Publié le 15 avr 2018Lecture 6 min
Lésions du tronc commun coronaire gauche - Reste-t-il une place pour la chirurgie ?
Jean-Charles SPYCHAJ, Pierre DEHARO, Thomas CUISSET, Service de cardiologie, Hôpital de la Timone, Marseille
Les lésions significatives du tronc commun coronaire gauche (TCG) représentent environ 5 % des lésions retrouvées en angiographie coronaire avec une atteinte prédominante (environ 80 %) sur la bifurcation distale(1). La revascularisation de ces lésions est recommandée avec une classe IA dans les recommandations européennes pour des sténoses > 90 % ou 50 % avec mise en évidence d’une ischémie par FFR ou test non invasif(2).
Depuis les années 1990, la revascularisation chirurgicale ayant démontré sa supériorité en comparaison au traitement médical en termes de mortalité(3), a été considérée comme le gold standard chez les patients éligibles. Néanmoins, l’évolution continue des technologies d’angioplastie percutanée et l’avènement des stents actifs ont imposé cette technique comme une alternative possible à la chirurgie cardiaque.
Ainsi, les dernières recommandations sur la revascularisation myocardique de la société européenne de cardiologie en 2014 indiquent la revascularisation percutanée des lésions du tronc commun en classe IB pour les patients ayant un score SYNTAX < 22, en classe IIA pour ceux ayant un score SYNTAX entre 22 et 32 et en classe III ceux pour un score SYNTAX > 32. La revascularisation chirurgicale s’inscrit quant à elle en classe IB quel que soit le score SYNTAX du patient(2). Pour rappel le score SYNTAX(4) a été mis en place en 2005 et validé par l’étude SYNTAX. Il s’agit d’un score morphologique évaluant la complexité anatomique de l’atteinte coronaire. Il doit permettre d’évaluer les patients à haut risque pour l’angioplastie, selon les résultats de l’étude SYNTAX. Les écueils de ce score sont résumés dans l’encadré ci-dessous.
Des recommandations basées sur les stents actifs de 1re génération
Quatre études randomisées comparant la chirurgie conventionnelle et l’angioplastie avec utilisation de stents actifs de première génération, montrant la non-infériorité de cette dernière, ont contribué à l’écriture de ces recommandations(6-9). Notamment l’analyse du sous-groupe de 705 patients avec lésion du tronc commun de l’étude SYNTAX (SYNergy between PCI with TAXus and Cardiac Surgery) publiée dans le New England Journal of Medicine en 2009 et randomisant la revascularisation des lésions tritronculaires par chirurgie coronaire versus angioplastie percutanée. Dans ce sous-groupe de cette étude était utilisé le stent actif de première génération au paclitaxel TAXUS Express (Boston Scientific Corporation). À 1 an, le critère composite de MACCE (décès, infarctus du myocarde [IDM], accidents vasculaires cérébraux (AVC) et revascularisation répétées) était comparable pour les deux stratégies de revascularisation (CABG 13,7 % vs PCI 15,8 % ; p = 0,44)(9). À 5 ans, pas de différence significative en termes de mortalité (CABG 14,6 % vs PCI ; p = 0,53) et d’infarctus du myocarde (CABG 4,8 % vs PCI 8,2 % ; P = 0,10), tandis que le pontage était associé à un taux plus élevé d’AVC (4,3 % vs 1,5 % ; p = 0,03) et à un risque plus faible de revascularisation répétée (15,5 % vs 26,7 % ; p = 0,001) mais sans différence significative dans le taux global de MACCE (31,0 % vs 36,9 %; p = 0,12)(10,11). De plus, les résultats sur les MACCE étaient comparables entre les deux techniques pour les patients présentant un score SYNTAX inférieur à 22 (30,4 % vs 31,5 % ; p = 0,74) et ceux présentant un score entre 23 et 32 (32,7 % vs 32,3 % ; p = 0,88). Chez les patients ayant un score SYNTAX supérieur à 32, la revascularisation chirurgicale était associée à une mortalité plus faible (14,1 % vs 20,9 % ; p = 0,11) et à un taux plus faible de revascularisations répétées (11,6 % vs 34,1% ; p < 0,001) mais avec un risque plus élevé d’AVC (4,9 % vs 1,6 % ; p = 0,13).
C’est donc sur la base de cet essai que les recommandations ESC se sont basées pour indiquer la technique de revascularisation des lésions du tronc commun, le score SYNTAX permettant d’opter pour une chirurgie ou une revascularisation percutanée.
Il semblait toutefois évident que nos décisions cliniques ne pouvaient reposer sur un seul score, celles-ci intégrant de multiples paramètres cliniques et angiographiques notamment. L’avènement de stents actifs de dernière génération, avec des performances nettement supérieures aux stents de première génération en termes de thrombose et resténose, a contribué à la remise en question de ces recommandations.
Les stents actifs de 2e génération
Les résultats de deux essais randomisés, comparant chirurgie de pontage versus angioplasties avec stents actifs de deuxième génération, ont été rendus fin 2016 et publiés simultanément.
L’étude EXCEL(12)
Cet essai de non-infériorité a évalué 1 905 patients présentant une atteinte isolée du tronc commun. Le stent actif utilisé dans le bras angioplastie était un stent de dernière génération à l’everolimus (XIENCE Abbott). Les patients avec un score SYNTAX < 32 ont été inclus. Le critère de jugement principal était un critère composite de MACCE comprenant les décès toutes causes, les AVC et les infarctus du myocarde. À 3 ans, le critère de jugement principal est survenu chez 15,4 % des patients du groupe angioplastie et 14,7 % des patients du groupe chirurgie (p = 0,02) ; permettant de conclure à la non-infériorité de la revascularisation percutanée. Il est à noter que les critères de jugement secondaire de décès, d’AVC ou d’infarctus du myocarde à 30 jours sont survenus chez 4,9 % des patients du groupe stent et chez 7,9 % des patients du groupe chirurgie (p < 0,001 pour la non-infériorité, p = 0,008 pour la supériorité). Cette tendance s’inverse après le premier mois avec des MACCE survenant chez 23,1 % des patients du groupe stent et chez 19,1 % des patients du groupe chirurgie (p = 0,01 pour la non-infériorité, p = 0,10 pour la supériorité).
L’étude NOBLE(13)
Cet essai de non-infériorité a randomisé 1 201 patients entre revascularisation chirurgicale versus angioplastie pour lésion du tronc commun. Le critère principal de jugement (MACCE) incluait les revascularisations coronaires répétées, infarctus non procéduraux, mortalité toutes causes et AVC. Contrairement à la précédente, cette étude conclut à la supériorité de la revascularisation coronaire chirurgicale. En effet, à 5 ans, les événements cardiovasculaires étaient de 28 % pour le bras angioplastie et de 18 % pour le bras chirurgical (HR 1,51 ; IC95 % : 1 1,32,0), dépassant la limite de non-infériorité (p = 0,044). Les résultats en intention de traiter ont été de 28 % contre 18 % (p = 0,069). Ces résultats sont liés à un surrisque de revascularisations répétées (p = 0,0304) et d’infarctus non procéduraux (p = 0,0040) en cas d’angioplastie, ces revascularisations répétées étant incluses dans le critère principal de l’étude, à l’inverse de l’étude EXCEL(10).
Des résultats contradictoires ?
Les résultats en apparence contradictoires de ces deux études, évaluant a priori la même problématique, s’expliquent principalement par le design des études. En effet, l’étude EXCEL a un suivi plus court, son critère de jugement n’inclut pas les revascularisations répétées (que l’on sait être systématiquement plus élevées en cas d’angioplasties versus chirurgie) mais inclut les infarctus procéduraux (définis par une élévation de la troponine à 5 fois le seuil et quasi systématiques après chirurgie de pontages).
Dans ces conditions, l’angioplastie est non inférieure à la chirurgie pour la revascularisation des lésions du tronc commun.
Il est à noter que dans ces deux essais avec des stents actifs de nouvelle génération, le taux de revascularisation du vaisseau était presque deux fois plus faible que les résultats rapportés dans l’étude SYNTAX, confirmant l’amélioration des performances des nouveaux stents actifs.
En pratique
L’angioplastie des lésions du tronc commun apparaît comme une alternative validée à la revascularisation chirurgicale.
Cependant, la chirurgie coronaire garde encore un bénéfice à long terme — notamment sur la nécessité de nouvelle revascularisation. Pour cela, il est démontré qu’elle doit être le plus fréquemment possible « tout artérielle ».
Une Heart Team est indispensable pour évaluer au mieux les paramètres anatomiques des lésions, des facteurs cliniques et de l’environnement technique afin de définir la meilleure stratégie de revascularisation pour chaque patient.
Figure. Angioplastie tronc commun gauche distal (MEDINA 1-1-1) guidé par IVUS Pré-dilatation TCG/IVA 3,0x20mm - DES 4,0x23mm 20 s. 14 ATM - POT 5,0x15mm NC - Échange de guides - Réouverture de mailles Cx 2,5x12mm - rePOT 5,0x15mm NC.
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