le concept de RAC avec bas débit/bas gradient paradoxal sur les critères suivants : surface valvulaire aortique < 0,6 cm2/m2 avec gradient moyen < 40 mmHg et volume d’éjection systolique indexé < 35 ml/m2 malgré une fraction d’éjection VG > 50%(7).   Le concept est le suivant : en dépit d’une fraction d’éjection conservée, ces patients (surtout des femmes) ont une petite cavité ventriculaire avec une forte hypertrophie, d’où un faible volume d’éjection systolique expliquant un bas débit relatif (ou paradoxal) pouvant expliquer un faible gradient moyen malgré un RAC sévère. Le bas débit paradoxal serait donc un RAC sévère « masqué », justifiant la chirurgie, sous peine d’un mauvais pronostic à court terme sous traitement conservateur(7).   Plusieurs auteurs ont soulevé les limites de l’étude princeps québécoise : étude rétrospective dont le critère de jugement est la mortalité globale sans aucune donnée sur l’état fonctionnel des patients, les causes de décès ou les éventuelles indications chirurgicales. Une étude plus récente du même groupe surmonte la plupart de ces limites(8).   Pour ce travail, 187 patients ayant les critères de bas débit/bas gradient paradoxal ont été appariés : d’une part, sur le gradient moyen, avec 187 patients ayant un RAC modéré et, d’autre part, sur la surface valvulaire avec 187 autres patients ayant un RAC serré avec gradient élevé. Les résultats montrent qu’après ajustement sur l’ensemble des facteurs de risque, la mortalité cardiovasculaire reste 2 fois plus élevée dans le groupe « bas débit paradoxal » comparé aux 2 autres groupes(8).   Ces résultats peuvent sembler contradictoires avec ceux de l’étude SEAS (voir ci-dessus)(1). Mais il existe une différence majeure entre ces deux séries : les patients de l’étude SEAS étaient par définition asymptomatiques dans 100% des cas(1), alors que ceux de l’étude québécoise étaient symptomatiques dans plus de 70% des cas(8). Il est donc logique d’admettre que la plupart des patients de l’étude SEAS avaient un RAC modéré, tandis qu’un bon nombre de patients québécois avaient probablement un RAC sévère, d’où la différence de pronostic à moyen terme, sachant que seulement 40% des patients avec bas débit/bas gradient ont été opérés(8).   Comment expliquer le bas débit paradoxal ?   Ce qui manquait à la validation du concept de bas débit paradoxal, c’était la preuve d’une dysfonction systolique VG. Une équipe allemande a montré récemment qu’en cas de RAC sévère au stade de bas débit, il existe une fibrose myocardique prédominant sur les segments basaux du VG, quantifiée de manière fiable par l’IRM cardiaque(9). Cette fibrose myocardique est irréversible et influence de manière péjorative le pronostic global, y compris en postopératoire(9). Dans ce contexte, l’importance de la fonction longitudinale du VG a été démontrée par une étude multicentrique menée sur 340 patients ayant un RAC serré avec fraction d’éjection préservée (> 50%)(10).   Les patients étaient répartis en 4 groupes en fonction du débit cardiaque d’une part (volume d’éjection systolique indexé ; valeur seuil : 35 ml/m2) et du gradient transvalvulaire, d’autre part (gradient moyen ; valeur seuil : 40 mmHg). Le point fort de cette étude est l’analyse systématique de la déformation longitudinale (strain) du VG permettant le calcul du  strain longitudinal global.   Les résultats montrent que malgré une fraction d’éjection préservée, la fonction longitudinale est significativement altérée en cas de bas débit/bas gradient, avec une altération prédominante du strain des segments basaux par rapport aux patients avec débit normal (figure 3, tableau). Pour mémoire, la prévalence du bas débit/bas gradient paradoxal était de 9% dans cette étude(10).   Figure 3. Même patiente que sur la Figure 1. Étude de la déformation longitudinale du myocarde (strain)  qui montre un strain longitudinal global abaissé à 16% (normale entre 18 et 20%) avec notamment une diminution du strain sur les segments basaux (entre - 9 et - 13%), probablement liée à la présence de fibrose myocardique.   Tableau. Ce qu’il faut retenir   En cas de discordance entre un faible niveau de gradient transvalvulaire et une surface aortique < 1 cm2, les principales explications peuvent être : - Le plus fréquemment une erreur de mesure d’un ou plusieurs paramètres de l’équation de continuité. - Dans à peu près un tiers des cas, un mauvais étalonnage entre les différents critères de sévérité du RAC ajouté à un patient de petit gabarit pour lequel une surface à 0,9 cm2 peut être compatible avec un RAC modéré. - Plus rarement un RAC sévère avec bas débit/bas gradient paradoxal, dû à une petite cavité ventriculaire gauche avec altération prédominante de la fonction longitudinale du VG, elle-même liée à une fibrose myocardique. Dans notre expérience quotidienne, partagée avec plusieurs équipes, la prévalence du bas débit/bas gradient paradoxal se situe autour de 10%, et les implications thérapeutiques en sont encore discutées.

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