Publié le 15 avr 2012Lecture 5 min
Entretien avec Christine de Peretti - Une photographie de l’AVC en France
Propos recueillis par G. LAMBERT
Une enquête déclarative basée sur des entretiens en face-à-face vient compléter les données disponibles sur la prévalence de l’AVC et le poids des séquelles qui lui sont liées. Christine de Peretti, épidémiologiste à l’Institut de veille sanitaire (InVS), nous dit ce qu’il faut en retenir.
Pouvez-vous préciser les avantages, et peut-être les limites, de la méthode employée pour cette étude épidémiologique sur l’AVC et ses conséquences en France ?
Christine de Peretti – Cette étude est tirée de l’enquête Handicap-santé de l’INSEE et de la DRESS qui comprend trois volets (Handicap-santé-ménages, H-S Institutions et H-S Aidants). Cette enquête très riche décrit l’ensemble des situations de handicap dans la population française, quels qu’en soient le type (moteur, sensoriel, etc.) et la cause. Le travail publié dans le BEH1 a été obtenu à partir des volets Ménages et Institutions (HSM et HSI). Il s’agit d’une enquête déclarative réalisée par des entretiens en face-à-face (et non au téléphone). Ces résultats présentent le point de vue des patients sur ce qu’ils vivent dans toutes les dimensions de la vie quotidienne. Cette méthode permet donc de recueillir des descriptions détaillées des différents aspects du handicap. Leurs limites : ce ne sont pas des diagnostics d’experts. De fait, la réalité de la maladie est complexe et les sources de données multiples. Avec ce travail, nous avons la vision du patient, qui est complémentaire des données produites par les experts. Chaque source a ses avantages et ses limites : les registres AVC sont des données bénéficiant d’une grande expertise, mais ils ne peuvent être étendus à l’ensemble du territoire, il faut donc les complémentariser avec les données hospitalières. Concernant la prévalence des AVC dans la population, nous avons aussi le nombre de bénéficiaires de l’ALD n°1 « AVC invalidants », mais c’est une information quantitative, qui ne dit rien du handicap. C’est en conjuguant différentes sources de données que l’on peut approcher la réalité du fardeau des AVC.
À votre avis, quels sont les points importants de cette enquête ?
C. de Peretti – Concernant les accidents vasculaires cérébraux, cette enquête donne une estimation de la population ayant un antécédent d’AVC (1,2 % soit 770 000 personnes) et une estimation de la prévalence des séquelles liées à cette pathologie dans la population française, qui s’élève à 0,8 % soit 500 000 personnes. Par ailleurs, l’étude permet d’appréhender la grande fréquence des séquelles impactant l’autonomie des personnes, c’est-à-dire leur gravité. En particulier, le retentissement sur les activités élémentaires de la vie quotidienne : près de la moitié (45 %) des personnes avec séquelles présentent des difficultés pour au moins une des 7 activités élémentaires de la vie quotidienne.
Il s’agit d’un premier état des lieux visant à décrire la situation de ces personnes. Cet état des lieux doit être approfondi, notamment pour analyser les séquelles cognitives, l’impact sur les activités « instrumentales » de la vie quotidienne, les conséquences sur la participation sociale, ainsi que sur les aidants, etc.
Diriez-vous que la prévalence et les conséquences des AVC étaient auparavant sous-estimées ?
C. de Peretti – Concernant la prévalence des séquelles d’AVC, c’est-à-dire leur fardeau dans la population française, on ne disposait jusqu’à maintenant que d’une estimation, celle du nombre de personnes bénéficiant de l’ALD n°1 « pour AVC invalidant ». On pressentait que ce chiffre était sous-estimé, parce que les ALD ne sont pas systématiquement demandées, par exemple, par les personnes disposant d’une mutuelle remboursant pleinement la prise en charge ou pour les sujets en institution. L’enquête publiée dans le BEH confirme cette impression en montrant que l’évaluation par les ALD était nettement moindre que l’estimation issue d’HSM-HSI : 306 000 en 2008 versus 500 000 à la même époque dans les enquêtes Handicap-santé. En outre, ces enquêtes décrivent le handicap après AVC, ce que ne permettent pas les ALD.
Au regard du taux élevé de séquelles, faut-il insister sur l'importance de la prise en charge après l'accident aigu, et sur la durée de cette prise en charge ?
C. de Peretti – Bien sûr, mais il faut souligner l’importance des enjeux à toutes les phases de la filière, c’est-à-dire avant, pendant et après l’AVC. C’est ce que promeut le « Plan d’action national accidents vasculaires cérébraux 2010-2014 » en demandant aux Agences régionales de santé (ARS) d’organiser des filières territorialement définies intégrant l’ensemble de ces éléments.
À toutes les phases, il y a en effet un impact possible sur la fréquence et la gravité des accidents vasculaires cérébraux :
– avant l’AVC, c’est la question de la prévention primaire ;
– au moment de l’AVC, c’est la question de l’alerte et de l’appel au centre 15 pour une prise en charge rapide et coordonnée ;
– ensuite, c’est la question de la prise en charge proprement dite dans le cadre de filières AVC en court séjour à la phase aiguë, puis en soins de suite et de réadaptation ou au domicile, voire en structure médico-sociale, etc.
Les disparités régionales (prévalence significativement plus élevée dans les DOM et la ZEAT Nord-Pas-de-Calais) ne sont pas nouvelles, mais il semble qu'elles soient impossibles à vaincre. Quelles sont les pistes pour améliorer cette situation ?
C. de Peretti – Les disparités régionales de prévalence ne sont pas une fatalité. Elles peuvent diminuer. Sur cette question, je mettrais plutôt l’accent sur la prévention. La première piste, c’est la prévention primaire avec, en premier lieu, la prévention des facteurs de risque vasculaire, tels que l’hypertension artérielle, le tabagisme, l’obésité, le diabète, les dyslipidémies ou encore la consommation excessive d’alcool (hémorragies intracérébrales), l’insuffisance d’activité physique et une alimentation insuffisamment équilibrée.
À un deuxième niveau, lorsque ces facteurs de risque existent, il faut rappeler l’importance de leur détection, de leur traitement, ainsi que de leur contrôle thérapeutique, particulièrement pour l’hypertension artérielle ou encore le diabète. La prise en charge de ces patients doit considérer le risque vasculaire global. Enfin, il ne faut pas oublier l’efficacité de la prévention secondaire après un premier événement vasculaire.
Le vieillissement de la population doit-il être pris en compte dans l'analyse de ces chiffres ?
C. de Peretti – Le vieillissement de la population devra être pris en compte pour étudier les évolutions. Il faudra pour cela renouveler cette enquête et comparer les évolutions du nombre global de personnes concernées, des prévalences non ajustées et des prévalences ajustées sur l’âge (c’est-à-dire à structure d’âge constante). Les estimations présentées dans l’article constituent donc un premier point à partir duquel on pourra évaluer les évolutions.
De fait, on peut s’attendre à une augmentation du nombre total de personnes avec antécédent d’AVC du fait du vieillissement de la population et, en l’occurrence, de l’arrivée aux âges à risque des générations nombreuses du baby boom. En revanche, on peut espérer une réduction des taux par âge et, in fine, des taux standardisés du fait de l’action combinée de la prévention primaire, de la prise en charge aux différentes phases (phase aiguë, rééducation) et de la prévention secondaire, c’est-à-dire de la prévention des récidives.
"Publié dans Neurologie Pratique"
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