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Congrès et symposiums

Publié le 29 fév 2016Lecture 7 min

Relever le défi de l’anticoagulation avec les inhibiteurs du facteur Xa

M. DEKER

JESFC

La peur des saignements est le frein le plus puissant à la prescription des anticoagulants dans les indications où ils ont fait la preuve de leur efficacité. En prévention des événements thromboemboliques dans la fibrillation atriale (FA), les anti-vitamine K (AVK) sont, en effet, responsables de 2 à 4 % d’accidents hémorragiques, d’où la crainte des praticiens, laquelle conduit à une sous-utilisation des anticoagulants, en particulier chez les sujets âgés qui sont pourtant la principale population cible de ce traitement. La balance bénéfice/risque penche aujourd’hui en faveur des anticoagulants oraux directs (AOD), au moins aussi efficaces et plus sûrs que les AVK. 

La prévention des accidents hémorragiques sous traitement anticoagulant repose sur la sélection des patients en fonction du score de risque HASBLED, le choix de l’AOD et l’adaptation de dose au profil de risque. À cet égard, l’apixaban se distingue des autres AOD en ayant montré un bénéfice comparable quelle que soit la dose (demi-dose chez les patients ayant ≥ 2 facteurs de risque : ≥ 80 ans, < 60 kg, créatininémie > 133 μg/dl) et une réduction du risque hémorragique vs warfarine. Il convient aussi de contrôler les facteurs de risque modifiables d’hémorragie, telle la pression artérielle, et d’éviter les traitements concomitants favorisant les hémorragies.   Les AOD à l’épreuve de la vie réelle   L’apixaban est l’AOD ayant montré le meilleur bénéfice/risque vs warfarine dans l’étude ARISTOTLE(1) : réduction de 21 % du risque d’AVC/embolie systémique, de 31 % du risque d’hémorragie majeure et de 11 % de la mortalité. Les premières études observationnelles en vie réelle ont confirmé les résultats des études pivots des AOD, notamment le registre danois comparant le dabigatran à la warfarine ou le registre Xantus évaluant le rivaroxaban. Nous disposons du registre français NACORA réalisé par l’ANSM, regroupant 71 000 patients suivis durant 90 jours, qui montre une diminution des hémorragies majeures sous dabigatran ou rivaroxaban de 32 % et 5 % respectivement, et d’hémorragies majeures ou de décès de 18 % et 13 % vs AVK, sans différences d’efficacité entre les AOD et les AVK. Le registre nord-américain Humedica a comparé 25 000 patients traités par AVK, 6 000 par rivaroxaban, 2 500 par dabigatran et 2 000 par apixaban(2). Après ajustement, les patients traités par apixaban et dabigatran ont eu moins d’accidents hémorragiques. En prenant l’apixaban comme comparateur, la warfarine augmente de 34 % le risque hémorragique, le rivaroxaban de 46 % et il n’y a pas de différence avec le dabigatran (mais il faut tenir compte du fait qu’une faible dose de dabigatran est commercialisée aux États-Unis). Un autre registre MarketScan n’ayant analysé que les fortes doses des AOD en vie réelle montre une réduction des hémorragies majeures de 47 % avec l’apixaban, 18 % avec le dabigatran et une tendance à la réduction avec le rivaroxaban, comparativement à la warfarine(3). Le registre MarketScan a aussi analysé les risques d’hémorragies majeures par site chez 8 700 patients traités par apixaban, 21 000 par dabigatran et 30 500 par rivaroxaban(4). En prenant l’apixaban comme référence, il n’est pas observé de différence entre l’apixaban et le dabigatran pour les hémorragies majeures de toutes origines mais une augmentation de 24 % pour les hémorragies gastro-intestinales non majeures avec le dabigatran vs apixaban ; le risque d’hémorragie majeure est augmenté de 30 % avec le rivaroxaban vs apixaban, quel que soit le site. Sur le critère hémorragies majeures et prévention des AVC, la supériorité de l’apixaban vs warfarine est confirmée, soit une réduction de 29 %, équivalente à celle observée avec le rivaroxaban vs warfarine. Le risque d’AVC ischémique ou hémorragique est réduit de 26 % avec l’apixaban vs warfarine, non significativement différent avec le dabigatran et le rivaroxaban vs warfarine(5). Un autre critère d’efficacité du traitement anticoagulant réside dans sa persistance. Une analyse rétrospective en vie réelle chez les patients naïfs ayant reçu sur une période de 1 an un traitement anticoagulant montre un taux d’arrêt de traitement plus bas avec l’apixaban, suivi du rivaroxaban, du dabigatran et de la warfarine(6).   Place des inhibiteurs du facteur Xa dans la MTEV   Les AOD tirent leur légitimité dans le traitement de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) pour partie des faiblesses du traitement AVK (difficulté du maintien de l’INR en zone thérapeutique, premier responsable des accidents iatrogéniques, en particulier chez les sujets âgés). Les inhibiteurs du facteur Xa sont actifs sur les facteurs activés à la fois circulants et présents dans le caillot. Leurs modalités de prescription dans la MTEV s’inspirent de l’évolution du risque dans le temps, à savoir une période de traitement intense suivant l’événement pour contrer le risque de récidive majeur durant le 1er mois, suivie d’un traitement d’entretien de durée modulable selon l’évaluation du risque. L’apixaban (comme le rivaroxaban) doit être administré à forte dose (10 mg x 2/j) pendant 7 jours, puis à la dose d’entretien de 5 mg x 2/j. Toutes les études des AOD dans la MTEV ont été réalisées chez des patients à risque relativement bas (jeunes, sans insuffisance rénale, sans insuffisance rénale ni pathologie néoplasique) et ont montré la noninfériorité du traitement à l’étude vs AVK sur les récidives thromboemboliques (thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire) ou la mortalité liée à la maladie. Le message qui en ressort est une amélioration de la sécurité d’emploi grâce aux AOD : réduction des hémorragies majeures, significative avec l’apixaban et le rivaroxaban. Aussi, les AOD sont-ils considérés comme une alternative licite aux AVK dans la MTEV selon les recommandations européennes et sont même proposés en 1re ligne (recommandation de grade IIb) hors contexte néoplasique par l’American College of Chest Physicians (10.1016/j.chest.2015.11.026), en raison de leur meilleur profil de sécurité. Quant à la durée du traitement, il n’existe pas de réponse univoque. Il faut tenir compte des facteurs de risque prédisposant à la récidive : le caractère idiopathique des événements thromboemboliques veineux (risque x 2), l’existence d’une thrombophilie, le sexe masculin, les antécédents familiaux, la surcharge pondérale, le traitement hormonal, les cancers, la persistance de D-dimères élevés à 1 mois ou de thrombus au niveau pulmonaire ou aux membres inférieurs. Toutefois, l’étude PADIS-PE a clairement montré qu’à l’arrêt d’un traitement prolongé de 2 ans par AVK, le risque de récidive rejoint progressivement celui observé en l’absence de traitement préventif étendu(7). Aussi, ne devrait-il rester que deux options thérapeutiques aujourd’hui : un traitement préventif de 3 mois ou un traitement prolongé, dont l’indication devrait être réévaluée chaque année. L’apixaban et le rivaroxaban ont été évalués en traitement étendu de la MTEV durant 6 mois, montrant une réduction d’environ 80 % des récidives, sans signal de risque de complications hémorragiques majeures vs placebo avec l’apixaban à dose faible, ce qui légitime son emploi dans cette indication.   Optimiser le traitement anticoagulant dans la FANV   Après avoir tenu compte des contre-indications des AOD (prothèse valvulaire, sténose mitrale, syndrome des antiphospholipides) et des non-indications du traitement (CHA2DS2- VASc < 1), le choix peut être orienté en fonction de la pharmacocinétique des molécules — l’apixaban a l’élimination rénale la plus faible de tous les AOD (25 %) —, de leur biodisponibilité, de leur interaction avec le métabolisme CYP (faible pour l’apixaban). En l’absence d’étude comparative directe des différents AOD, nous ne disposons que des études pivots vs warfarine pour différencier les molécules. Seul l’apixaban a montré une supériorité vs warfarine sur le critère d’évaluation principal d’efficacité. Tous les AOD permettent de réduire le risque hémorragique ; leur effet sur les hémorragies gastro-intestinales varie selon les molécules et la dose (ce risque n’est pas augmenté avec l’apixaban). Enfin, deux AOD (edoxaban et apixaban) ont diminué significativement la mortalité dans les études pivots. Les études différaient en termes de facteurs de risque et de critères d’inclusion, mais toutes comportaient une adaptation de dose selon la fonction rénale qui était réalisée. Les analyses de sous-groupes pourraient aider à faire un choix (antécédents d’AVC ou d’infarctus du myocarde, sexe), de même que les interactions médicamenteuses. Trois principaux facteurs modulent le risque hémorragique : l’âge, le poids et la fonction rénale. Tous les inhibiteurs du facteur Xa sont contre-indiqués si la ClCr est < 15 ml/min (< 30 ml/min pour le dabigatran). Concernant l’apixaban, il peut être prescrit sans changement de dose tant que la ClCr est ≥ 30 ml/min, en tant que seul facteur de risque ; un ajustement de dose est nécessaire si 2 de ces 3 facteurs de risque sont présents (âge > 80 ans, créatinine ≥ 132 μmol/l)(8). Comment gérer les patients en FA ayant une maladie coronarienne, situation fréquente en pratique ? Dans les études pivots, il n’a pas été observé de sur-risque d’infarctus du myocarde chez les patients traités par un inhibiteur du facteur Xa. La prescription d’une trithérapie (anti-Xa + 2 antiplaquettaires) augmente le risque hémorragique sans améliorer le risque ischémique. Chez un coronarien stable, il est licite de prescrire une monothérapie par un anticoagulant au-delà de 1 an post-SCA. Chez les patients ayant eu une angioplastie avec pose de stent, une bithérapie (anticoagulant + clopidogrel) peut être prescrite d’emblée ou précédée d’une trithérapie courte (6 semaines) en cas de risque élevé de récidive. Elle est efficace sur le risque ischémique et plus sûre que la trithérapie. D’après un symposium BMS/Pfizer avec la participation de J.-Y Le Heuzey, E. Messas, J. Eikelboom, M. Galinier, N. Méneveau et Y. Beygui JESFC, Paris, janvier 2016.

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