Thrombose
Publié le 19 mai 2009Lecture 5 min
Combien de temps dois-je traiter un accident thromboembolique veineux ? Trois mois ou toute la vie, c’est selon…
J.-P. KEVORKIAN, Médecine Interne B. Lariboisière, Paris
Cette durée de traitement anticoagulant sans demi-mesure, binaire, doit réduire au minimum les récidives thrombo-emboliques veineuses (TEV) et les hémorragies (figure 1). Cela change radicalement des schémas thérapeutiques habituels faits de durées variables, complexes et discutables. Reposant sur l’analyse d’études randomisées évaluant diverses durées de traitement anticoagulant, ce schéma thérapeutique s’applique quel que soit le siège de l’accident (TEV). Peu importe qu’il s’agisse d’une thrombose veineuse distale, proximale compliquée ou non d’une embolie pulmonaire, d’une embolie pulmonaire isolée.
Figure 1. Taux annuels de récidives TEV et d’accidents hémorragiques selon la durée du traitement anticoagulant pour un premier épisode TEV idiopathique ou de cause transitoire (adapté des études Levine, RCBTS, DURAC I, DURAC II, DOTAVK, WODIT, WODIT-PE, THRIVE III).
La durée du traitement dépend de la nature de l’accident et probablement de l’activité de la coagulation sous-jacente. La nature de l’accident TEV détermine le taux de récidive dans l’année qui suit l’arrêt du traitement anticoagulant (3 % en cas de facteur déclenchant transitoire, 15 % en cas de facteur déclenchant permanent, 20 % après un deuxième accident TEV). Cette proposition thérapeutique tranchée, se comprend donc bien dans trois situations claires :
- trois mois de traitement anticoagulant sont suffisants pour une thrombose veineuse secondaire à un facteur déclenchant thrombogène d’effet transitoire.
- le traitement anticoagulant devrait être maintenu toute la vie pour une thrombose veineuse récidivante ou secondaire à un facteur thrombogène permanent ;
- tout se complique, en cas de situation intermédiaire, comme la thrombose veineuse dite idiopathique (taux de récidive dans l’année qui suit l’arrêt du traitement : 11 %) (figure 2).
Figure 2. Taux de récidives TEV dans la première année suivant l’arrêt du traitement anticoagulant selon la nature de l’accident TEV.
Thrombose veineuse idiopathique : un choix complexe
Là encore, les deux options de durée de traitement sont valides mais le choix entre l’une ou l’autre durée de traitement devient autrement plus complexe. Il s’agit d’une situation clinique hétérogène, dont tous les mécanismes et les facteurs prédictifs de récidives sont loin d’être élucidés. Le risque de récidive après l’arrêt du traitement anticoagulant est le plus fort dans la première année puis décroît au fil du temps, sans jamais s’annuler mais sans jamais être inéluctable (10 % par an les deux premières années puis environ 2 % par an à partir de la troisième année, soit un taux global de récidives d’environ 30 % à 10 ans de l’épisode TEV initial).
Maladie thrombotique chronique, la thrombose veineuse idiopathique justifie, par conséquent, un traitement « à vie » dans un nombre notoire de cas mais pas dans tous les cas. Au moment crucial, soit au terme des trois mois exigibles de traitement, l’interruption ou la prolongation indéfinie du traitement devient donc un choix cornélien. Insuffisant, jamais validé, un score de risque de récidive est une aide seulement très partielle et la mise en évidence d’une séquelle thrombotique veineuse n’apporte rien pour prédire le risque de récidive.
Après un premier accident TEV idiopathique, faut-il absolument traiter jusqu’à la fin de ses jours un homme âgé de plus de 70 ans, présenté comme l’archétype du patient à risque élevé de récidive TEV ? Réponse : inconnue !
En réalité, dans le cas d’un accident TEV idiopathique, seule la récidive avérée emporte la conviction du traitement à vie. C’est une option de décision qui n’est pas incongrue : arrêter le traitement et attendre la récidive pour décider de traiter indéfiniment. C’est même la condition qu’imposent certains patients eux-mêmes, inquiets des contraintes du traitement anticoagulant à vie et du risque hémorragique inhérent. L’angoisse majeure qui rend cette modalité de décision thérapeutique (discutable), c’est bien évidemment la récidive sous la forme d’une embolie pulmonaire potentiellement mortelle (les récidives se font fréquemment sur le même mode que l’accident TEV initial).
Jamais validé, jamais recommandé pour la décision thérapeutique, le niveau d’activité de la coagulation pourrait constituer un moyen de décision thérapeutique. À l’heure actuelle, le taux plasmatique du D-dimère constitue le moyen de routine d’évaluation indirecte de l’activité de la coagulation (dosage par méthode ELISA). Le taux plasmatique du D-dimère définirait un niveau de risque sans permettre d’estimation individuelle du risque de récidive TEV. À distance de l’arrêt du traitement anticoagulant (un mois), un taux supra-physiologique définit une population à risque élevé de récidive TEV (15 %), un taux physiologique définit une population à risque faible de récidive TEV (6 %). Vraisemblablement, plus qu’un dosage isolé, c’est une évaluation « dynamique », cinétique, du taux plasmatique du D-dimère qui serait plus informative sur le niveau d’activité de la coagulation et le risque individuel de récidive TEV (figure 3).
Figure 3. Cinétique des taux plasmatiques du D-dimère pendant 6,4 ans chez un patient âgé de 46 ans traité par anticoagulant pour trois épisodes idiopathiques de thrombose veineuse profonde proximale (TVP prox.). Dosages quantitatifs du D-dimère (Diagnostica Stago, France) : hebdomadaires pendant les deux périodes de traitement de 6 mois, bimensuels dans les périodes sans traitement, mensuels à partir de la mise en route d’un traitement à vie (dès la 32e semaine de suivi). Les deux récidives sont précédées d’une réascension rapide du taux plasmatique du D-dimère après l’interruption du traitement anticoagulant. Aucune récidive TEV sous l’effet d’un traitement anticoagulant continu qui s’accompagne d’un taux plasmatique du D-dimère constamment physiologique. Taux plasmatique physiologique de D-dimères ≥ 500 ng/ml. INR cible pour le traitement des TVP : 2-3.
En pratique
Notre décision thérapeutique, non validée, repose sur un dosage de D-dimère juste avant l’arrêt du traitement puis un dosage hebdomadaire pendant trois à six mois (période à taux le plus élevé de récidives TEV) puis bimensuel jusqu’à la fin de la première année qui suit l’arrêt du traitement anticoagulant.
Un taux élevé persistant avant l’interruption du traitement doit faire redouter une récidive précoce, remettre en cause l’arrêt du traitement et faire discuter la recherche d’une pathologie sous-jacente thrombogène.
Un taux physiologique permanent tout au long du suivi ne s’associe jamais à une récidive dans notre expérience.
Une augmentation évolutive (le doublement du taux d’une semaine à l’autre par exemple) doit faire évoquer une réactivation de la coagulation (en dehors d’une autre cause comme un saignement) et redouter une récidive justifiant probablement la reprise du traitement.
Une stratégie décisionnelle grossièrement similaire est en cours d’évaluation dans une étude randomisée. À suivre.
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