Vasculaire
Publié le 15 jan 2018Lecture 6 min
Hémorragies cérébrales induites par les anticoagulants
Émile FERRARI, CHU de Nice
L’hémorragie cérébrale ou hémorragie intracrânienne (HIC) est probablement LA complication la plus redoutée du médecin prescripteur d’antithrombotiques. S’il ne s’agit pas de la complication la plus fréquente, cet événement est en revanche grevé d’un pronostic si sombre qu’il peut générer un sentiment de culpabilité du corps médical y compris lorsque les choses ont été faites dans les règles de l’art. En revanche, et ceci peut paraître très téméraire pour certains, la reprise d’un traitement anticoagulant malgré une HIC peut et doit souvent se discuter.
Un concept à comprendre
La première prescription d’un traitement anticoagulant est une prise de décision majeure que la facilité d’utilisation des nouveaux traitements ne doit pas galvauder. Les recommandations sur la prescription d’un anticoagulant dans la fibrillation atriale (FA) insistent pour rappeler que la première règle est de bien peser le pour et le contre d’une telle prescription. L’information du patient et/ou de ses proches est indispensable. Il faut aussi que le médecin se rende compte que dès lors qu’il prescrit un traitement anticoagulant, par exemple chez un patient présentant une FA, il transforme une maladie à risque thromboembolique en une maladie à risque hémorragique.
En effet, la figure 1 montre la diminution du risque thromboembolique dès lors qu’un traitement anticoagulant est prescrit, en particulier dans la FA. La contrepartie est que les complications hémorragiques vont augmenter. Il existe bien un bénéfice puisque la diminution du risque d’AVC est bien plus importante que l’augmentation du risque de saignements. Il n’en reste pas moins qu’en valeur absolue, ces saignements deviennent (beaucoup) plus fréquents que les AVC. Et donc le patient reviendra (pas toujours chez le cardiologue) plus souvent pour un phénomène hémorragique que pour une complication
thromboembolique. Il faut donc que le cardiologue soit aussi bien informé sur ces risques de saignement qu’il ne l’est sur le risque d’AVC de la FA.
Figure 1. Modèle de raisonnement : bénéfice/risque du traitement anticoagulant dans la FA.
Les HIC induites ou facilitées par un traitement anticoagulant représentent 25 % des HIC. Leur mortalité est de 50 % et la moitié des patients survivants seront porteurs de séquelles.
Comment les éviter ?
• La première solution est sans conteste de bien peser le rapport bénéfice/risque. Les recommandations insistent sur ce point.
Elles insistent aussi sur le fait que ce rapport peut évoluer avec le temps et qu’il nécessite d’être réévalué à chaque consultation.
Si la question ne se pose pas beaucoup en présence d’une valve mécanique (mais elle aura dû se poser au moment de l’indication chirurgicale), elle doit être rediscutée pour toutes les autres indications : combien de patients voit-on en consultation qui conservent un traitement anticoagulant à dose pleine après une embolie pulmonaire non provoquée au-delà de 3 ou 6 mois…
• Le second moyen pour éviter les HIC est de prescrire les anticoagulants qui en donnent le moins. S’il y a un bénéfice majeur des AOD par rapport aux AVK, c’est bien la baisse majeure du risque d’HIC. Dans toutes les études AOD vs AVK dans la FA non valvulaire, le taux d’HIC a été systématiquement diminué d’environ 60 %. Ce qui contrairement aux recommandations de la HAS, essentiellement sous-tendues par un souci économique par ailleurs louable, doit aussi nous faire poser la question des AOD chez des patients bien stabilisés sous AVK.
Étant entendu que 50 % des HIC sous AVK surviennent malgré un INR parfaitement dans la cible.
• Un autre moyen est de surveiller la fonction rénale avec les AOD et d’éviter les interactions médicamenteuses avec les AVK et les AOD. Sachant qu’avec les AOD le surdosage en médicament est bien plus souvent le fait d’une interaction médicamenteuse que d’une diminution de la clairance de la créatinine.
Malgré toute la prudence du prescripteur, une HIC peut malheureusement survenir au décours d’un traitement anticoagulant. La lecture des scanners ou IRM cérébraux qui montrent de vastes plages hémorragiques avec des phénomènes de compression est alors un grand moment de solitude pour le cardiologue qui aura prescrit le « médicament fautif ». Il n’en reste pas moins qu’il faut rapidement se poser la question de la reprise d’un traitement anticoagulant. Étant entendu que si le patient était traité par un AVK ou un AOD, c’est que l’indication était légitime.
Il faut d’abord commencer par envisager une héparinothérapie préventive
S’il faut se résoudre pendant un certain temps à ne pas traiter de façon curative la pathologie thrombotique, cette phase ne doit durer qu’un temps limité que nous discuterons plus loin. En attendant, il faut discuter une prophylaxie, par des moyens non médicamenteux bien sûr, mais aussi par un traitement héparinique. Non pas tant pour traiter le problème thrombotique sous-jacent mais pour faire une vraie prophylaxie de la TVP-EP chez ces patients à très haut risque. Il existe des recommandations qui prônent la reprise quasi immédiate d’une prophylaxie(1,2). Les protocoles y sont même précisés : HNF 5 000 U en SC 2 fois/j ou enoxaparine 4 000 U 1 fois/j ou daltéparine 5 000 U 1 fois/j. Le début de cette prophylaxie peut se faire dès la 24e heure après la survenue de l’HIC.
Mais il faut aussi se poser la question de la reprise d’un traitement curatif
Dans ce domaine, il n’y a pas d’essais cliniques de grande puissance qui puissent nous dire où est la vérité, mais des résultats d’études essentiellement observationnelles qui donnent une orientation.
Il s’agit clairement d’un « nécessaire moment de partage de décision » qui doit engendrer une discussion multidisciplinaire avec les neurologues et neuro-radiologues. Cette reprise sera très dépendante de l’indication initiale. Urgente s’il s’agit de valve mécanique d’ancienne génération chez un patient en ACFA avec un CHADS-Vasc élevé, moins urgente pour une FA avec un CHADS-Vasc moyen, franchement moins urgente s’il s’agit d’une TVP ou d’une EP au-delà des trois premiers mois. Tout ceci est du bon sens clinique.
Là aussi existent des recommandations écrites qui sont en faveur d’une reprise d’un traitement anticoagulant curatif après une HIC dans un délai de 7 à 10 j selon les recommandations américaines dans un délai de 10 à 14 j selon les recommandations européennes.
Si le cardiologue doit participer à la discussion, le neurologue et le radiologue ont des atouts importants à prendre en compte qui peuvent orienter la stratégie de reprise.
La localisation de l’HIC est capitale. On distingue en effet les HIC profondes et celles plus superficielles. Ces deux localisations n’ont pas du tout le même risque de récurrence. Les HIC profondes récidivent beaucoup moins que les superficielles : 2 % versus 15 %, voire plus (figure 2). Probablement parce que les HIC superficielles sont facilitées par la maladie amyloïde qui fragilise les petits vaisseaux cérébraux.
Figure 2. Reprise plus facile sur un hématome profond que sur un hématome superficiel.
Un algorithme décisionnel(3) a été proposé qui prend en compte l’aspect cardiologique (l’indication du traitement anticoagulant) et l’aspect neuro-radiologique (figure 3).
Figure 3. Quand reprendre un traitement anticoagulant après HIC.
D’autres aspects radiologiques sont importants à considérer, la taille de l’hématome, les signes de compression mais aussi le « spot sign » qui est l’opacification par le produit de contraste de l’HIC signant un processus d’extravasation sanguine encore actif et donc un haut risque d’expansion (figure 4). Ceci souligne bien les nécessaires discussions et confiances mutuelles entre spécialités dans ce domaine.
Figure 4. Aspect radiologique neurochirurgical. Le spot sign (flèche), extravasation du produit de contraste dans le centre de l’hématome.
Qu’est-ce qui dans la littérature médicale nous permet de diffuser cette CAT ?
Une métaanalyse des données existantes conforte cette attitude qui aurait pu paraître hérétique il y a quelques années(4). La métaanalyse de toutes les données existantes sur le rapport bénéfice/risque de la reprise d’un traitement anticoagulant après une HIC montre un bénéfice important sur le risque thromboembolique (RR : 0,34 [0,25-0,45]) et l’absence de différence en termes de récurrence de l’HIC (RR : 1,01 [0,58-1,77]). S’il ne s’agit pas d’études randomisées, cette métaanalyse va dans le sens d’un rapport bénéfice/risque favorable à la reprise d’un traitement anticoagulant. Il ne faut probablement pas attendre de grandes recommandations dans cette indication mais des études fort intéressantes sont en cours comme l’étude APACHE-AF qui chez des patients traités pour FA et qui auront présenté une HIC va tester la reprise d’un AOD (apixaban) versus un traitement antiplaquettaire versus abstention. Ce type d’études apportera des résultats utiles pour notre pratique. Il faut les encourager ou les susciter par des supports extrapharmaceutiques si nécessaire.
En pratique
L’HIC induite par un traitement anticoagulant est une catastrophe.
Il faut essayer de la prévenir en amont en minimisant le risque.
Il ne faut pas y rajouter d’iatrogénie par abstention thérapeutique timorée.
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