Publié le 30 sep 2016Lecture 9 min
Quelques pièges de l’échocardiographie du sportif
É. ABERGEL, Clinique Saint-Augustin, Bordeaux
Le fameux dilemme entre hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) physiologique du sportif et cardiomyopathie hypertrophique (CMH) a fait l’objet de nombreux articles.
C’est une situation toujours très intéressante sur le plan diagnostique, mais en réalité très rare si l’on prend soin d’appliquer les bons seuils diagnostiques. Certaines règles doivent être scrupuleusement appliquées pour éviter les faux diagnostics : s’adresser à un véritable sportif, qui pratique au moins 10 heures d’activité physique par semaine (pour les puristes au moins 6 heures, à au moins 60 % de la VO2 max, depuis au moins 6 mois) ; ne pas surestimer la mesure en incluant à tort l’appareil sous-valvulaire tricuspide (présent dans 100 % des cas !) ou un faux tendon intraventriculaire gauche (très fréquent) ; ne pas se prononcer de façon péremptoire sur la mesure quand on a un doute (si on écrit septum = 15 mm sur un compte rendu alors que l’on doute, un diagnostic pathologique sera évoqué et une éventuelle marche arrière sera très délicate) (figure 1) ; et surtout prendre en compte d’autres paramètres que les épaisseurs pariétales, qui permettront souvent d’orienter très simplement vers le pathologique ou le physiologique. Chez le sportif, il est également parfois complexe de faire la différence entre une cardiomyopathie dilatée (CMD) débutante ou une dilatation VG physiologique, ainsi qu’entre une éventuelle dysplasie arythmogène du ventricule droit (DAVD) ou une dilatation physiologique du VD. Savoir identifier ces différentes cardiopathies est évidemment indispensable, car ce sont elles que l’on retrouve pour une bonne part dans les séries autopsiques de mort subite de jeunes athlètes.
Figure 1. Refus de licence pour suspicion de CMH : la paroi antéroseptale est mesurée à 18 mm, car une bandelette VD (flèches) (bien dégagée en bidimensionnelle) est inclus à tort dans cette épaisseur. Il n’y a pas de CMH.
Les pièges/les règles techniques
Les erreurs de mesures se font souvent par excès aussi bien en échographie qu’en IRM ; la difficulté est d’individualiser des structures n’appartenant pas à la paroi antéroseptale mais collées à celleci (bandelette, faux tendon) (figure 2), ou plus rarement à la paroi inférolatérale (appareil sous-valvulaire mitral). Il est important en échographie de confronter le TM et le bidimensionnel pour éviter les pièges ; la voie parasternale est reine, mais ne pas oublier que la voie sous-costale peut également aider. Par contre, il ne faut jamais mesurer une épaisseur septale par voie apicale, car la mesure effectuée perpendiculairement au faisceau d’ultrasons est toujours très imprécise ; pour les sportifs qui vont bénéficier d’une échographie et d’une IRM, il est capital de pouvoir confronter les deux techniques (aucune technique dans ce domaine n’est supérieure à l’autre, elles doivent être complémentaires) (figures 3 et 4).
Figure 2. Fausse CMH diagnostiquée 3 ans auparavant : l’épaisseur antéroseptale est avait été nettement surestimée à cause d’une bandelette VD (flèche) et d’un faux tendon (double flèche) inclus à tort dans cette épaisseur. Il n’y a pas de CMH.
Figure 3. A. Triathlète étiqueté à tort CMH sur des données IRM, avec une épaisseur antéroseptale mesurée à 17 mm ; la confrontation des données échos a montré qu’il s’agissait d’une surestimation à cause d’un faux tendon. B. Même patient, une incidence plus basse dégage bandelette et faux tendon et permet de redresser la mesure en petit axe IRM.
Figure 4. Cycliste récusé pour CMH inférolatérale en IRM : ici la confrontation des 2 techniques a été indispensable, en particulier l’écho montre qu’on surestime la paroi en incluant un chef de pilier mitral accolé à la paroi. De plus, les autres données du patient étaient rassurantes : diamètre VG large, remplissage VG hypernormal…
Quand suspecter une CMH ?
Quand une épaisseur diastolique du ventricule gauche est ≥ 15 mm, en sachant que 13 ou 14 mm sera évocateur dans un contexte familial. Cela signifie que le débat éventuel entre HVG physiologique et CMH ne concerne pas l’adolescent (les épaisseurs ne dépassent jamais 12 mm chez les sportifs ≤ 18 ans) ni la femme (en général jamais plus de 11 mm, même si d’exceptionnelles épaisseurs de 13 mm ont été rapportées chez des femmes noires). Raisonnablement, le doute ne va donc concerner que des athlètes adultes de sexe masculin ayant des parois entre 13 et 16 mm. C’est donc une situation rare : environ 2 % des athlètes et environ 5 % des CMH.
Le diagnostic ne repose pas que sur la mesure de l’épaisseur pariétale : encore une fois, la mesure pariétale peut être très difficile, et si l’on doute il faut le mentionner dans le compte rendu, plutôt que de s’obstiner à rendre une mesure potentiellement fausse dont les conséquences seront parfois lourdes, en particulier chez des patients passionnés de sport.
Il ne faut pas rester focalisé sur la mesure d’épaisseur car c’est souvent ailleurs que l’on aura la solution : ainsi, un VG assez volumineux et une excellente relaxation VG vont orienter avec une bonne fiabilité vers un diagnostic rassurant.
Autres paramètres très utiles chez le sportif ayant une épaisseur pariétale augmentée
Le diamètre diastolique du ventricule gauche (DTDVG) est en règle générale assez élevé : parmi une série de 3 500 athlètes (75 % d’hommes), 53 athlètes ont une paroi > 12 mm et parmi eux 50 athlètes ont un DTDVG > 56 mm ; une étude récente comparant des athlètes et des CMH ayant tous des épaisseurs dans la zone grise (entre 13 et 15 mm), montre que les deux populations sont parfaitement distinguées en appliquant un seuil de 54 mm pour le VG (athlètes > 54 mm ; CMH < 54 mm) ; dans notre série de 286 cyclistes de niveau mondial, les 25 cyclistes ayant des parois > 13 mm ont tous un DTDVG > 52 mm (23/25 ont un DTDVG > 55 mm) ; à l’opposé, les séries de CMH de Maron chez les adolescents ne montrent aucun DTDVG > 48 mm.
L’étude du remplissage VG montre une excellente relaxation VG attestée par la valeur du pic de e’ en DTI pulsé à l’anneau mitral, avec une valeur moyenne dans les séries à 14 cm/s sur le site inféroseptal et à 17 cm/s sur le site antérolatéral ; on est donc loin des valeurs moyennes retrouvées chez les sédentaires porteurs de CMH : dans la série de Geske, 5 cm/s en inféroseptal et 7 cm/s en antérolatéral.
Rappelons que le seuil de 8 cm/s est retenu habituellement pour évoquer un trouble de relaxation VG : la relaxation VG est toujours pathologique dans la CMH, et toujours normale, voire hypernormale chez le sportif (le e’ inféroseptal sera toujours > 8 cm/s chez le sportif).
Le flux transmitral est souvent d’allure restrictive chez le sportif (E/A > 2) et le rapport E/A est toujours > 1. Dans tous les cas, un rapport E/A < 1 doit remettre en doute le diagnostic d’HVG physiologique.
Contribution du strain longitudinal global (SLG) : en général, le SLG est normal chez le sportif et abaissé dans la CMH. Toutefois le SLG du sportif est plus bas que celui des témoins (-18,1 ± 2,2 % vs -19,4 ± 2,3 % ; p < 0,001). Certaines séries ont montré des SLG franchement abaissés chez le sportif comparables aux valeurs retrouvées chez des CMH de même épaisseur ; les séries effectuées chez les bodybuilders ont pu comparer des athlètes prenant des stéroïdes anabolisants (SLG = -15 ± 5 %) à ceux n’en prenant pas (SLG = -20 ± 6 %), nous rappelant que le dopage peut bien sûr modifier les paramètres d’une prétendue HVG du sportif.
Autres paramètres utiles
Regarder la valve mitrale qui est le plus souvent pathologique dans la CMH avec un déplacement antérieur des piliers, des feuillets longs avec souvent une coaptation sur la partie moyenne des feuillets ; une obstruction dynamique au repos est parfois présente dans la CMH, jamais chez le sportif ; si une échographie d’effort est réalisée, on ne trouvera pas d’obstruction dynamique chez le sportif à l’effort, mais celle-ci est parfois présente et physiologique juste après l’arrêt de l’effort (décalage d’évolution entre le volume d’ejection et les résistances périphériques à l’arrêt de l’effort).
Le tableau 1 résume les principaux éléments pour distinguer cœur d’athlète et CMH.
Comparaison entre des athlètes porteurs de CMH et des sédentaires porteurs de CMH
Les données comparant habituellement HVG du sportif et CMH comparent des sujets sédentaires porteurs de CMH et des athlètes par définition non porteurs de CMH. Un article récent a étudié des athlètes ayant été autorisés à faire du sport alors qu’ils avaient une CMH, et chez qui le diagnostic a été redressé alors qu’ils étaient en activité maximale. Ainsi 106 athlètes avec CMH ont été colligés, dont le profil particulier explique que le volume d’ejection systolique puisse augmenter correctement à l’effort : HVG pas majeure (15,8 mm en moyenne), VG parfois large (14 % ont un DTDVG > 54 mm), CMH souvent apicale (36 %), E/e’ rassurant < 12 (93 % des cas), et très peu d’obstruction dynamique. Parmi eux, 15 athlètes (14 %) qui ont une CMH dans la zone grise (13-16 mm) ont été comparés à 55 athlètes avec HVG physiologique (13- 16 mm). Les éléments en faveur d’une CMH chez un athlète sont les suivants : DTDVG ≤ 51 mm (Se 73 % ; Sp 82 %); e’ ≤ 11 cm/s (Se 89 % ; Sp 68 %) ; ECG++ : inversion profonde de T en latéral chez 96 % des athlètes CMH ; aucune T < 0 profonde chez HVG physiologique, ST sousdécalé (57 %), ondes Q (25 %) ; TV non soutenue au holter ECG chez 1 athlète CMH (aucun chez HVG physio) ; VO2max non discriminant. On retrouve donc la contribution du DTDVG et de la relaxation VG pour le diagnostic, mais parfois il est nécessaire d’y associer d’autres paramètres.
Dilatation VG physiologique ou cardiopathie dilatée
Pendant longtemps, un DTDVG > 60 mm a été systématiquement considéré comme pathologique chez le sportif. Toutefois, une large série de 1 309 athlètes impliqués dans 38 sports différents a remis ce dogme en cause : dans cette série, 14 % des athlètes ont des DTDVG > 60 mm (extrêmes de 70 mm chez l’homme, de 66 mm chez la femme), et après un suivi moyen de presque 5 ans, on ne note ni symptôme anormal, ni dysfonction VG, ce qui oriente bien sûr vers une dilatation physiologique. Les sports ayant le plus grand impact sur le volume VG sont la natation, l’aviron, le cyclisme sur route, le football. Chez ces sportifs avec diamètre VG large, le flux transmitral reste souvent restrictif avec un rapport E/A souvent > 2. Dans notre série de cyclistes, 147/286 ont un DTDVG > 60 mm et 17/286 ont à la fois un DTDVG > 60 mm et une FEVG < 52 %. On comprend alors que devant un VG dilaté avec FEVG abaissée et flux transmitral restrictif, le doute soit permis avec une CMD.
Plusieurs éléments simples seront en faveur du cœur d’athlète : le coeur est dilaté mais lent ; on note une dilatation assez harmonieuse des 4 cavités ; la FEVG est basse mais reste > 45 % ; le remplissage est normal avec une onde e’ ample (ne se voit pas dans les CMD, sauf dans certaines dysfonctions VG majeures) ; au cours de l’échographie d’effort, on met en évidence une réserve contractile franche, avec une nette augmentation de la FEVG à l’effort, > 70 % (on peut mettre en évidence une réserve contractile dans une CMD, mais elle est nettement moins marquée en règle générale).
Dilatation VD physiologique ou DAVD
La mesure du diamètre de chambre de chasse du VD en parasternal grand axe est une mesure de routine. Un diamètre ≥ 32 mm (> 19 mm/m2) peut évoquer une DAVD chez un patient tout-venant. Dans une série de 675 athlètes de compétition « raisonnables » (niveau régional, national, ou international), 37 % des athlètes masculins et 24 % des athlètes féminins avaient de telles valeurs. Plusieurs séries confirment une dilatation physiologique du VD chez le sportif, avec une valeur moyenne de chambre de châsse de 31 ± 5 mm (le seuil pathologique ASE pour un sédentaire est de 33 mm) et une valeur moyenne du diamètre basal du VD de 43 ± 6 mm (le seuil pathologique ASE pour un sédentaire est de 42 mm). À la lumière de ces données, il est proposé d’appliquer chez le sportif des seuils plus élevés que chez le sédentaire : ainsi, on suspectera une pathologie du VD chez le sportif à partir d’une chambre de châsse > 37 mm chez la femme et > 40 mm chez l’homme. Par contre, les indices usuels de fonction ventriculaire droite (s’, fraction de racourcissement de surface) ne sont pas différents entre les groupes témoins et les groupes de sportifs.
Le tableau 2 résume les principaux éléments pour distinguer un coeur d’athlète d’une éventuelle DAVD.
Cette question prend toute son importance quand on s’adresse à des sportifs ultra-endurants, chez qui des formes acquises de DAVD sont très sérieusement évoquées ; ainsi, dans des séries d’athlètes présentant des arythmies VD complexes, 90 % d’entre eux ont des critères de DAVD, alors que les mutations génétiques habituellement retrouvées dans les formes familiales de DAVD ne sont que très rarement retrouvées.
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