Publié le 31 mar 2009Lecture 7 min
Comment décliner en pratique le « C » de BASIC ?
S. WEBER, hôpital Cochin, Paris
Comme il tombe bien ce « C » pour, moyennant une judicieuse combinaison de « A » AAP, Aspirine et Clopidogrel, « S » Statine, « B » Bêtabloquant, « I » IEC, aboutir à l’acronyme séduisant de BASIC. Le « C » représente Contrôle des facteurs de risque.
Bien entendu, la prévention secondaire et le contrôle des facteurs de risque au décours d’un infarctus est un objectif majeur ; il n’y a pas de population plus à risque de subir un événement artériel qu’une population de coronariens avérés quelles que soient par ailleurs la qualité de leur revascularisation et la bonne prescription des quatre classes pharmacologiques incontournables. Il est cependant un peu plus difficile pour l’item « C » d’être aussi directif que pour les quatre médicaments principaux.
Tout d’abord les données de littérature sont beaucoup moins carrées que pour l’évaluation des médicaments. L’essentiel des recommandations néanmoins édictées en la matière sont basées sur des études observationnelles, notamment en ce qui concerne les conseils diététiques.
Concernant notamment l’exercice physique, il s’agit d’essais « multi-interventions » où la pratique d’un certain niveau d’activités physiques s’intègre dans une prise en charge plus globale aboutissant, notamment et fort heureusement, à une meilleure observance des prescriptions médicamenteuses, à une meilleure adhérence aux consultations de suivi de la maladie coronaire et à la réalisation des examens complémentaires (contrôle glucido-lipidique, surveillance de la fonction ventriculaire gauche et dépistage de l’ischémie silencieuse).
La deuxième difficulté est la quasi-absence d’évaluation des effets indésirables des thérapeutiques non médicamenteuses. Il est implicitement admis que, s’agissant de conseils « hygiéniques », ils ne peuvent qu’influer favorablement sur la qualité de vie en offrant aux patients les délices du nouveau « style de vie » qu’on lui aura proposé où s’associent harmonieusement l’activité physique méritante, la vie au grand air, la nourriture saine et équilibrée et autres concepts que l’on retrouve habituellement dans les manifestes des partis écologiques ou les brochures vantant les mérites du tourisme vert.
Pas si sûr ! Certains de nos patients (et peut-être un peu nous même en y réfléchissant bien) apprécient un style de vie plus urbain, plus conforme aux valeurs de la société de consommation que, dans une schizophrénie assumée, nous n’hésitons pas à, à la fois dans la même phrase, à condamner tout en appréciant ses délices… Dans ce domaine plus que dans tout autre, les choix personnels du patient doivent être au moins écoutés et si possible entendus et respectés. Le seul domaine d’intransigeance absolue étant bien sûr le sevrage tabagique. Revenons aux principaux événements de l’item « C ».
Sevrage tabagique
Le sevrage tabagique total et si possible instantané (la dernière cigarette étant celle que l’on a eu le malheur de fumer quelques minutes avant l’infarctus) est l’intervention thérapeutique la plus efficiente chez le coronarien. Bien entendu, elle ne dispense pas des autres, mais si l’on devait en mesurer isolément le poids, il serait supérieur à n’importe quelle prescription médicamenteuse (aspirine, statine, bêtabloquant y compris) et même à celle de la reperfusion précoce en phase aiguë d’infarctus transmural. Il s’agit, en matière des contrôles du facteur de risque, du seul domaine où la littérature soit vraiment en totalité homogène, n’offrant aucune place à une remise en cause, même partielle. Cette certitude et l’ampleur du bénéfice thérapeutique attendu, justifient que soit accordée une priorité absolue au sevrage tabagique. Cela peut passer, et je dirais même, cela doit souvent passer par une mise en sommeil provisoire des autres conseils « hygiénodiététiques ».
En ce qui concerne l’exercice physique, cela se discute au cas par cas ; parfois la mise en route d’un programme de réadaptation physique aide au sevrage tabagique et doit, bien sûr, être encouragée. Dans d’autres cas, au contraire, en fonction du style de vie du patient, de son appétit ou au contraire de son aversion pour les activités physiques, cela peut être considéré comme une obligation supplémentaire, une intrusion de plus dans ses choix de vie et s’avérerait donc contre-productif.
En ce qui concerne maintenant les prescriptions diététiques, j’oserais proposer que, chez le gros fumeur, en dehors de cas extrêmes, (obésité morbide, diabète sévère) proposer simultanément la suppression de l’addiction tabagique et des modifications contraignantes du comportement alimentaire est contre-productif. Le retour sur investissement du sevrage tabagique est massif et surtout très précoce ; les courbes de survie sans événement divergent très vite entre le coronarien sevré et le coronarien restant intoxiqué par le tabac. Aucune intervention diététique ne peut faire état d’une telle divergence aussi précoce et importante des courbes de survie sans événement. En voulant trop en faire à la fois, le risque est élevé de lâcher la proie pour l’ombre et de diminuer la probabilité du succès du sevrage tabagique. Les modalités de ce sevrage sont variables, à discuter au cas par cas avec le patient. Il est vraisemblable que, s’il y a au départ une bonne acceptation, les méthodes « structurées » avec intervention d’un tabacologue ou d’un psychologue clinicien et l’utilisation optimisée des substituts nicotiniques et/ou des médicaments psychotropes apportent la meilleure efficacité.
Diabète
Parmi nos coronariens, 25 à 30 % sont diabétiques. Malgré la mise en œuvre des thérapeutiques optimales de revascularisation comme pharmacologiques, leur pronostic reste moins bon, nettement moins bon que les coronariens normoglycémiques. Pour atténuer la tristesse de ce constat, deux approches étaient implicitement admises :
– équilibrer au mieux la glycémie et se battre bec et ongles pour obtenir les taux d’hémoglobine glyquée les plus bas possibles ;
– être plus rigoureux dans la définition des objectifs de prévention secondaire, notamment tensionnels et lipidiques.
Plusieurs études récentes montrent de façon convergente que l’acharnement glycémique, chez le diabétique de type 2 coronarien, n’est pas efficace.
L’obtention de taux d’hémoglobine glyquée très bas se paye d’effets indésirables, notamment hypoglycémiques, plus fréquents sans s’accompagner d’amélioration significative du pronostic artériel. Le deuxième abord reste solide. Chez le coronarien diabétique souvent hypertendu, les chiffres tensionnels doivent être réellement optimisés ne dépassant pas 130 de systolique ; il est probable (mais certainement moins documenté cependant) que les objectifs de LDL-cholestérol doivent être plus bas, significativement inférieurs à 1g/l. Enfin, chez les diabétiques de type 2, la prophylaxie de la sédentarité est probablement encore plus importante que chez le coronarien normoglycémique.
Diététique
À l’ère des statines, et notamment de l’utilisation des fortes posologies de cette classe pharmacologique, des recommandations diététiques contraignantes ont-elles encore toute leur légitimité ? À la lecture des recommandations, la réponse paraît claire et monolithique. Que ce soit en prévention primaire ou secondaire, elle ne devrait pas dispenser d’un régime aussi méditerranéen que possible… Sur quoi repose cette vertueuse recommandation ? La littérature en la matière me paraît relativement faible, voire inexistante. Sur une population de coronariens dont le LDL-cholestérol est, sous statine, largement inférieur à 1 g/l, y a-t-il eu une quelconque étude randomisée comparant une diète méditerranéenne stricte à un régime beaucoup moins restrictif ne comportant que quelques recommandations de bon sens sur la limitation des apports en acides gras saturés et en calories ? À ma connaissance une telle étude n’existe pas. Nous faisons payer aux patients l’argent du beurre en leur prescrivant à juste titre des statines (coût financier du médicament, effets indésirables non exceptionnels) ; n’est-il pas légitime de lui laisser en contrepartie au moins un petit peu de ce beurre que nous lui avons fait payer ?
Lutte contre la sédentarité
Nous avons évoqué à propos du sevrage tabagique l’exercice physique et les difficultés d’interpréter la littérature en la matière. On peut proposer, comme l’ont fait à juste titre plusieurs sociétés savantes, que la prévention de la sédentarité est un objectif validé de prévention secondaire, mais que cela ne passe pas obligatoirement par la pratique structurée d’une activité sportive. Là aussi, laissons un minimum de libre choix aux patients. Certains d’entre eux sont ravis, en compensation de la blessure narcissique de leur IDM, de s’offrir un superbe survêtement, des chaussures de sport très sophistiquées (plus sophistiquées que celles qu’ils ont achetées à leur progéniture) et de retrouver les joies du sport qu’ils pratiquaient allégrement dans leur folle jeunesse. Laissons leur cette joie, n’hésitons pas même à l’encourager, en dehors de la pratique de sports extrêmes pouvant être mal tolérés chez certains coronariens sévères. Si, par contre, par goût, pour des raisons culturelles, ou tout simplement par pudeur (chez des patients plus âgés ou obèses), la pratique du sport est vécue comme une contrainte, rappelons que trois séances par semaine de quelques dizaines de minutes de marche rapide ou leur équivalent suffisent à atténuer le facteur de risque « sédentarité ».
Hypertension artérielle
Si les bêtabloquants que reçoivent tous les coronariens et les IEC que reçoivent à juste titre nombre d’entre eux ne suffisent pas à atteindre les objectifs tensionnels, d’autres classes pharmacologiques doivent être utilisées sans que l’on soit tenté de privilégier l’une d’entre elles. Attention cependant là aussi aux excès de zèle, et notamment, hormis quelques cas d’authentique hypertension réfractaire, à la recommandation du recours trop fréquent à l’automesure tensionnelle.
En pratique
Nous souhaitons bien sûr des coronariens vivant le plus longtemps possible, revenant rarement à l’hôpital pour un épisode aigu ou un geste de revascularisation, mais si possible des patients heureux, pouvant vivre, tout du moins dans une très large mesure, et à l’abri du tabac bien sûr, le style de vie qu’ils auront librement choisi. C’est leur vie, ce n’est pas celle de leur cardiologue et encore moins celle des sociétés savantes.
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