Thérapeutique
Publié le 01 oct 2017Lecture 8 min
L’infarctus du myocarde en 2017 : quelle prise en charge ?
Mariama AKODAD*/** et coll.(1), Montpellier
La maladie coronaire, dont l’infarctus du myocarde représente la manifestation la plus sévère, demeure la première cause de mortalité à travers le monde. Depuis plusieurs décennies, la mortalité dans l’infarctus du myocarde diminue, principalement grâce à l’amélioration de la prise en charge. En effet, tout d’abord, le diagnostic est actuellement plus précoce, notamment du fait de l’utilisation de troponines ultrasensibles. Deuxièmement, au stade préhospitalier, le développement des nouveaux inhibiteurs de P2Y12, ticagrelor et prasugrel, ont également permis d’obtenir un environnement pharmacologique optimal au moment de la prise en charge invasive. Les dogmes en cardiologie interventionnelle ont également été bouleversés ces dernières années avec la remise en question de la thromboaspiration, ou encore la question de la prise en charge du patient pluritronculaire en contexte de syndrome coronarien aigu. Enfin, des travaux sont en cours afin de répondre à la question du stenting différé ainsi que de l’intérêt du stent biorésorbable dans un contexte d’infarctus du myocarde.
L’infarctus du myocarde (IDM) est la manifestation la plus sévère de la maladie coronaire. Cette entité regroupe le syndrome coronarien aigu avec sus-décalage du segment ST (SCA ST+) et le syndrome coronarien aigu sans sus-décalage du segment ST (SCA ST), ce dernier constituant la majorité des infarctus du myocarde (60-75 %). Ces dernières années, de nombreux progrès ont été réalisés concernant la prise en charge de l’IDM, permettant une amélioration spectaculaire du pronostic avec une mortalité hospitalière actuelle autour de 5 % chez les patients ayant présenté un SCA ST+ (données des registres en particulier du registre national FASTMI). En effet, la prise en charge s’est considérablement améliorée sur le plan diagnostique, mais surtout sur le plan thérapeutique avec l’arrivée de nouvelles armes pharmacologiques et de nouvelles pratiques en cardiologie interventionnelle.
Prise en charge diagnostique
Les dernières recommandations européennes placent la troponine comme élément central du diagnostic d’infarctus du myocarde. En effet, les recommandations de 2012 définissent l’infarctus du myocarde comme une preuve de nécrose myocardique, objectivée par une élévation de la troponine > 99e percentile, associée à un élément évocateur d’ischémie myocardique, clinique, électrocardiographique, échographique ou angiographique. De même, les dernières recommandations de 2015 sur le SCA ST précisent la place et la cinétique des biomarqueurs en cas de suspicion de SCA ST-.
En effet, la troponine ultrasensible a permis une augmentation de la détection des infarctus du myocarde au détriment de l’angor instable (une entité en voie de disparition compte tenu des nouvelles définitions) et est à privilégier dans ce cadre par rapport aux troponines non ultrasensibles.
De plus, des algorithmes de prise en charge permettant une sortie rapide des patients se présentant dans les services d’urgence pour suspicion de SCA ST- ont pu être développés. En effet, une cinétique de troponine peut être réalisée en 1 heure dans certains cas avec la troponine ultrasensible (figure 1).
Les dernières recommandations européennes dans l’infarctus du myocarde précisent la place de la troponine ultrasensible pour le diagnostic d’infarctus du myocarde et la prise en charge initiale.
Figure 1. Algorithme de prise en charge initiale en cas de suspicion de SCA ST- avec l’utilisation de la troponine ultrasensible. Source : recommandations européennes sur la prise en charge du SCA sans sus-décalage du segment ST, 2015.
Prise en charge initiale
Récemment, l’intérêt de l’oxygénothérapie en phase aiguë d’infarctus a été remis en cause. En effet, l’étude AVOID a démontré une augmentation de la taille d’infarctus chez 441 patients normoxémiques (saturation en oxygène > 94 %) bénéficiant d’une oxygénothérapie à 8 litres/minute. Dans DETO2X-AMI, présentée à l’ESC, l’oxygénothérapie n’améliore pas le pronostic d’IDM.
Le traitement pharmacologique s’est considérablement amélioré ces dernières années avec l’apparition des nouvelles molécules inhibitrices du P2Y12, le ticagrelor et le prasugrel avec des résultats en faveur de l’utilisation de ces molécules dans l’infarctus du myocarde dans les études dédiées PLATO et TRITON. Plus récemment, l’étude PRAGUE-18 comparant ces deux molécules entre elles a également démontré l’absence de différence en termes de survenue d’événements majeurs chez les patients présentant un infarctus du myocarde avec prise en charge invasive immédiate.
D’autres traitements antiagrégants ont été développés avec notamment le cangrelor, puissant inhibiteur du P2Y12 délivré par voie intraveineuse avec un effet antiagrégant de la molécule très rapide puisqu’il survient en 2 minutes. Cependant, malgré les données de l’étude CHAMPION PHOENIX démontrant une supériorité de la molécule par rapport au clopidogrel dans l’angioplastie, la place de la molécule reste à définir, en particulier dans un contexte d’infarctus.
Enfin la place des anti-GPIIb/IIIa reste limitée aux patients avec une charge thrombotique élevée, donc le plus souvent décidée en salle d’intervention, en association le plus souvent à la thromboaspiration et leur utilisation n’est pas recommandée de façon systématique.
Hormis la prise en charge pharmacologique, la question du timing concernant la prise en charge invasive dans le cadre de l’infarctus du myocarde est essentielle et a de nouveau été précisée dans les dernières recommandations européennes.
Le délai « door-to-balloon » reste fixé à 120 minutes dans le SCA ST+, idéalement inférieur à 60 minutes, et le délai est stratifié en fonction du risque dans le SCA ST-. En effet, la prise en charge recommandée varie entre 2 h dans les SCA ST- à très haut risque (STEMI-like) à 24 h dans les SCA ST- à bas risque (figure 2).
Figure 2. Délai de prise en charge invasive dans le SCA ST-. Source : recommandations européennes sur la prise en charge du SCA sans sus-décalage du segment ST, 2015.
Enfin, la fibrinolyse, reste réservée aux patients présentant un SCA ST+ dans les 12 h si le délai door-to-balloon de 120 minutes ne peut être respecté et si elle peut être administrée dans les 2 h, en l’absence de contre-indication. Sa place a considérablement diminué depuis les 20 dernières années.
En 2017, le ticagrelor et le prasugrel sont les molécules antiagrégantes par défaut, dans l’infarctus du myocarde.
Le timing de la stratégie invasive dans le SCA ST- est défini en fonction du risque du patient.
Prise en charge interventionnelle
La voie radiale s’est imposée comme le gold standard dans l’angioplastie coronaire, y compris en phase aiguë d’infarctus. En effet, après les résultats de deux métaanalyses comparant l’approche fémorale à l’approche radiale dans le syndrome coronarien aigu, l’étude MATRIX a démontré la supériorité de la voie radiale en termes d’événements hémorragiques, mais également de mortalité dans ce contexte. Ainsi la voie radiale est l’approche actuelle par défaut. Le stenting est la stratégie à privilégier par rapport à la dilatation au ballon avec l’utilisation préférentielle des stents actifs dans l’infarctus du myocarde, comme souligné par les recommandations sur la revascularisation myocardique de 2014.
Sur le plan technique, l’intérêt de la thromboaspiration en phase aiguë d’infarctus est encore controversé. Les principales études, TOTAL et TASTE ont plutôt démontré un effet délétère de la technique utilisée de façon systématique, avec l’absence de bénéfice en termes de survenue d’événements cardiovasculaires et un sur-risque en termes de survenue d’AVC à 1 mois. La place de la thrombo-aspiration reste encore à définir.
Elle ne doit donc pas être utilisée en routine mais doit probablement être réservée aux patients avec une charge thrombotique importante, et accompagnée d’un environnement pharmacologique optimal (anti-GPIIb/IIIa). Parmi les dogmes remis en cause ces dernières années, la stratégie de revascularisation chez le patient pluritronculaire est également remise en question. En effet, faut-il traiter seulement l’artère coupable ? Faut-il proposer une revascularisation systématique des autres lésions non coupables dans le même temps ou de façon différée ? Faut-il systématiquement documenter l’ischémie avant traitement ? L’étude « Culprit » avait montré un bénéfice de la revascularisation étagée chez ces patients par rapport à ceux pour lesquels seule l’artère coupable avait été traitée. La revascularisation de toutes les lésions dans le même temps est possible (classe IIb des recommandations européennes) dans certains cas. En revanche, la revascularisation différée doit probablement être proposée dans la plupart des cas (classe Iia des recommandations européennes). Plus récemment, les résultats de l’étude DANAMI3-PRIMULTI suggèrent l’intérêt d’une revascularisation guidée par FFR dans le cadre des lésions non coupables mise en évidence en phase aiguë d’infarctus, mais l’étude COMPARE-ACUTE suggère le contraire.
La voie radiale est la voie d’abord par défaut, y compris en phase aiguë d’infarctus du myocarde.
La thromboaspiration ne doit pas être réalisée en routine.
Chez le patient pluritronculaire, la revascularisation différée des lésions non coupables guidée pas les tests d’ischémie semble être l’option à privilégier.
Questions en suspens
Plusieurs questions restent en suspens dans la prise en charge de l’infarctus du myocarde à l’heure actuelle.
En effet, sur le plan pharmacologique d’abord, la question du « prétraitement » par P2Y12 dans le cadre du NSTEMI n’est pas arrêtée. En effet, même si son intérêt semble évident dans le SCA ST+, celui-ci reste à démontrer dans le cadre du SCA ST-.
Hormis la prise en charge pharmacologique, plusieurs cas d’implantation de stent biorésorbable en phase aiguë, d’infarctus chez le sujet jeune ont été rapportés. En effet, le concept d’implanter un matériel résorbable dans ce cadre semble séduisant avec le plus souvent une rupture de plaque comme phénomène physiopathologique à l’origine de l’événement clinique.
Certains patients pourraient également bénéficier d’un stenting différé, même de l’artère coupable. Les résultats de l’étude MIMI étaient plutôt négatifs, mais plusieurs études explorent cette piste. L’idée sous-jacente est qu’un stenting en phase aiguë intervient en phase très thrombotique, sur une artère spastique avec un risque, notamment de sous-évaluer le diamètre du vaisseau favorisant le risque de malapposition de stent et donc de resténose ou thrombose de stent. Ainsi, si la désobstruction initiale est aisée, le stenting pourrait être différé pour être optimal.
Enfin, différentes stratégies de cardioprotection visant à limiter la taille de l’infarctus ont échoué, y compris l’érythropoïétine ou plus récemment la ciclosporine. Le postconditionnement ischémique ou pharmacologiques restent des pistes de recherche. D’autres acteurs physiopathologiques sont actuellement soumis aux essais cliniques, parmi lesquels l’inflammation avec des médicaments ciblés (anticytokines par exemple) ou au contraire « à large spectre » comme la colchicine (étude COLCOT).
En pratique
Malgré la prise en charge actuelle « minimaliste » de l’infarctus du myocarde, avec notamment l’abord radial et la sortie précoce des patients, possible dès 72 h, l’infarctus du myocarde reste l’une des principales causes de mortalité à travers le monde.
Les nombreux progrès réalisés en termes de prise en charge pharmacologique et technique ont permis une diminution drastique de la mortalité. Cependant, l’éducation du patient et les campagnes de prévention et d’information du public ne doivent pas être négligées puisqu’elles sous-tendent nécessairement le délai « douleur thoracique-prise en charge médicale», clé du pronostic.
Enfin, les objectifs futurs gravitent autour de la cardioprotection avec actuellement de nombreuses pistes de recherche sans arme thérapeutique efficace à ce jour. En effet, le but étant actuellement une diminution de la morbidité de l’insuffisance cardiaque essentiellement ischémique, dont le pronostic reste péjoratif.
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