Cardiologie générale
Publié le 01 juin 2019Lecture 7 min
Remodelage inverse : mécanismes et preuves cliniques ?
François PICARD, M. FAURE, Pierre DOS SANTOS CHU de Bordeaux
Le terme « remodelage ventriculaire » recouvre l’ensemble des modifications moléculaires, cellulaires, histologiques, anatomiques et fonctionnelles déclenchées par une augmentation de la contrainte mécanique pariétale (surcharge de pression et/ou de volume), une ischémie myocardique et un stress biochimique par activation neuro-hormonale et cytokinique. Le concept de remodelage ventriculaire a été développé dans les années 1980 à partir de la constatation d’une dilatation et d’une perte de fonction contractile de coeurs de rats ayant subi une occlusion coronaire.
Concepts de remodelage et de remodelage inverse dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite
Schématiquement, lors du remodelage, on observe les processus suivants :
– réexpression du programme génétique fœtal ;
– augmentation de la synthèse protéique et modification de la structure de protéines contractiles (myosine) et du cytosquelette ;
– atténuation de la réponse adrénergique ;
– hypertrophie excentrique ou concentrique des cardiomyocytes ;
– apoptose ;
– altération de la fonction cardiomyocytaire (diminution de la force de contraction musculaire, altération de la relaxation, perturbation de l’homéostasie calcique) ;
– modification de la matrice extracellulaire (fibrose) ;
– modification du métabolisme énergétique du myocarde.
Le remodelage ventriculaire post-infarctus est connu de longue date comme ayant un rôle pronostique délétère.
Plus la taille de la nécrose est étendue, plus les volumes ventriculaires télédiastolique (VTD) et télésystolique (VTS) sont augmentés, et plus le risque de mortalité ou d’hospitalisation pour IC augmente.
Le concept de remodelage inverse (amélioration de la FEVG et réduction des volumes ventriculaires après une intervention thérapeutique médicamenteuse ou non) a été introduit lors des premiers travaux sur la cardiomyoplastie dynamique lorsque l’on enroulait autour d’un coeur défaillant le muscle grand dorsal en le stimulant de manière synchrone. Plusieurs mois après l’intervention, on observait une réduction des volumes des cavités cardiaques et une modification de la relation pression-volume ventriculaire. Ce remodelage inverse a depuis été observé avec la plupart des thérapeutiques médicamenteuses ou non qui réduisent la mortalité dans l’IC à FE réduite.
Le remodelage inverse est défini par l’ensemble des changements moléculaires, cellulaires et tissulaires qui aboutissent à une réduction des volumes ventriculaires et une amélioration de la FEVG.
Si classiquement on définit souvent le remodelage inverse comme une réduction soit du diamètre télédiastolique VG ≥ 10 % soit des VTD ou VTS ≥ 10 % et une amélioration de la FEVG ≥ 10 % en valeur absolue ou sa normalisation (≥ 50 %), il faut reconnaître qu’il n’existe pas de définition de valeurs seuils unanimement reconnue. On le retrouve présent dans environ 40 % des cas de cardiopathies non ischémiques traitées médicalement(1) (figure 1).
Figure 1. Exemple de remodelage inverse sous traitement optimal à 12 mois avec réduction du VTD indexé de 150 ml/m2 à 58 ml/m2, du volume de l’OG de 125 ml à 72 ml, régression d’une fuite mitrale sévère en modérée et amélioration de la FEVG de 16 % à 56 %. D’après Merlo(1).
D’un point de vue physiologique, on observe lors du remodelage inverse un déplacement de la relation pression-volume ventriculaire vers la gauche comme cela est noté sur la figure 2.
Figure 2. Le remodelage inverse ne consiste pas en une simple décharge ventriculaire, mais en un déplacement vers la gauche de la relation pression-volume ventriculaire. D’après Kim(2).
Les données humaines biochimiques, cellulaires et histologiques dont nous disposons pour étudier le remodelage inverse sont pour l’essentiel tirées de l’analyse des tissus de patients explantés d’assistance de longue durée, surtout lorsqu’ils sont sevrés de leur assistance après récupération(2).
Il faut bien comprendre que remodelage inverse ne signifie pas réversion complète et disparition des processus pathologiques mis en place lors du remodelage.
Globalement, on a pu observer lors du remodelage inverse :
– un certain degré de réversibilité des anomalies de l’expression génétique anormale observée lors du remodelage, mais avec une expression génique qui reste assez différente de celle d’un cœur normal ;
– une diminution de la taille des cardiomyocytes ;
– une possible réaugmentation de la densité capillaire ;
– une possible réduction de la fibrose interstitielle, mais cela n’est pas retrouvé dans toutes les séries publiées ;
– une amélioration du couplage excitation-contraction et du métabolisme calcique ;
– malgré la persistance d’anomalies fonctionnelles mitochondriales, on a pu noter quelques modifications de l’utilisation des substrats énergétiques (augmentation de l’oxydation des corps cétoniques).
Impact pronostique et facteurs prédictifs du remodelage inverse
Plusieurs études et métaanalyses ont montré que l’obtention d’un remodelage inverse, quelle que soit la thérapeutique médicamenteuse ou non qui l’a permise, est associée à une amélioration du pronostic à très long terme.
Dans une étude publiée en 2011, 242 patients porteurs de myocardiopathies dilatées non ischémiques ont été suivis pendant 10 ans et ont bénéficié d’un traitement standard ; 37 % d’entre eux ont présenté un remodelage inverse à 2 ans et celui-ci est associé en multivarié à une réduction de mortalité totale, de mortalité par IC, de mortalité subite ou d’arythmies majeures(3).
Dans une métaanalyse publiée en 2010 portant sur 30 essais de mortalité et 88 essais de remodelage, les auteurs montrent que la réduction des VTS et VTD ainsi que l’amélioration de la FEVG à court terme sont corrélées à la survie à long terme(4).
Les facteurs reconnus comme prédictifs de remodelage inverse sont un âge < 60 ans, une étiologie non ischémique, une absence de fibrose focale ou diffuse à l’IRM (en analyse de rehaussement tardif ou en séquence T1 mapping), de bloc de branche gauche ou de fibrillation atriale et une tension artérielle plus élevée lors de la prise en charge initiale.
Dans le cas des cardiopathies non ischémiques avec mutation génétique identifiée, certaines de ces mutations (gènes du cytosquelette notamment) exposent à une moindre chance d’obtention d’un remodelage inverse sous traitement(5).
Moyens d’obtention d’un remodelage inverse
Au niveau médicamenteux, les thérapeutiques qui réduisent la mortalité ont un effet bénéfique sur la réduction des volumes ventriculaires, mais avec une amplitude d’effet différente selon les classes pharmacologiques(6). Ainsi, les bêtabloquants sont, pour l’instant, les traitements qui permettent d’obtenir le meilleur remodelage inverse, et ce avec une relation dose-effet beaucoup plus marquée qu’avec les IEC ou ARA2 par exemple (étude MOCHA et REVERT). Le bénéfice sur le remodelage inverse obtenu avec les antagonistes du récepteur minéralo-corticoïde est plus discuté. L’ivabradine a montré dans la sous-étude SHIFT écho une meilleure efficacité sur le remodelage inverse que le placebo en sus de la trithérapie habituelle et les premières études non randomisées de cohorte avec le sacubitril/valsartan semblent montrer un bénéfice marqué et précoce en termes de remodelage inverse ce que devrait confirmer l’étude multicentrique PROVE-HF en cours actuellement.
En ce qui concerne les thérapeutiques non médicamenteuses, la resynchronisation a par le passé clairement montré un bénéfice sur le remodelage inverse avec notamment un effet on/off d’amélioration de la FE et de réduction des VTD et VTS lorsque la resynchronisation est activée puis de dégradation de ces mêmes paramètres lorsque la resynchronisation est interrompue(7).
Il a d’ailleurs été bien montré qu’une réduction du VTS ≥ 10 % dans les 3 à 6 mois suivants l’implantation est corrélée avec une amélioration de la survie à 4 ans et que les patients qui présentent le plus de remodelage inverse à court terme (super répondeurs) sont ceux pour lesquels le pronostic est le plus amélioré par la resynchronisation(8).
La revascularisation myocardique réalisée sur des cardiopathies ischémiques viables avec FE basses a démontré également un bénéfice en termes de remodelage inverse.
Récemment, une équipe italienne a montré sur leur cohorte multicentrique de patients implantés de MitraClip pour une insuffisance mitrale fonctionnelle sur cardiopathie dilatée (ischémique ou non) que les patients qui présentent un remodelage inverse après implantation du clip sont ceux qui ont le meilleur pronostic(9).
Enfin, le remodelage inverse le plus précoce et le plus important est celui observé avec les assistances monoventriculaires gauches de longue durée (LVAD), notamment en cas de cardiopathie non ischémique, où il existe la possibilité de récupération sous machine et où un sevrage de l’assistance est parfois possible(10).
Figure 3. Effet on/off de la resynchronisation puis de son arrêt sur les VTS, VTD et FEVG. D’après Yu(7).
Remodelage inverse ne signifie pas guérison
L’étude TRED-HF récemment publiée nous enseigne que lorsque l’on interrompt le traitement pharmacologique chez des patients asymptomatiques ayant eu un remodelage inverse important grâce au traitement pharmacologique (FE initialement basse devenue ≥ 50 %), on observe en quelques mois une dégradation de la FEVG, une majoration des volumes ventriculaires et du taux de NT-proBNP(11).
Cela confirme que l’obtention d’un remodelage inverse sous traitement ne signifie pas guérison de la maladie et que les anomalies moléculaires, cellulaires et tissulaires établies lors du processus de remodelage délétère ne sont pas définitivement corrigées.
En pratique
L’obtention d’un remodelage inverse est assez fréquente (environ 40 %) dans les cardiopathies dilatées (notamment non ischémiques) et constitue un paramètre pronostique très favorable.
Il est obtenu avec la quasi-totalité des traitements, pharmacologiques ou non, qui permettent de réduire la mortalité dans l’IC à FE réduite.
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