Thérapeutique
Publié le 08 juin 2010Lecture 11 min
CAT devant une hyponatrémie
J.-P. HAYMANN, Hôpital Tenon, Paris
Une démarche diagnostique opérationnelle devant une hyponatrémie consiste à s’appuyer sur trois examens simples : le ionogramme sanguin à jeun, le ionogramme urinaire sur échantillon à jeun et le ionogramme urinaire de 24 heures. L’interrogatoire, l’examen clinique et les résultats de ces examens biologiques permettent dans la majorité des cas de poser un diagnostic et de définir une conduite thérapeutique qui s’accompagne d’une restriction hydrique et peut associer selon les cas à un apport en osmoles et notamment du sodium. Un arbre diagnostique reposant sur une démarche physiopathologique est proposé permettant, selon les étiologies, des mesures thérapeutiques implicites. La récidive d’épisodes d’hyponatrémie sans contexte évident nécessite une prise en charge spécialisée à la recherche d’une étiologie.
L’hyponatrémie est un désordre hydroélectrolytique très fréquent, généralement asymptomatique, dont la signification est souvent mal comprise avec des « blocages » provenant de souvenirs des années de faculté où les notions d’osmolalité et d’osmolarité et de fausses hyponatrémies ont découragé des générations d’étudiants… L’hyponatrémie rencontrée dans notre pratique quotidienne est généralement « vraie » et l’osmolalité sans intérêt. Comme nous allons le voir, la démarche diagnostique opérationnelle en présence d’une hyponatrémie consiste à interpréter un contexte clinique et à savoir calculer une osmolarité urinaire (concentration en osmoles par litre d’eau).
Au cours de la prise en charge du patient, l’interprétation de cette anomalie biologique est pourtant simple en première analyse : il existe une rétention excessive d’eau dans l’organisme. Le traitement symptomatique intuitif consiste donc à restreindre ses apports en eau. Le mécanisme responsable de cette hyponatrémie peut cependant être plus complexe et tout particulièrement chez les sujets âgés où plusieurs mécanismes sont souvent intriqués avec notamment un apport alimentaire en osmoles faible, qui limite l’excrétion rénale en eau (cf infra). (N.B. : l’osmole est la pression osmotique exercée par un ion-gramme lorsqu’il s’agit d’un corps complètement ionisé dissous dans un litre d’eau).
Ration alimentaire
Boite à outils
En situation alimentaire stable sur quelques jours, cette ration alimentaire peut être appréciée simplement par le calcul de la quantité d’osmoles présentes dans les urines de 24 heures :
Qté osmoles/24 heures = 2 x (Na+ + K+) + urée (en mmol)
Vérifier au préalable que le recueil d’urine de 24 heures est complet :
– créatininurie = 150 – 200 µmol/kg/j chez les hommes ;
– créatininurie = 100 – 150 µmo/kg//j chez les femmes.
La ration quotidienne alimentaire occidentale est de l’ordre de 500 à 800 mosm/j composée, en effet, de protéines animales (métabolisées en urée) et de minéraux (somme des cations principaux multipliés par un facteur 2 du fait du principe d’électroneutralité).
Ration quotidienne en protéines (g/kg/j) : urée urinaire (mmol/j) x 0,21/poids (kg)
-> Objectif < 1,2 g/kg/j
Apports en sodium (g/j) = Na+ urinaire/17
Les limites de fonctionnement du rein normal : la polydipsie et l'anorexie
Ce lien entre l’apport en osmoles et l’excrétion rénale d’eau est, en effet, un mécanisme essentiel et pourtant largement méconnu dans la pratique médicale. L’hyponatrémie apparaît alors comme une circonstance où les limites de fonctionnement du rein « normal » sont dépassées.
La fonction principale des reins est d’ajuster les sorties urinaires d’eau et de substances dissoutes (les osmoles) aux entrées (provenant de l’alimentation) afin de maintenir constant le « milieu intérieur ». Les reins « normaux » n’ont cependant pas la capacité d’éliminer de l’eau pure, leur capacité maximale de dilution des urines est comprise entre 60 et 100 mosm/kg d’eau (osmolarité), et fonction de l’âge (des reins âgés ont une moins bonne capacité de dilution).
Polydipsie primaire/potomanie
Prenons un exemple chiffré pour mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement des reins « normaux ». Dans les circonstances habituelles de fonctionnement, on considère un apport alimentaire journalier occidental de l’ordre de 600 mosm/j et une boisson de 2 l/j : les reins n’ont donc aucune difficulté à ajuster les sorties aux entrées : les 2 litres d’eau seront éliminés avec une osmolarité moyenne de 600/2 = 300 mosm/kg… Si le sujet boit maintenant 10 litres/j (cas d’une potomanie), l’osmolalité moyenne sera de 600/10 = 60 mosm/kg, soit la limite inférieure. Si le sujet boit maintenant 12 litres, 2 litres ne pourront être éliminés et une hyponatrémie apparaîtra… Le traitement de cette hyponatrémie est alors simple et consiste à administrer des osmoles (du sodium par simplicité) pour permettre d’éliminer ces 2 litres d’eau accumulés en excès dans l’organisme (la restriction en eau parait un vœu pieux chez ce patient…).
Anorexie
Considérons maintenant un patient qui ne mange « rien », disons 100 mosm/j avec toujours une prise de boisson de 2 l/j. Pour ajuster les sorties aux entrées : les 2 litres d’eau devront alors être éliminés avec une osmolarité moyenne de 100/2 = 50 mosm/kg, valeur inférieure à la limite de capacité de dilution des urines (qui est comprise entre 60 et 100 mosm/kg, cf. supra). Par souci de simplicité de calcul, si l’on considère que la capacité maximale de dilution est de 100 mosm/kg (sujet âgé), alors seul 1 litre d’eau/j pourront être excrétés et 1 litre ne pourra pas être éliminé, d’où l’apparition d’une hyponatrémie. Le traitement de cette hyponatrémie consiste à expliquer au patient la nécessité de restreindre ses apports en eau à 1 litre/j et, si possible, d’augmenter l’apport en osmoles (protéines, sels alimentaires). Cette anomalie est fréquente chez le sujet âgé et est connue sous le vocable « Tea and toast diet ». À l’inverse, les organisateurs de la fête de la bière à Munich (« October Fest ») ont compris de longue date la nécessité de manger des osmoles : la prise de bière est abondante mais la choucroute salée est fournie en abondance…
Hyponatrémie : un problème d'osmo- ou de volorécepteurs ?
L’excès d’apport hydrique (rapporté à la quantité d’osmoles quotidiennes absorbées) est le mécanisme général responsable de la survenue d’une hyponatrémie. Cet excès est cependant le plus souvent relatif, évalué par la capacité maximale de dilution des urines qui est anormalement élevée. La cause principale de cette osmolarité urinaire élevée est une stimulation volémique dans près de 80 % des cas et une sécrétion inadaptée de l’hormone antidiurétique (SIADH) dans la plupart des autres situations.
Rappels
En effet, la natrémie (ou l’osmolalité plasmatique pour être plus exact) est finement régulée grâce à la présence d’osmorécepteurs situés au niveau de l’hypothalamus qui contrôlent la sécrétion de la vasopressine, appelée encore hormone antidiurétique (ADH), par la posthypophyse. La demi-vie plasmatique de l’ADH est courte (< 15 min) et sa sécrétion induite par une hypernatrémie entraîne une liaison de l’ADH à des récepteurs spécifiques V2 situés au niveau des cellules principales des canaux collecteurs ; cela permet ainsi l’adressage à la membrane des aquaporines2 (AQP2), canaux à eau permettant la réabsorption d’eau et la concentration des urines (effet antidiurétique pour l’excrétion rénale de l’eau). Il existe cependant des volorécepteurs hypothalamiques qui contrôlent également la sécrétion de la vasopressine mais qui ne sont stimulés qu’en situation d’hypovolémie importante.
Deux points importants sont à retenir :
- ce mécanisme de stimulation est indépendant des osmorécepteurs et peut donc stimuler la sécrétion d’ADH même dans des situations où la natrémie est basse ;
- les volorécepteurs sont stimulés par une contraction des volumes extracellulaires (situations de déshydratation extracellulaire d’origine rénale comme l’utilisation de diurétiques ou extrarénale comme des diarrhées) ou une hypovolémie efficace (insuffisance cardiaque, cirrhose, etc.).
Un problème de volorécepteurs ?
La démarche diagnostique repose sur l’interrogatoire, l’examen clinique et le ionogramme urinaire de 24 heures.
Un déficit en osmoles correspond à une perte des osmoles mobilisables dans l’organisme (i.e. les osmoles présentes dans le compartiment extracellulaire), soit principalement le sodium… La déshydratation extracellulaire correspond à un déficit en osmoles dans l’organisme, responsable du tableau clinique qui associe notamment une perte de poids, un pli cutané et une hypovolémie. D’après les données de la littérature, une contraction
du compartiment extracellulaire > 8 % déclenche la sécrétion de l’ADH indépendamment de l’osmolalité plasmatique. En ce qui concerne l’hypovolémie efficace, il n’y a pas de paramètre objectif quantifiable d’où un réel problème de reconnaissance diagnostique…
Dans le cas d’une hyponatrémie associée à une déshydratation extracellulaire évidente, la mesure thérapeutique consistant à apporter du sodium (NaCl en gélules ou en perfusion selon le contexte) est la méthode diagnostique la plus directe. En effet, la correction de l’hypovolémie supprime la stimulation des volorécepteurs et donc la sécrétion de l’ADH, permettant ainsi de retrouver une capacité maximale de dilution des urines normales (comprise entre 60 et 100 mosm/kg) alors que Uosm pouvait auparavant atteindre des valeurs très élevées (jusqu’à 900 mosm/kg parfois !).
Dans l’exemple d’un patient ayant une hyponatrémie avec une osmolarité des urines de 600 mosm/kg et un apport alimentaire de 600 mosm/j, on voit qu’une prise d’eau supérieure à 1 l/j aggrave le désordre hydrique. La correction de l’hypovolémie et du stimulus volémique permet de retrouver une osmolalité urinaire à 100 mosm/kg (chiffre pris pour la simplicité du calcul). L’excès d’eau pourra alors être éliminé par les reins sans autre mesure thérapeutique…
Dans le cas d’une hyponatrémie associée à une hypovolémie efficace, le tableau clinique est différent et associe une hypotension ou une hypotension orthostatique, et généralement une hyperhydratation extracellulaire du fait de la rétention rénale de sodium liée à l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. L’évaluation du contexte clinique peut, bien sûr, être plus délicate à apprécier si le patient reçoit également des diurétiques au long cours et s’il mange peu et boit 2 litres d’eau par jour… Cette situation, qui apparaît ici comme un raffinement intellectuel, est pourtant une situation clinique très fréquemment rencontrée chez les patients âgés insuffisants cardiaques.
L’objectif thérapeutique concernant l’hyponatrémie consiste, là encore, à inhiber la stimulation des volorécepteurs afin de permettre aux reins d’éliminer l’eau stockée en excès.
Cependant, la correction de l’hypovolémie efficace est souvent difficile à obtenir, l’apport en sodium contre-indiqué ; la restriction en eau demeure alors la seule mesure thérapeutique simple et efficace… Dans cette situation, le ionogramme urinaire des 24 heures permet de quantifier les apports en eau, permet éventuellement d’élargir un peu le régime sans sel lorsque ce dernier est très (« trop ») bien suivi et permet d’objectiver un apport en protéines animales insuffisant (une augmentation permettant en dehors de considérations nutritionnelles d’apporter des osmoles et donc de favoriser l’excrétion d’un excédent en eau (cf. supra).
Hyponatrémie et stimulation des volorécepteurs :
Un problème d’osmorécepteurs ?
La régulation normale de la natrémie (ou de l’osmolalité) est assurée par l’ADH via les osmorécepteurs comme décrit ci-dessus. La présence d’une hyponatrémie signe donc un trouble dans ce mécanisme de régulation si les volorécepteurs ne sont pas stimulés (cf. supra) et si les reins ont par ailleurs un fonctionnement normal (absence d’insuffisance rénale « avancée » notamment). Le diagnostic de dysfonctionnement des osmorécepteurs ou syndrome de sécrétion inappropriée de l’hormone antidiurétique (SIADH) est donc un diagnostic d’élimination.
La condition essentielle pour affirmer le diagnostic consiste à s’assurer de l’absence d’hypovolémie efficace et/ou de contraction des volumes extracellulaires.
Dans certains cas difficiles et en l’absence de traitements inhibant le système rénine-angiotensine-aldostérone, une absence d’élévation du dosage de rénine plasmatique peut être une aide utile pour éliminer une hypovolémie. Le dosage plasmatique de l’ADH n’est pas utile au diagnostic car une ADH élevée ne permet pas de faire la distinction entre SIADH et hyponatrémie volodépendante. De plus, chez certains patients ayant un SIADH, les valeurs plasmatiques d’ADH sont « adaptées » à l’hyponatrémie (i.e. basses) bien que la capacité maximale de dilution des urines soit pathologique (élevée). Ces cas de figure ne sont pas spécifiques d’une étiologie particulière de SIADH (tableau) mais sont souvent rencontrés lors de la prise d’antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Les mécanismes de ce SIADH « à ADH normal » sont actuellement mal élucidés.
Le dysfonctionnement siégeant au niveau des osmorécepteurs, il n’y a pas d’indication théorique à apporter des osmoles pour inhiber les volorécepteurs qui sont déjà au repos. La capacité maximale de dilution des urines est fixée par la sécrétion inappropriée d’ADH. L’osmolarité urinaire (qui peut être fluctuante durant le nycthémère) détermine ainsi la diurèse, qui va étroitement dépendre des apports alimentaires en osmoles. Donc, ici aussi (mais pour une raison différente des hyponatrémies hypovolémiques), le traitement consistera en plus d’une restriction hydrique à apporter davantage d’osmoles quotidiennement sous forme de sodium, de potassium ou sous forme de protéines.
Hyponatrémie et stimulation des osmorécepteurs :
Autres hyponatrémies : un problème rénal ?
Insuffisance rénale
Au cours d’une insuffisance rénale aiguë ou chronique évoluée, la réduction du débit de filtration associée à une atteinte lésionnelle des cellules tubulaires est responsable d’une altération des capacités maximales normales de dilution des urines. Une inadéquation entre un apport en eau excessif et une prise quotidienne d’osmoles diminuée chez ces patients peut donc entrainer une hyponatrémie.
Hypothyroïdie et hypocorticisme ?
Les présences d’une hypothyroïdie et/ou d’un hypocorticisme (le plus souvent d’origine centrale) sont une cause classique d’hyponatrémie. Ces deux étiologies sont généralement considérées comme un diagnostic différentiel du SIADH car les volorécepteurs ne sont pas stimulés. Les dosages plasmatiques d’ADH sont généralement adaptés à l’hyponatrémie (i.e. valeurs basses), ce qui suggère soit un effet direct des hormones thyroïdiennes et stéroïdes sur l’expression des aquaporines (canaux à eau) présents dans les cellules principales du canal collecteur, soit un effet indirect sur une autre hormone impliquée dans l’excrétion rénale de l’eau (hypothèse actuellement non confirmée). La particularité de ces étiologies est la persistance/récurrence des épisodes d’hyponatrémie et leur guérison avec récupération d’une capacité maximale de dilution des urines normale sous opothérapie substitutive.
Maladies génétiques
Des mutations avec gain de fonction des récepteurs de la vasopressine ou portant sur des gènes contrôlant l’exportation à la membrane de l’aquaporine2 ont été décrites. Ces anomalies sont exceptionnelles, découvertes dès la petite enfance en raison de convulsions et de retards mentaux associés à la découverte d’une hyponatrémie souvent profonde.
En pratique
La démarche diagnostique proposée ici diffère quelque peu des présentations habituelles en raison d’une approche physiopathologique qui insiste sur le fait qu’une hyponatrémie est due à l’incapacité des reins à éliminer de façon adaptée une charge en eau :
- soit du fait d’un dépassement des capacités normales de fonctionnement du rein,
- soit du fait d’un trouble de la capacité maximale de dilution des urines qui peut être primitif (i.e d’origine rénale) ou secondaire à une sécrétion d’ADH elle-même pathologique (SIADH) ou adaptée à un état d’hypovolémie efficace.
Dans les cas les plus fréquents, l’interrogatoire, l’examen clinique et les résultats d’examens biologiques simples (ionogramme sang à jeun, ionogramme urine de 24 heures ± ionogramme urines sur échantillon à jeun) permettent de poser un diagnostic et de définir une conduite à tenir thérapeutique qui s’accompagne d’une restriction hydrique et, selon les cas, d’un apport en osmoles, notamment en sodium.
L’intérêt de réaliser un ionogramme des urines de 24 heures est souligné comme élément déterminant du diagnostic afin d’évaluer non seulement la diurèse et l’osmolalité mais aussi d’estimer la prise de sel et les apports quotidiens en osmoles.
La récidive d’épisodes d’hyponatrémie sans contexte évident nécessite une prise en charge spécialisée (un test de concentration-dilution peut être proposé dans les cas difficiles) à la recherche d’une endocrinopathie ou d’un SIADH, dont le caractère idiopathique ou secondaire nécessite un bilan étiologique et un suivi.
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