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Coronaires

Publié le 14 mai 2014Lecture 8 min

La circulation collatérale coronaire

M. E. BERTRAND, Hôpital Cardiologique Universitaire de Lille

La circulation collatérale se caractérise par des vaisseaux reliant deux artères coronaires ou deux segments d'artères coronaires. Sur le plan historique, la présence de vaisseaux reliant l'artère coronaire droite à la coronaire gauche a été décrite pour la première fois par Richard Lower(1) en 1669. Ceci fut confirmé ultérieurement en 1757 par un anatomiste suisse, Albrecht von Haller(2). Après de nombreux débats, il a été admis que la circulation collatérale coronaire existait et pouvait jouer un rôle important, notamment en cas d'ischémie myocardique.

La circulation collatérale est dite ipsilatérale (figure 1A) quand elle réunit deux segments d’une même artère coronaire. Elle est dite contralatérale quand elle réunit une artère coronaire à l’autre, par exemple l’artère interventriculaire antérieure à la coronaire droite (figure 1B). Ce réseau collatéral est présent à l’état embryonnaire et peut s’ouvrir dans des circonstances pathologiques, par exemple une sténose importante créant une ischémie myocardique dans le territoire considéré. Selon certains auteurs, 20 % des patients avec une maladie coronarienne stable présenteraient une circulation collatérale coronaire bien développée.   Figure 1. Circulations collatérales. Comment peut-on mettre en évidence une circulation collatérale coronaire ?   L’angiographie coronaire est le moyen le plus simple pour mettre en évidence une circulation collatérale macroscopique. Lors de l’injection d’une artère coronaire, par exemple l’artère coronaire droite (figure 2), on observe l’opacification a retro de la partie distale de l’artère interventriculaire antérieure. Dans le cas présent, la partie distale de ce dernier vaisseau, situé au-delà d’une obstruction totale travaille sous un régime de pression plus bas que la pression normale. Dans ces conditions, l’opacification de l’artère coronaire droite, qui se fait en fait sous une pression supérieure à la pression normale, permet de remplir de façon rétro grade la partie distale de l’artère interventriculaire antérieure (figure 2). La figure 3 montre un remplissage rétrograde de l’artère circonflexe à partir de la coronaire droite.   Figure 2. Perfusion rétrograde de l’IVA distale à partir de la coronaire droite. Figure 3. Remplissage rétrograde de l’artère circonflexe à partir de la coronaire droite.    Mais il existe d’autres moyens de mettre en évidence une circulation collatérale. Ceux-ci résultent de travaux cliniques ayant utilisé l’angioplastie coronaire comme un modèle expérimental d’ischémie. En effet, pendant l’inflation du ballonnet de dilatation, on crée une ischémie dans le territoire correspondant, ce qui se manifeste par l’apparition de signes électrocardiographiques et également une douleur angineuse. En 1985, K.P. Rentrop et coll.(3) procède à l’injection de la coronaire contra-latérale chez les patients subissant par ailleurs une dilatation d’un vaisseau à l’aide d’un ballonnet. Il a pu ainsi mettre en évidence l’apparition ou l’amplification d’une circulation entre ces deux segments artériels. Un peu plus tard, avec l’apparition des guides de pression ou permettant l’acquisition de la vélocité coronaire par effet Doppler, il fut possible de démontrer de façon élégante l’apparition de la circulation collatérale coronaire micro- et macrovasculaire pendant l’occlusion expérimentale créée par l’angioplastie coronaire. La technique consiste en la mise en place de ces guides particuliers dans le segment distal des vaisseaux au-delà du ballonnet gonflé. Simultanément on mesure la pression veineuse centrale (CVP) par un cathéter mis en place dans l’oreillette droite des patients ; on note au-delà de l’occlusion une pression (Poccl) ou une courbe de vélocité témoignant d’un flux vasculaire. L’enregistrement séparé de la pression aortique (Pao) permet de définir un index de flux collatéral (CFI) calculé de la manière suivante : Index = [(Poccl)-CVP]/[Pao-CVP]. Cette méthode sûre et fiable est considérée comme la méthode de référence pour l’évaluation clinique de la circulation collatérale. Elle a été particulièrement développée et employée par le Centre cardiovasculaire de Berne (Suisse) avec Christian Seiler et Bernhard Meier(4-8). D’autres méthodes utilisant la vidéodensitométrie ou la clearance du produit de contraste bloqué par l’occlusion, et le wash out après la levée de l’obstacle (occlusion par ballonnet) ont été proposées, mais sont peu utilisées.   Rôle protecteur de la circulation collatérale et modifications environnementales   L’apparition d’une circulation artérielle coronaire collatérale est essentiellement dépendante de la présence d’une sténose serrée sur une branche artérielle coronaire. Ceci peut se produire lors de l’occlusion aiguë d’une artère coronaire, secondaire à la rupture d’une plaque athéroscléreuse. Au cours de cet événement, les patients qui développent immédiatement une circulation collatérale présenteront un infarctus de taille plus limitée par comparaison avec ceux qui ne développent pas de collatéralité. De la même manière, les patients qui ont une occlusion chronique d’une artère coronaire compensée par une circulation collatérale de bonne qualité présenteront moins de symptômes, moins d’angine de poitrine et moins d’ischémie myocardique que les patients qui n’ont pas eu la chance de développer cette circulation collatérale. P. Meier et coll.(9) ont montré en 2007 l’importance et l’impact sur la survie du développement d’une circulation collatérale. Ils ont colligé chez 845 patients les indices précédemment mentionnés de circulation collatérale : ces diverses mesures ont été effectuées entre 1996 et avril 2006 et les patients furent divisés en deux groupes suivant l’importance d’une bonne circulation collatérale (CFI > 0,25) ou d’une circulation collatérale insuffisante (CFI < 0,25). La survie à 10 ans des patients avec une circulation collatérale médiocre était de 71 %, tandis qu’elle était significativement plus élevée (89 %) (p = 0,0109) chez les patients avec un index élevé supérieur à 0,25 (figure 4). Ainsi, dépendant de la quantité exacte de circulation collatérale recrutable, la mortalité à long terme a pu être réduite d’un quart chez les patients avec une bonne circulation collatérale. Ces bénéfices ont ensuite été confirmés dans une métaanalyse réalisée par la même équipe, et cela de façon indépendante de la revascularisation.   Figure 4. Meilleure survie en cas de circulation collatérale plus développée.    Il ne semble pas que l’on puisse identifier des profils particuliers de patients aptes à développer une circulation collatérale coronaire : ainsi A. Abaci et coll.(10) et A. Melidonis et coll.(11) n’ont pas mis en évidence de différence entre les diabétiques et les non-diabétiques en ce qui concerne l’aptitude à développer une circulation artérielle coronaire. Expérimentalement, on a suggéré le rôle de l’hypertension artérielle sur l’aptitude à développer une circulation artérielle coronaire. Inversement, il a été démontré chez l’animal qu’une hypercholestérolémie était capable d’atténuer le développement de la circulation collatérale(12). L’exercice physique permet le développement d’une circulation collatérale(13), et cela est bien connu au niveau des membres inférieurs.   Implications thérapeutiques   La première démonstration que la stimulation de formation d’une circulation collatérale de suppléances pouvait limiter les conséquences myocardiques de l’ischémie chez l’animal remonte à 1992 et aux travaux de R. Baffour et coll.(14) et de A. Yanasigawa-Miwa et coll.(15). Les réactions d’angiogenèse sont essentiellement contrôlées par des facteurs de croissance agissant au niveau de l’endothélium. Ces principaux facteurs de croissance sont le vascular endothelial growth factor (VEGF, spécifique pour les cellules endothéliales) et le fibroblast growth factor (bFGF, spécifique pour les cellules musculaires lisses). La figure 5 montre chez l’animal le développement important d’une circulation collatérale après injection de VEGF. Il existe de très nombreuses études et d’essais randomisés utilisant les facteurs de croissance. La plupart ont été conduites au niveau des vaisseaux des membres inférieurs, avec des résultats variables. L’une des limites potentielles de l’utilisation des facteurs de croissance est leur très courte demi-vie lorsqu’ils sont injectés dans la circulation ; ceci aboutit à des stratégies faisant appel à la thérapie génique. Le transfert génique a pu être effectué par des cathéters directement au niveau de la paroi artérielle considérée ; au niveau des membres inférieurs, d’autres approches ont été basées sur des injections intramusculaires multiples.   Figure 5. Développement d’une circulation collatérale après injection de VEGF.    Divers travaux se sont orientés dans d’autres directions pour développer la circulation collatérale : en 2012, S.H. Schirmer et coll.(16) ont montré que l’inhibiteur du canal If, l’ivabradine, augmentait l’artériogenèse et l’expression de eNOS dans un modèle murin de dysfonction endothéliale. Le rôle de NO a été bien établi par les travaux de X. Dai et coll.(17) et de B. Mees et coll.(18). L’ivabradine est bien connue pour sa capacité à réduire la fréquence cardiaque. Toutefois, dans le même modèle murin, S.H. Schirmer et coll.(16) ont constaté cette augmentation de la circulation collatérale après ralentissement cardiaque par blocage bêtaadrénergique n’a pas été retrouvée : ceci suggérerait donc un effet spécifique du blocage du canal If. Ces résultats viennent d’ailleurs d’être récemment confirmés chez le coronarien stable dans l’étude de S. Gloekler et coll.(20), publiée dans la revue Heart et réalisée par le Centre cardiovasculaire de Berne. Cette étude prospective, monocentrique, randomisée, a inclus 46 patients coronariens stables éligibles à l’angiographie qui ont reçu soit de l’ivabradine (n = 23), soit un placebo (n = 23) pendant 6 mois, en plus d’un traitement optimal par antiagrégant, IEC et statines.   Le critère primaire de l’étude était l’évolution de l’index de flux collatéral (CFI) entre l’inclusion et le 6e mois. Il a été significativement améliorée dans le groupe ivabradine versus le groupe placebo (+0,040 ± 0,091 versus -0,031 ± 0,090 ; p = 0,0111) (figure 6). De plus, le décalage du segment ST (critère secondaire) a été significativement diminué dans le groupe ivabradine, alors qu’aucune variation n’a été rapportée dans le groupe placebo.   Figure 6. Amélioration du flux collatéral par ivabradine.    Ces résultats expérimentaux doivent également être rapprochés de ceux d’un travail(19) conduit chez 21 patients présentant une maladie coronaire stable où fut étudiée la réserve coronaire fonctionnelle avant et après administration pendant une semaine d’ivabradine à la dose de 5 mg deux fois par jour. Ce traitement a permis de mettre en évidence une augmentation significative de la réserve fonctionnelle coronaire. Ceci suggère une action de ce médicament au niveau microvasculaire et vient donc corroborer les études expérimentales de S.H. Schirmer et coll.(16) et S. Gloekler et coll.(20).   Conclusion    Le développement de la circulation collatérale joue un rôle très important, parfois sous-estimé, dans l’histoire naturelle de l’athérosclérose, en particulier coronaire. Il convient d’en tenir compte dans l’établissement du pronostic après un événement coronarien aigu ou en cas de maladie coronarienne stable. L’amplification de ce phénomène par l’utilisation de facteurs de croissance ou les aspects prometteurs de certains médicaments et en particulier l’ivabradine mérite de retenir l’attention.

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