Publié le 11 juin 2019Lecture 5 min
Malaise du nourrisson aux urgences : comment limiter les demandes inutiles de Holter-ECG des 24 heures ?
Alice MALTRET, service de cardiologie pédiatrique, Hôpital Necker-Enfants malades, Paris ; service de rythmologie, Hôpital privé J. Cartier, Massy
Le malaise est un motif de consultation fréquent aux urgences(1). Un interrogatoire et un examen minutieux permettent dans la grande majorité des cas d’éviter un Holter-ECG sur 24 heures.
Ce symptôme fonctionnel couvre un spectre clinique très large, allant d’une vague altération des fonctions physiologiques, éventuellement associée à une altération de la conscience, à une apnée prolongée avec impression de mort imminente résolutive spontanément ou par l’intervention d’un tiers. Il peut aussi s’agir d’une perte de connaissance brève et brutale avec chute.
La traduction de ces symptômes en termes médicaux est la suivante :
– les « pertes de connaissance brèves » survenant dans un contexte particulier tels un traumatisme crânien, une maladie métabolique, une fièvre. Quand celle-ci est secondaire à une cause facilement identifiable, il n’est pas justifié de faire un bilan cardiologique ;
– la « syncope » à proprement parler est une perte de connaissance brève, brutale, spontanément résolutive, avec impossibilité de maintenir le tonus postural. Les syncopes sont secondaires à un bas débit cérébral soit par bradycardie ou tachycardie extrême, soit par vasoplégie et hypotension. Les syncopes sont fréquentes chez l’enfant. On estime que 15 à 25 % des enfants ont fait ou feront une syncope avant l’âge adulte. Il existe deux périodes à risque : avant 2 ans et après 7 ans ;
– enfin, chez le nourrisson, on peut être face à des événements plus préoccupants s’apparentant à des morts subites avortées ou « near miss » que nous n’aborderons pas ici, car de tels événements justifient un bilan exhaustif en hospitalisation.
La syncope
La très grande majorité des syncopes du nourrisson sont des syncopes réflexes(2). Ces syncopes, toujours bénignes, sont secondaires à une bradycardie et vasoplégie par stimulation vagale réflexe. Les principaux stimuli du nerf vague sont, chez le nourrisson, la douleur du reflux gastro-œsophagien et le spasme du sanglot.
Les syncopes d’origine cardiaques sont exceptionnelles (1 à 5 % des syncopes)(2,3), mais potentiellement létales. Les principales causes cardiaques de syncope chez le nourrisson sont :
– le syndrome du QT long ;
– les troubles du rythme paroxystiques avec ou sans aspect de préexcitation ventriculaire à l’ECG intercritique ;
– les troubles de la conduction ;
– les cardiopathies congénitales telles : coarctation de l’aorte, sténose valvulaire aortique, tétralogie de Fallot ;
– les cardiomyopathies hypertrophiques ou dilatées ;
– les myocardites ;
– les anomalies des coronaires congénitales ou acquises (après maladie de Kawasaki ou chirurgie des coronaires).
Le diagnostic et la prise en charge des syncopes de l’enfant et de l’adulte font l’objet de recommandations européennes publiées en 2018(4). La démarche diagnostique est basée sur :
– un interrogatoire méticuleux sur les antécédents personnels et familiaux, les circonstances de la syncope, sa description, etc. ;
– un examen clinique cardiovasculaire avec recherche de souffle, palpation des pouls fémoraux et prise de la tension artérielle (TA) aux 4 membres ;
– un électrocardiogramme à la recherche de trouble conductif, d’anomalie de la repolarisation ou d’un aspect de pré-excitation ventriculaire.
La détection d’une ou plusieurs anomalies lors de ce bilan initial permet de distinguer une syncope d’origine cardiaque d’une syncope réflexe avec une sensibilité de 96 %, une spécificité de 36 %, mais une excellente valeur prédictive négative (99 %)(5).
Les diagnostics
Le diagnostic d’hyperréactivité vagale ou de spasme du sanglot est fait à l’interrogatoire. Dans ce contexte de syncope bénigne, sans aucun élément d’inquiétude à l’interrogatoire ou à l’examen clinique, la réalisation d’un ECG n’est même pas recommandée par la Société de pédiatrie et de cardiologie canadienne(6). L’intérêt du Holter est également limité. Il n’a d’intérêt que si l’enregistrement coïncide avec une syncope clinique. Dans ce cas, on peut constater une décélération franche et brusque de la fréquence cardiaque si nusale avec pause allant de quelques secondes à plusieurs dizaines de secondes. En l’absence de symptômes pendant l’enregistrement, une instabilité de la fréquence cardiaque avec des décélérations brusques de plus de 100 bpm, des pauses de plus de 1 000 ms avant 3 mois et 1 200 ms avant 1 an évoque une hyperréactivité vagale et peut constituer un argument indirect pour une syncope réflexe.
L’examen clinique et l’auscultation d’un souffle permettent de suspecter une cardiopathie obstructive (sténose aortique et tétralogie de Fallot) qui sera confirmée par la réalisation d’une échographie cardiaque. L’absence de pouls fémoraux ou un gradient tensionnel de plus de 30 mmHg entre les membres inférieurs et les membres supérieurs permet de suspecter une coarctation de l’aorte qui sera elle aussi confirmée à l’échocardiographie. Une polypnée, une hépatomégalie oriente vers une cardiomyopathie dilatée.
Les syndromes du QT long, de Wolff-Parkinson-White, les myocardites, les cardiomyopathies hypertrophiques, et certaines anomalies coronaires sont dépistés par l’ECG.
Le Holter peut avoir une place dans le diagnostic des troubles du rythme paroxystiques avec ECG intercritique normal et les troubles de la conduction paroxystique si les symptômes sont au moins quotidiens. Devant une suspicion de trouble du rythme paroxystique, la rentabilité du Holter est d’environ 20 %, avec 5 % des examens permettant de constater des anomalies du rythme cardiaque au moment des symptômes et 15 % des examens ne montrant aucune anomalie alors que l’enfant ou les parents décrivent des symptômes(7). Le rendement semble meilleur avec des enregistrements plus prolongés ou lorsque l’ECG de base est anormal(8). Pourtant, en l’absence d’éléments d’inquiétude à l’interrogatoire, à l’examen clinique et à l’ECG, ces troubles du rythme paroxystique ou de la conduction sont bénins et la multiplication des enregistrements Holter et autres examens complémentaires ne semblent pas justifiés.
Il convient d’éduquer les parents, leur apprendre les signes évocateurs de récidive, voire leur apprendre à prendre le pouls, afin qu’ils puissent consulter rapidement aux moments de symptômes.
Lorsque le bilan de débrouillage est anormal (antécédents de mort subite dans la famille, anomalie à l’ECG, syncope à l’effort, etc.) et que le bilan cardiologique initial est non contributif, les enregistreurs d’événement implantable (sorte de mini-Holter implanté en sous-cutanée) peuvent avoir un intérêt(4).
Conclusion
En bref, le Holter-ECG des 24 heures n’a guère d’intérêt pour explorer un épisode isolé de syncope réflexe typique. Devant des épisodes fréquents avec perte de connaissance prolongée, le Holter peut avoir un intérêt pour documenter l’importance des pauses (RR max). En effet des asystolies très prolongées peuvent faire l’objet d’un traitement par atropinique de synthèse voire exceptionnellement d’une stimulation cardiaque définitive(9,10).
La réalisation d’un Holter ne doit pas être systématique devant une syncope inexpliquée en l’absence de signes de gravité à l’interrogatoire, examen clinique ou ECG.
"Publié dans Pédiatrie Pratique"
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