Publié le 04 sep 2012Lecture 7 min
Les nouveaux inhibiteurs oraux de la thrombine - Un changement sensible de culture
A. MARQUAND
Un entretien avec Georges Lipp (Birmingham, GB)
Comment améliorer la prévention des AVC et autres accidents cardioemboliques dans la FA ?
La prévention des embolies à point de départ cardiaque et surtout des embolies cérébrales dans la FA est un problème majeur. Les récents travaux avec les nouveaux anticoagulants ou NOAC (New Oral Anti-Coagulants), et en particulier le dabigatran, qui est un inhibiteur direct de la thrombine, par opposition aux NOAC agissant comme anti-Xa, ont apporté des informations importantes qui permettent d’espérer une modification très importante des risques encourus par les patients sous AVK.
Jusqu’à ces dernières années, par la force des choses, la prévention des accidents cardioemboliques a reposé uniquement sur les AVK (essentiellement la warfarine) et l’aspirine prescrits en traitement de fond. À partir de 2006, les recommandations des sociétés savantes, des deux côtés de l’Atlantique, ont tenté de séparer les patients selon le degré de risque d’AVC encouru. On a ainsi vu émerger la notion de bas risque et de haut-risque.
Pour ces patients à risque embolique élevé, il a été reconnu qu’on ne pouvait se passer de la warfarine mais on connait les inconvénients souvent majeurs de ce traitement : les interactions avec d’autres médicaments ou avec certains aliments, nécessaires et fréquentes évaluations de l’INR qui peut être fortement variable chez de nombreux patients avec en corrélation un TTR (Time in Therapeutic Range [pourcentage d’INR dans la zone cible]) très bas, et imposant des ajustements de dose. Il faut souligner le risque élevé d’hémorragies en particulier les hémorragies intracrâniennes, que le patient ait un INR dans la fourchette cible (2 à 3) ou au-dessus. Le TTR correct, qu’on estime ≥ 70 % pour espérer une efficacité raisonnable, n’est pas souvent obtenu avec les AVK. Les données dont nous disposons montrent que même dans les meilleurs cas, avec les meilleurs systèmes de santé du monde, disposant de « cliniques d’anticoagulation », le TTR ne dépasse pas en moyenne 50 %, avec les risques inhérents d’hémorragies comme d’accidents emboliques.
Comment sortir de cette situation que vous décrivez de façon pessimiste ?
Oui ! Ainsi, il nous fallait un progrès ! En 2009, les choses ont commencé à changer avec la présentation de l’essai clinique RELY mettant en avant l’intérêt du dabigatran comparativement à la warfarine dans la prévention des accidents thromboemboliques de la FA.
L’essai RE-LY a consisté à comparer deux doses différentes de dabigatran, 110 mg x 2/j et 150 mg x 2/j, à la warfarine à doses ajustées au mieux.
Dans la prévention des AVC et des embolies systémiques (critère principal de RE-LY), dans ce grand essai, le dabigatran à la dose de 110 mg x 2 n’a pas été inférieur à la warfarine en termes de prévention des accidents cardio- emboliques. Ce bénéfice a été obtenu avec une réduction très importante des hémorragies majeures de 20 %.
À la dose de 150 mg x 2/j, le dabigatran a été très significativement supérieur à la warfarine sur le critère principal, la prévention des AVC et des embolies systémiques ; de même, les AVC hémorragiques ont aussi été réduits avec la dose de 150 mg, 2/j.
Les hémorragies sont inévitables car ce sont des traitements anticoagulants puissants : RE-LY a permis de démontrer un net avantage du dabigatran. En ce qui concerne les hémorragies majeures, on n’observe pas de différence entre le dabigatran 150 mg x 2 et la warfarine. Mais surtout, fait essentiel, aux deux doses de dabigatran, on constate un net bénéfice en termes d’hémorragies intracrâniennes. N’oublions pas l’effet préventif supérieur du dabigatran à ces mêmes doses dans la prévention des accidents emboliques.
Peut-on parler de révolution thérapeutique ?
L’étude RELY a permis de repenser totalement l’approche de la prévention des AVC liés à la FA. Les NOAC ont permis de démontrer une nette supériorité comparativement à la warfarine et dans l’étude RE-LY, en même temps qu’une réduction très substantielle des hémorragies intracrâniennes comparativement à la warfarine. Selon les recommandations de l’ESH actualisées en 2010, il vaut mieux discriminer les patients à bas risque qui ne nécessitent pas de traitement antithrombotique, et ceux ayant un ou plusieurs facteurs de risque d’AVC embolique, qui justifient eux, d’une prévention efficace. Ceux-là justifient un traitement AVK avec un TTR ≥ 70 % à supposer que cela soit possible (et on sait que non), ou des NOAC comme le dabigatran. L’arrivée du dabigatran permet d’entrer dans une nouvelle ère thérapeutique tout à fait nouvelle.
L’essai RE-LY a été le premier de plusieurs essais de phase III testant les NOAC dans la FA : après le dabigatran, les essais ultérieurs ont concerné des anti-Xa, confirmant de façon convaincante les progrès obtenus dans la prévention des accidents emboliques, des AVC liés à la FA, avec un net bénéfice en termes de risque hémorragique.
Les données de l’essai RE-LY montrent à l’évidence une meilleure efficacité que la warfarine, moins de risques hémorragiques donc un bon profil de risque. Il me paraît important de souligner que ces drogues restent de puissants anticoagulants, et ils seront utiles s’ils sont prescrits correctement aux bons patients.
Faut-il veiller à l’élimination rénale ?
Surement comme le montre l’exemple du dabigatran qui a une forte élimination rénale. Dans RE-LY, les patients ayant un DFGe (par l’équation de Cockroft et Gault) inférieur à 30 ml/mn ont été exclus de l’étude. Il faut rappeler qu’une forte proportion des patients atteints de FA sont âgés, ont des comorbidités variées, et que leur fonction rénale doit être soigneusement évaluée et surveillée. Les risques hémorragiques doivent être aussi évalués évidemment. La warfarine et les autres AVK sont responsables de nombreux accidents hémorragiques, en particulier cérébraux, mais ces médicaments sont utilisés depuis si longtemps que nous trouvons cela « naturel »! Aujourd’hui, si ce type de traitement est prescrit sans une bonne analyse de la pertinence de la prescription, les accidents qui surviendront paraîtront injustifiés. La mise à disposition maintenant de ces NOAC très efficaces et en particulier du dabigatran qui à la dose de 150 mg x 2 réduit très substantiellement le risque d’AVC lié à la FA, la mortalité CV avec même une tendance à réduire la mortalité toutes causes…
Comment choisir la posologie de dabigatran ?
On dispose des AVK depuis plus de 50 ans et chacun se plaint de la nécessité de surveiller leur efficacité. Les NOAC ont une marge d’efficacité très étendue. En particulier le dabigatran, qui dispose de 2 dosages différents. Par exemple en cas de risque hémorragique important, on choisira la dose de 110 mg, comme il est recommandé par l’ESC en utilisant le score de risque hémorragique HAS-BLED, et cela particulièrement chez les patients âgés. De même, si des interactions médicamenteuses sont redoutées, comme avec le verapamil qui augmente l’efficacité du dabigatran.
Que faire en cas d’intervention chirurgicale ?
L’autre point important de ces NOAC est leur demi-vie courte. Certains ont pu reprocher l’absence d’antidote, mais il suffit d’interrompre le traitement 48 à 72 heures environ pour que l’effet s’estompe et qu’une éventuelle opération puisse avoir lieu dans de bonnes conditions de sécurité. Pour les AVK, la vitamine K en I.V. n’agit pas rapidement non plus. Sinon, on dispose de plasma frais qui contient des facteurs de coagulation. Chez les insuffisants rénaux on attendra un peu plus après l’arrêt du médicament pour opérer. Le dabigatran a l’avantage d’être dialysable ; en cas de besoin, on peut aussi utiliser la perfusion de facteurs de coagulation du complexe prothrombinique sans oublier, évidemment, toutes les mesures appropriées pour faire cesser l’hémorragie.
Chez les patients sous héparine, avec relais par dabigatran, quand faut-il arrêter l’héparine ?
Le dabigatran agit vite et en à peine deux heures, il existe un effet anticoagulant significatif. Aussi, l’héparine doit être très rapidement arrêtée.
Comment passer d’un AVK au dabigatran ?
C’est simple, on arrête l’AVK et dès que l’INR est inférieur à 2, la prise du dabigatran est possible.
En cas d’insuffisance rénale qui s’aggrave, avec un DFG inférieur à 30 ml/mn : que doit-on faire ?
Déjà entre 30 et 49 ml/mn, il faut surveiller la fonction rénale de façon rapprochée et passer éventuellement à 110 mg x 2, et poursuivre la surveillance. En dessous de 30 ml/mn, on suggère de revenir à l’AVK, qui n’est pas forcément plus sûr, mais nous disposons de plus de recul, bien que les AVK soient loin d’être anodins chez l’insuffisant rénal.
Le dabigatran agit rapidement : l’étape héparine n’est peut-être pas indispensable ?
Si l’on envisage une cardioversion, la protection offerte par le dabigatran est rapide et performante. On fera donc un traitement de 3 semaines, conformément aux recommandations, avant le choc électrique. Dans RE-LY, il y a eu 1 800 cardioversions, dont une bonne partie chez des patients traités par dabigatran, sans qu’aucun signal inquiétant n’ait été détecté. Je dirais donc qu’aujourd’hui, on peut faire des cardioversions sous dabigatran. Mais il faut être sûr de l’observance du traitement.
Quels sont les essais en cours avec le dabigatran ?
Une étude de phase II concernant les valves cardiaques prothétiques est en cours. Il y a un registre issu de la cohorte de RELY concernant le suivi à plus long terme. Il y a le registre GLORIAAF, analysant l’utilisation dans la « vraie vie »… Cette molécule suscite de nombreux travaux.
Une dernière question : a-t-on étudié l’intérêt économique du dabigatran comparé aux AVK ?
L’intérêt économique a été étudié au Royaume-Uni (et publié dans le BMJ) et au Canada. Il y a également une évaluation par le NICE en Grande Bretagne et en Ecosse par le Scottish Medical Council. Ils ont tous conclu que l’utilisation du dabigatran est indiscutablement rentable.
Propos recueillis par A. MARQUAND
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