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Thrombose

Publié le 04 avr 2006Lecture 9 min

Embolie pulmonaire : place de la scintigraphie dans le bilan

A. HUGENTOBLER et A. HALLEY, CHU de Caen

La scintigraphie pulmonaire de ventilation-perfusion reste un examen de référence dans le diagnostic initial et le suivi des embolies pulmonaires ; elle est largement disponible, facile de mise en œuvre et ne présente pas de contre-indication. L’angioscanner thoracique prend cependant une place prépondérante dans nombre d’arbres diagnostiques, en raison de sa facilité d’accès, en particulier dans le cadre des gardes, et de la récente évolution technologique que constitue le scanner multibarettes. Cependant de multiples situations cliniques offrent une indication incontournable de scintigraphie pulmonaire.

Technique de la scintigraphie pulmonaire de ventilation-perfusion La scintigraphie pulmonaire de ventilation-perfusion est un examen de réalisation rapide (15 à 30 min). Les précautions à mettre en œuvre sont limitées au cas de l’allaitement qui devra être suspendu pendant 12 h. Les services de médecine nucléaire effectuent cet examen en urgence le jour même. Chez les patients asthmatiques, un bronchodilatateur sera judicieusement administré avant l’examen. Les images de ventilation sont obtenues après inhalation de gaz krypton (81mKr) ou d’aérosols (99mTc-micro-particules de carbone) radioactifs. L’étude de la perfusion est réalisée après injection intraveineuse de microparticules d’albumine marquées au 99mtechnétium, qui se bloquent dans les capillaires artériolaires pulmonaires (moins de 1 %). En mode planaire, les images de ventilation et de perfusion sont enregistrées suivant 6 à 8 incidences. Les clichés reproduits ici utilisent 8 incidences pour chaque modalité (perfusion et ventilation) : antérieur, postérieur, profils droit et gauche, obliques antérieurs et postérieurs bilatéraux. Une acquisition tomoscintigraphique pulmonaire (en volume) est une alternative possible qui permet d’individualiser plus finement les défauts perfusionnels et/ou ventilatoires ; sa place dans la stratégie diagnostique de l’embolie pulmonaire reste cependant à définir.   L’embole pulmonaire   Du point de vue scintigraphique L’atout majeur d’une scintigraphie en général est qu’elle permet l’obtention d’images fonctionnelles reflétant les conséquences métaboliques ou hémodynamiques d’un phénomène pathologique. Dans le cas de l’embolie pulmonaire, la circulation sanguine pulmonaire étant de type terminal, une oblitération artérielle pulmonaire entraîne une diminution ou une interruption du flux sanguin sans anomalie ventilatoire. Un tel déficit perfusionnel, s’il est segmentaire, représente une sphère de près de 10 cm de diamètre. Pour cette raison, la scintigraphie qui utilise des gamma-caméras, dont la résolution spatiale est centimétrique, est très sensible dans le diagnostic d’embolie pulmonaire. La conséquence scintigraphique est la mise en évidence de segments hypoperfusés et normalement ventilés, appelés déficits non concordants ou « mismatches » (dans la littérature anglo-saxonne) (figure 1). Figure 1. Nombreux défauts de perfusion non concordants en ventilation (flèches) : embolie pulmonaire bilatérale. Du point de vue scanographique A contrario, lorsque l’on considère l’angioscanner qui vise à détecter des emboles pulmonaires, parfois de petite taille, la technique peut être prise en défaut en raison d’une résolution spatiale insuffisante et d’artefacts liés aux mouvements respiratoires. La bonne sensibilité d’un angioscanner dans le diagnostic d’une embolie pulmonaire exige par ailleurs une parfaite opacification de l’arbre artériel pulmonaire, qui demande une évaluation correcte (difficile) du délai à respecter entre l’injection du produit de contraste et l’acquisition des images. Des progrès ont récemment été réalisés dans ce domaine avec l’apparition de logiciels de détection de bolus iodé.   Diagnostic primaire de l’embolie pulmonaire L’embolie pulmonaire constitue une urgence thérapeutique mais, en l’absence de signes de gravité, son diagnostic peut être différé après la mise en route d’un traitement anticoagulant présomptif. Une scintigraphie pulmonaire dans un délai n’excédant pas 3 jours à compter de l’épisode aigu permet de confirmer ou d’infirmer la migration embolique pulmonaire ; la scintigraphie pourra donc être réalisée au matin en cas d’admission nocturne ou le lundi si le patient est arrivé le week-end aux urgences. Après 72 h, une adaptation ventilatoire peut apparaître et être à l’origine d’un défaut perfusionnel concordant en ventilation, ne permettant pas de poser ou d’éliminer le diagnostic. La suspicion d’embolie pulmonaire massive justifie d’une autre démarche diagnostique, basée sur l’échographie et éventuellement l’angioscanner thoracique immédiat, qui permettra d’éliminer les diagnostics différentiels graves de la douleur thoracique (dissection aortique, péricardite, etc.).   Scintigraphie et critères d’interprétation PIOPED révisés Classiquement, les images scintigraphiques sont interprétées au moyen des critères définis au terme de l’étude PIOPED (Prospective Investigation of Pulmonary Embolism Diagnosis) qui comparait l’ « étalon or » classique, l’angiographie pulmonaire, à la scintigraphie pulmonaire de ventilation-perfusion dans la détection des processus emboliques segmentaires. La méthodologie scintigraphique employée était alors significativement différente des techniques modernes puisque l’étude de la ventilation utilisait un gaz radioactif peu adapté à l’imagerie (133xénon) suivant une seule incidence. Cette particularité a pu expliquer les nombreux faux positifs, la scintigraphie pulmonaire apparaissant ainsi moins performante. Les critères diagnostiques PIOPED révisés n’en restent pas moins recommandés et permettent de distinguer 4 types de résultats scintigraphiques : • haute probabilité d’embolie pulmonaire (> 80 %), correspondant à plus de deux défauts de perfusion segmentaires non concordants, • probabilité intermédiaire (20-79 %), • basse probabilité (< 19 %), • scintigraphie normale (perfusion et ventilation superposables). De nombreux praticiens interprètent à tort la terminologie « faible probabilité d’embolie » comme « pas d’embolie ». Il faut tout de même rappeler que la présence d’une forte probabilité d’embolie pulmonaire sur le premier examen scintigraphique a une valeur pronostique péjorative. C’est pourquoi nombre de centres n’utilisent pas les critères PIOPED, d’autant que l’expérience du médecin nucléaire permet d’améliorer notablement la sensibilité de cet examen dans le diagnostic d’embolie pulmonaire.   Performances comparées de l’angioscanner et de la scintigraphie Il n’existe malheureusement plus d’étalon or incontesté dans le diagnostic de l’embolie pulmonaire. En effet, l’angiographie pulmonaire, qui tenait cette place, sous-estime les défauts segmentaires et sa sensibilité est de 87 %. Toutes les études comparant l’angioscanner multibarettes et la scintigraphie pulmonaire utilisent l’angiographie comme gold standard, ce qui explique la faible concordance des données scintigraphiques et angiographiques au niveau sous-segmentaire, voire segmentaire. De plus, les études comparant angioscanner et scintigraphie retrouvent une sensibilité plus faible pour le scanner multibarettes. Il apparaît donc que le scanner présente une meilleure spécificité que la scintigraphie qui garde cependant une sensibilité inégalée dans le diagnostic d’embolie pulmonaire.   Pathologie broncho-pulmonaire et scintigraphie La critique la plus acerbe de la scintigraphie pulmonaire concerne sa médiocre spécificité, même si elle est notablement améliorée avec les techniques modernes d’étude de la ventilation pulmonaire. Une radiographie de thorax, réalisée au mieux le même jour, reste recommandée car elle permet d’écarter de nombreuses pathologies non emboliques pouvant être à l’origine d’altérations de la perfusion pulmonaire (tumeur, antécédents de radiothérapie). La rentabilité diagnostique reste diminuée mais non nulle chez les patients aux radiographies pulmonaires très perturbées, présentant une cardiopathie ou une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) sévères. L’angioscanner thoracique est confronté aux mêmes difficultés diagnostiques, en particulier chez le patient porteur de BPCO. Il faut cependant noter qu’un examen scintigraphique de référence chez ces patients permettra d’évaluer l’apparition de nouveaux emboles ultérieurement.   Stratégies diagnostiques dans l’embolie pulmonaire Les études les plus récentes utilisent des scores cliniques associés au dosage des D-dimères et à l’angioscanner pour confirmer ou infirmer le diagnostic d’embolie pulmonaire. Cette démarche reste à valider chez les personnes âgées chez qui les D-dimères sont fréquemment élevés en dehors de tout processus thrombotique. La prévalence de l’embolie pulmonaire diminue dans les populations des études (50 % en 1950 vs 20 % en 1995) en raison de la constante augmentation des situations amenant à suspecter le diagnostic. Les études de validation des stratégies diagnostiques nécessitent donc un nombre croissant de sujets.   Intérêt du suivi scintigraphique Cet examen sert également de référence en cas de suspicion de récidive : les images scintigraphiques planaires sont simples à comparer, contrairement à celles d’un angioscanner. Cet élément a d’autant plus d’intérêt que la maladie thromboembolique est récidivante.   Suivi précoce L’évaluation de la reperfusion après thrombolyse ou embolectomie chirurgicale doit être effectuée précocement (à 24-48 h). Le phénomène de bascule de flux est un écueil diagnostique pouvant conduire à tort au diagnostic de récidive alors qu’une analyse fine et comparative des examens pré- et postthérapeutiques redresse le diagnostic. Par ailleurs, 1 à 2 % des patients présentent des épisodes de réembolisation précoces qui doivent conduire à la réalisation d’une nouvelle scintigraphie pulmonaire (10 jours à 3 semaines) (figure 2) afin de confirmer ou infirmer le diagnostic et donc de discuter l’indication d’un filtre cave. Figure 2. Nombreux défauts de perfusion non concordants en ventilation sur la scintigraphie initiale (à gauche) avec reperfusion précoce (flèches) et absence de nouveaux segments d’hypoperfusion sur la scintigraphie réalisée à 10 jours (à droite) devant de nouvelles douleurs thoraciques. Absence d’aspect évocateur de nouveaux embols pulmonaires. Reperfusion à 3 mois ou 6 mois Un examen scintigraphique systématique à 3 mois de l’épisode aigu ou à l’arrêt du traitement anticoagulant (6 mois) permet de vérifier la bonne reperfusion pulmonaire en notant que près de 60 % des patients ne recouvrent pas une perfusion normale après 3 mois d’anticoagulation efficace (figure 3). Figure 3. Reperfusion (flèches) sur la scintigraphie réalisée à 3 mois des défauts de perfusion non concordants en ventilation de la scintigraphie initiale (à gauche). Suivi au long cours Il est particulièrement utile chez les patients à haut risque de récidive : antécédents d’embolie pulmonaire, patients présentant des syndromes d’hypercoagulabilité (protéine C, protéine S, déficit en protéine C activée, syndrome des anticorps anti-phospholipides, etc.), compte tenu de la variabilité de la reperfusion (figure 4). Figure 4. Reperfusion postérieure du lobe supérieur droit (flèche rouge) et persistance du défaut de perfusion non concordant en ventilation latéro-basal du lobe inférieur gauche (flèche bleue) chez une patiente présentant un syndrome des antiphospholipides. Le délai entre les deux examens est de 8 mois, la deuxième scintigraphie ayant été réalisée devant l’apparition d’une dyspnée. Cas particulier : suspicion d’HTAP sur CPC Chez un patient présentant une HTAP suspecte d’étiologie de cœur pulmonaire chronique (CPC) postembolique, une scintigraphie normale éliminera le diagnostic. Le degré d’obstruction vasculaire n’est cependant pas corrélé à la sévérité de l’HTAP.   Dosimétrie Le paramètre dosimétrique le plus fréquemment utilisé reste la « dose efficace/corps entier » qui autorise une comparaison à l’irradiation naturelle annuelle de 2,5 millisievert (mSv). Les explorations angiographiques TDM des artères pulmonaires conservent une dosimétrie défavorable (de 3 à 7 mSv). Les techniques de diminution des doses en scanner ne sont pas adaptées au diagnostic de l’embolie pulmonaire. La scintigraphie pulmonaire de ventilation-perfusion reste la moins irradiante avec des doses efficaces de 0,9 mSv (74 MBq) pour une étude de perfusion et de 0,02 mSv pour une étude de ventilation au krypton, voire 0,2 mSv avec un aérosol technétié. La dose efficace corps entier d’un examen de ventilation-perfusion est donc de 0,9 à 1,1 mSv. Dans le cas particulier de la femme enceinte, en cas d’antécédents pulmonaires, une ventilation sera réalisée (le krypton sera préféré aux aérosols technétiés). La dose injectée pour la scintigraphie de perfusion sera divisée par deux (37 MBq), le dosimétrie au fœtus sera de 0,08 mSv.   Indications en pratique de la scintigraphie pulmonaire dans le diagnostic d’embolie pulmonaire Au final, les meilleures indications de la scintigraphie pulmonaire dans le diagnostic d’embolie pulmonaire (tableau), sont en premier lieu : le diagnostic primaire d’embolie pulmonaire : - les patients à radiographie de thorax normal, - les patients n’ayant pas de pathologie cardiaque ou pulmonaire évolutive, - les patients ayant une suspicion clinique d’EP remontant à moins de 72 h, la sensibilité de détection des anomalies de perfusion résiduelle étant cruciale, - les patients allergiques aux produits de contraste iodés, - les limites à l’utilisation des PCI : les insuffisants rénaux, la prise d’antidiabétiques oraux, - les femmes enceintes, en raison du risque d’hypothyroïdie néonatale liée à l’utilisation des PCI après la 12e semaine. La dosimétrie à l’utérus sera réduite par un examen de perfusion réalisé à demi-dose et une absence de ventilation lorsque la perfusion est normale ; le suivi des épisodes emboliques (examen de référence) chez les patients à haut risque de récidive d’embolie pulmonaire.      

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