publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Cardiologie générale

Publié le 15 avr 2021Lecture 8 min

La myocardite fulminante

Guillaume HÉKIMIAN et coll.*, Sorbonne Université, AP-HP, Hôpital Pitié-Salpêtrière, service de médecine intensive-réanimation, Paris

Une myocardite fulminante est la conséquence d’une inflammation soudaine et particulièrement sévère du myocarde responsable d’un choc cardiogénique, d’une arythmie ventriculaire ou de troubles conductifs de haut degré. Elle correspond ainsi à la forme la plus grave des myocardites, et nécessite par définition un support inotrope ou une assistance circulatoire. Diagnostiquée auparavant presque exclusivement par autopsie, sa prise en charge s’est beaucoup améliorée, pour peu qu’elle soit reconnue précocement. La particularité de cette forme est le risque d’aggravation hémodynamique en quelques heures vers un état de choc cardiogénique réfractaire conduisant au décès en l’absence d’assistance circulatoire.

• Épidémiologie Les myocardites sont des maladies rares dont l’incidence est estimée à 20 cas pour 100 000 habitants/an et sont dans la grande majorité des cas de cause virale ou considérée comme telle si le virus n’a pas pu être mis en évidence(1). Les formes fulminantes touchent le plus souvent des sujets jeunes (âge moyen : 40 ans), de sexe féminin dans 35 % à 50 % des cas(2). • Présentation clinique Les principaux symptômes sont l’apparition récente d’une dyspnée, d’une douleur thoracique ou de palpitations. La mort subite peut également en être la manifestation inaugurale. Il est ainsi retrouvé des signes de myocardites dans 10 à 40 % des autopsies effectuées pour mort subite chez le sujet jeune. La présentation clinique est celle d’une insuffisance cardiaque aiguë, en pratique d’un oedème pulmonaire aigu. I l faudra reconnaître rapidement la gravité clinique des patients devant une tachycardie (surtout au-delà de 120/min), une PA pincée, des marbrures, une confusion ou une oligurie. Il faut également savoir repérer un tableau plus trompeur de bas débit non associé à des signes de surcharge, ou bien d’insuffisance cardiaque droite prédominante, possibles en particulier chez le sujet jeune. Il existe alors, en plus des signes de choc décrits ci-dessus, des signes digestifs (douleurs abdominales, nausées). Sur le plan biologique, l’hyperlactatémie et l’insuffisance rénale sont des éléments de gravité. Une cytolyse hépatique, parfois très importante et alors associée à une chute du TP, peut être le témoin d’un foie de choc. Elle est fréquente en cas de choc cardiogénique et ne doit pas orienter vers une étiologie hépatobiliaire primitive. • Examens complémentaires L’ECG peut retrouver des troubles systématisés ou non de la repolarisation et mimer un SCA, justifiant alors la réalisation d’une coronarographie. Un microvoltage lié à l’œdème myocardique peut être mis en évidence, de même qu’un sous-décalage PQ et un sus-décalage diffus du ST en cas de péricardite associée. Une hyperexcitabilité ventriculaire ou des troubles conductifs sont possibles. À l’échocardiographie, il est visualisé un épaississement des parois ventriculaires en rapport avec l’oedème myocardique ; un épanchement péricardique d’abondance variable y est souvent associé. La FEVG est abaissée, de même que le débit cardiaque et le volume d’éjection systolique estimé par l’ITV sous-aortique. Dans ce contexte aigu, le ventricule gauche n’est pas dilaté, parfois à la limite supérieure de la normale. Des troubles de la cinétique segmentaire et l’apparition d’un thrombus intraventriculaire gauche sont également possibles. La troponine est presque toujours élevée, de manière plus ou moins marquée, reflet de l’importance des dégâts myocardiques. La CRP est également très fréquemment élevée. La créatinine, le lactate et les transaminases renseignent sur le retentissement du choc. Si le patient est transportable, l’IRM myocardique peut aider au diagnostic et à la surveillance lors du suivi. • Étiologies Les étiologies sont le plus souvent virales. Les virus les plus fréquemment mis en évidence par PCR dans les biopsies endomyocardiques sont : parvovirus B19, EBV, CMV, adénovirus, grippe. Ils devront être recherchés d’abord de manière non invasive (PCR naso-pharyngée multiplex, PCR sanguines parvovirus B19, CMV et EBV, PCR adénovirus dans les selles). Bien que rares, des présentations fulminantes de myocardites associées à la Covid-19 ont également été décrites, dont certaines font partie du syndrome inflammatoire multisystémique (initialement dénommé Kawasaki-like)(3). Cette entité, bien plus fréquente chez l’enfant que chez l’adulte, associe fièvre, altération très marquée de l’état général, signes cutanés (plus rares chez l’adulte), signes digestifs (douleurs abdominales et diarrhée), hypotension en rapport avec une fuite capillaire et une vasoplégie, syndrome inflammatoire biologique important, et myocardite. Il semble que ce syndrome soit post-infectieux, d’où l’intérêt de la recherche de la sérologie Covid-19 alors que la PCR nasopharyngée peut être négative. Il est important de diagnostiquer ce syndrome car l’association corticoïdes et immunoglobulines intraveineuses semble en améliorer le pronostic(4). Les causes non virales sont plus rares mais doivent être recherchées en cas de signes d’orientation ou de récidive. Une pathologie auto-immune ou inflammatoire peut être révélée par une myocardite isolée ou associée à d’autres atteintes. On évoquera notamment les connectivites (lupus, sclérodermie, myosites inflammatoires idiopathiques) chez les femmes jeunes, la maladie de Still également chez les sujets jeunes, et les vascularites à ANCA chez des sujets souvent plus âgés. • Biopsies endomyocardiques La réalisation de biopsies endomyocardiques est recommandée par l’ESC et l’AHA dans les myocardites fulminantes(1,5). Cependant, il s’agit d’un examen non dénué de risque, principalement d’hémopéricarde. Ainsi, lorsque l’étiologie est évidente (par exemple, diagnostic de grippe mis en évidence par PCR nasopharyngée ou dans un lavage broncho-alvéolaire) ou lorsque le patient s’améliore rapidement, le rapport bénéfice-risque ne nous semble pas favorable à la réalisation de cet examen. Par contre, si l’étiologie n’est pas mise en évidence de manière non invasive et en l’absence d’amélioration rapide, cet examen peut apporter des informations importantes. Lorsqu’il est effectué, son analyse doit comporter une histologie standard (permettant de définir la myocardite comme l’association d’un infiltrat inflammatoire et d’une nécrose myocytaire), une immunohistochimie pour préciser le type d’infiltrat inflammatoire et la recherche de virus par PCR. L’infiltrat est dans près de ¾ des cas lymphocytaire (orientant vers une myocardite virale ou une myocardite lymphocytaire idiopathique potentiellement auto-immune), mais il peut également être à prédominance éosinophile (myocardite à éosinophile, souvent associée à une hyperéosinophilie sanguine) ou comporter des cellules géantes (myocardite à cellules géantes). Le résultat de la biopsie aura un impact thérapeutique dans trois situations où un traitement par corticoïdes ou immunosuppresseurs est réputé efficace : myocardite à éosinophiles, myocardite à cellules géantes, sarcoïdose (cependant rarement cause de myocardite fulminante). • Prise en charge La prise en charge du choc cardiogénique repose sur l’administration d’inotropes (le plus souvent dobutamine) associés ou non à un vasopresseur (noradrénaline) sous monitorage échocardiographique régulier chez un patient équipé d’un cathéter artériel et d’un cathéter veineux central. Il ne sera le plus souvent pas réalisé de remplissage vasculaire chez ces patients en OAP, ou alors avec une grande prudence chez les patients ne présentant pas de signe de surcharge. Il faut bien garder en tête que l’aggravation hémodynamique d’un patient atteint de myocardite peut être très rapide, parfois en quelques heures, et qu’il est absolument nécessaire d’effectuer une surveillance clinique (doses d’amines permettant de maintenir une PA à l’objectif fixé, fréquence cardiaque, marbrures, confusion, nausées et douleurs abdominales) biologique (fonction rénale, lactatémie, bilan hépatique) et échocardiographique (FEVG, ITV sous-aortique) de manière régulière, pluriquotidienne, pour repérer tôt une indication d’assistance. Cette surveillance doit donc être effectuée dans un centre médico-chirurgical ayant une expérience des myocardites fulminantes et des possibilités d’assistance et de transplantation. En cas de dégradation hémodynamique malgré ce traitement ou en cas de troubles du rythme ventriculaire itératifs, une assistance circulatoire par ECMO veino-artérielle doit être envisagée précocement. En effet, il est établi qu’une implantation précoce est associée à un meilleur pronostic qu’au stade de défaillance multiviscérale ou d’arrêt cardiaque. L’ECMO est dans ces conditions l’assistance de choix car elle permet une assistance circulatoire globale (la défaillance cardiaque étant le plus souvent biventriculaire) et peut être mise très rapidement au lit du malade par une équipe mobile d’assistance circulatoire chez les patients trop instables pour être transférés. Même chez les patients les plus graves assistés d’une ECMO, la récupération permettant le sevrage de l’ECMO en quelques jours est le scénario le plus fréquent (environ 80 % des cas) dans un délai moyen de 9 jours. En l’absence de récupération, une assistance de longue durée ou une transplantation doivent être envisagées. Les patients gardant une dysfonction VG séquellaire recevront le traitement habituel de l’insuffisance cardiaque. • Place du traitement spécifique Les maladies auto-immunes ou inflammatoires connues ou révélées par la myocardite justifient un traitement immunosuppresseur spécifique. Dans les autres causes de myocardites fulminantes, différents traitements ont été proposés mais avec des données limitées et parfois discordantes qui nécessitent confirmation. Les immunoglobulines intraveineuses pourraient avoir un effet dans les myocardites fulminantes mais cela n’est pas clairement établi. Dans les myocardites virales, un traitement par interféron alpha pourrait améliorer la clairance du virus et les symptômes. Dans les myocardites lymphocytaires non virales (PCR virales négatives à la biopsie endomyocardique), une association d’immunosuppresseurs avec les corticoïdes pourrait améliorer le pronostic(6). Il existe d’autres pistes en cours d’investigation comme les anti-IL-1 ou anti-IL-6. Trois éléments sont nécessaires à l’interprétation des résultats de la littérature. Tout d’abord, la myocardite est une maladie rare et la plupart des études sont rétrospectives. Ensuite, la majorité des patients inclus dans les études ou les case reports sur les myocardites ont des formes subaiguës ou chroniques et bien plus rarement des myocardites fulminantes. Enfin, une proportion importante de patients récupère spontanément et ad integrum en quelques jours. Un traitement spécifique semble efficace et doit être envisagé dans les situations suivantes : • La myocardite à cellules géantes, suspectée particulièrement en cas d’arythmies ventriculaires récidivantes. Elle est spontanément le plus souvent fatale en l’absence de transplantation mais peut répondre à un traitement immunosuppresseur. Il semblerait cependant qu’au stade le plus sévère nécessitant une assistance circulatoire par ECMO, la récupération sous traitement soit peu probable. • Les myocardites à éosinophiles sont suspectées devant une hyperéosinophilie sanguine (même si elle n’est pas toujours présente) et confirmées par la biopsie. Elles peuvent s’intégrer dans une hypersensibilité médicamenteuse (éventuellement dans le cadre d’un DRESS), une granulomatose éosinophilique avec polyangéite, une parasitose ou encore un syndrome hyperéosinophilique idiopathique. Un traitement par corticoïdes doit être essayé et peut s’avérer efficace. • Les myocardites en rapport avec un traitement anticancéreux par les inhibiteurs de check-point relèvent également d’un traitement immunosuppresseur spécifique (cf. article consacré dans ce même numéro). • Pronostic Le pronostic des myocardites fulminantes s’est amélioré mais reste réservé, avec chez les patients les plus graves nécessitant une assistance circulatoire par ECMO, une récupération de la fonction cardiaque permettant le sevrage de l’ECMO dans 80 % des cas et une survie hospitalière de l’ordre de 60-70 %. Les myocardites fulminantes étaient réputées de bon pronostic une fois le cap aigu passé avec récupération ad integrum de la fonction cardiaque. En effet, la réponse fulminante était supposée être un marqueur de bonne réponse immunitaire, de clairance virale, et de bonne récupération. Cependant, des données plus récentes montrent qu’il persiste une dysfonction ventriculaire gauche chez environ 15-20 % des survivants et que le pronostic, qu’il soit à court ou à long terme, est moins bon que celui d’une myocardite non fulminante, avec un taux de survie sans transplantation de 50 % à 7 ans.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 4 sur 94
publicité
publicité