Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 11 mai 2004Lecture 9 min
État de la défibrillation implantable en France en 2004
A. LEENHARDT, hôpital Lariboisière, Paris
Le défibrillateur automatique implantable (DAI) est un traitement de choix en prévention secondaire dans le cas d’arythmies ventriculaires non contrôlées ou non contrôlables par un traitement médical, des méthodes ablatives par cathéter ou chirurgicales, ou chez des patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche. Son intérêt a également été démontré en prévention primaire après un infarctus du myocarde chez des patients ayant une dysfonction ventriculaire gauche (FE < 30 %, indication de type MADIT II) et des tachycardies ventriculaires, non soutenues au Holter, inductibles lors d’une exploration électrophysiologique et non supprimées par un traitement antiarythmique (indication de type MADIT I), ainsi que dans le cadre de certaines pathologies type cardiomyopathie hypertrophique, QT long, Brugada…
Le faible nombre d’implantations en France (environ 2 400 en 2003, soit environ 41 par million d’habitants), l’existence de nombreux modèles de marques différentes, le coût de ces matériels (12 000 à 23 000 e), l’absence de remboursement et la sophistication des derniers modèles font que le DAI reste encore une thérapeutique trop peu développée dans notre pays, car hautement spécialisée et réservée actuellement à des services de cardiologie à orientation rythmologique du secteur public. Cette situation devrait néanmoins évoluer en 2004 avec la mise en place de la tarification à l’activité qui pourrait permettre la prise en charge de ces prothèses dans le secteur privé.
Le taux d’implantations a augmenté de 30 % par an en moyenne depuis 4 ans. Plusieurs éléments permettent d’envisager la poursuite de cette augmentation dans les années à venir :
• les procédures d’implantation se sont considérablement simplifiées ces dernières années, associées à des améliorations techniques importantes des matériels implantés ;
• la publication de plusieurs études (MADIT I et II, MUSTT, AVID, CIDS, CASH, COMPANION) fait une place, pour les trois premières, aux indications prophylactiques du DAI dans le postinfarctus, pour les trois suivantes démontre une amélioration de la survie globale chez les patients ayant des troubles du rythme ventriculaires graves par rapport au traitement antiarythmique et, pour la dernière, pose le problème du défibrillateur chez les patients ayant une indication de resynchronisation cardiaque.
Progrès technologiques dans la défibrillation implantable
Les progrès technologiques récents dans le domaine de la défibrillation implantable ont largement contribué à une implantation simplifiée et une moindre morbidité.
La miniaturisation des boîtiers : le poids et le volume les plus faibles parmi les appareils commercialisés sont, en ce milieu d’année 2004, de 65 grammes et environ 30 cm3. Dans ces conditions, le boîtier est pratiquement toujours positionné dans la région sous-pectorale gauche si la morphologie du patient le permet. L’acte chirurgical a été très simplifié du fait de l’utilisation quasi exclusive de sondes endocavitaires, permettant une implantation en moins d’une heure. Elle se fait soit sous anesthésie générale pour le confort du patient, mais de plus en plus souvent dans notre équipe sous anesthésie locale, complétée d’une brève anesthésie générale lors de l’induction de la fibrillation ventriculaire nécessaire pour tester la qualité et la sûreté de la défibrillation.
L’apparition de boîtiers « actifs » : les boîtiers sont dits actifs car ils constituent une des électrodes de défibrillation, le choc biphasique étant délivré entre l’électrode distale endocavitaire et le boîtier lui-même. Le champ électrique est ainsi mieux réparti et les seuils de défibrillation significativement plus bas qu’ils n’étaient auparavant, ce d’autant que la morphologie du choc de type biphasique constitue également un progrès important en termes de seuil par rapport aux chocs monophasiques utilisés avec les appareils des premières générations.
La fonction de mémorisation des événements s’est améliorée, permettant de conserver, outre les derniers épisodes de tachycardie, leur date et le résultat des thérapeutiques et, pour les appareils les plus performants, près de 30 minutes d’électrogramme endocavitaire.
Les fonctions de stimulation et de détection sont disponibles, sur tous les modes de la stimulation conventionnelle. Les bénéfices sont évidents chez les patients justifiant d’une stimulation atriale en raison d’une bradycardie spontanée ou thérapeutique, permettant d’éviter l’implantation d’un stimulateur atrial et d’optimiser les paramètres hémodynamiques. La détection auriculaire permet, de plus, d’éviter un choc inapproprié sur une tachycardie supraventriculaire, complication encore relativement fréquente avec les appareils monochambres ventriculaires. La stimulation biventriculaire est également disponible sur certains appareils : les indications restent encore à préciser chez les patients ayant une dysfonction myocardique avancée et des troubles conductifs intraventriculaires.
La durée de vie des boîtiers actuels a été améliorée, puisque la plupart des constructeurs s’engagent actuellement sur des garanties de fonctionnement de 5 à 7 ans.
Certains appareils sont des doubles défibrillateurs permettant de traiter des arythmies ventriculaires, mais également une arythmie auriculaire réfractaire par stimulation atriale ou choc intra-atrial.
Avec ces nouvelles générations de DAI, l’incidence des complications périopératoires qui était loin d’être négligeable, pouvant atteindre 31 % dans certaines séries (liées à des thérapeutiques inappropriées surtout, mais aussi des problèmes de sondes à type de fracture ou déplacement, plus rarement des infections, a très significativement diminué et contribue à l’élargissement des indications.
Considérations épidémiologiques, médicales et économiques
Un budget ministériel d’environ 11 500 000 e a été alloué à certains CHU français en 2001 et 2002 dans le cadre du protocole EVADEF. Un bilan de ce registre a été dressé par le Pr Jean-Yves Le Heuzey lors des Journées européennes de la Société Française de Cardiologie en janvier 2004 à propos des 1 020 premières implantations sur un total de 2 400 contenues dans le registre. Ces crédits ont permis d’implanter environ 350 DAI par an.
Bilan des implantations 2001-2002
Les caractéristiques démographiques sont classiques. Les patients sont le plus souvent de sexe masculin (86 %), ont un âge moyen de 60 ans et une FEVG de 39,7 %. La plupart sont en classes I et II de la NYHA (respectivement 32 et 51 %).
Les motifs d’implantation sont, par ordre décroissant : TV (61 %), arrêt cardiaque (17,5 %), prophylactique (16 %) et TV/FV (5,3 %). Les cardiopathies sous-jacentes sont ischémiques (59,1 %), dilatées (16,1 %), absentes (6,2 %), hypertrophiques (5,4 %) ou un syndrome de Brugada (4,9 %).
Les appareils implantés sont, pour près de la moitié, des doubles chambres (49,2 %), puis des monochambres (45,2 %) et enfin des défibrillateurs avec stimulation biventriculaire (4,5 %).
Regard sur la situation française
Le nombre de DAI implantés en France est assez nettement inférieur à celui qu’il devrait et pourrait être. Même si l’on ne peut établir de corrélation étroite entre le nombre d’unités implantées et la qualité des soins délivrés à une population donnée, on ne peut que constater le fossé qui s’est créé entre les États-Unis et l’Allemagne, d’une part, et les autres pays européens, d’autre part, au dernier rang desquels arrive la France. Ce fossé n’existe pas pour l’implantation des stimulateurs cardiaques, dont les indications sont aussi bien codifiées, mais les implantations non encadrées. Il est bien probable que la bonne mesure ne se situe ni du côté des implanteurs à outrance ni du côté des implanteurs très restrictifs, mais quelque part entre les deux.
Les raisons du « retard » français
Les raisons de ce faible nombre d’implantations sont multiples, en particulier philosophiques, médicales et financières. Il ne faut pas se méprendre sur le fait que le degré d’information et d’acceptation de la communauté médicale vis-à-vis de ce moyen thérapeutique est essentiel à son développement. Le traitement médical par l’amiodarone a longtemps été considéré par les cardiologues français comme un « must » dans le cadre des tachycardies ventriculaires sur cicatrice d’infarctus. Toutefois, les études les plus récentes ont démontré la supériorité du DAI lorsqu’il existe des tachycardies ventriculaires et une atteinte de la fonction systolique (FEVG < 40 %). Par ailleurs, on peut remarquer que la publication des résultats de l’étude MADIT II n’a pas eu, en France, d’influence significative sur la progression des implantations, d’après les données du registre EVADEF.
Enfin, un des arguments médicaux avancés pour expliquer les faibles chiffres d’implantations était la moindre prévalence de la maladie coronaire en France par comparaison à nos voisins européens du nord. Cet argument tient difficilement quand on sait que les Français sont parmi les plus gros implanteurs de stents coronaires en Europe…
On ne peut pas considérer sérieusement que le retard français en termes d’implantation de DAI soit essentiellement dû au fait que cette technique n’est disponible en pratique que dans les centres publics. Cet argument laisserait sous-entendre que les cardiologues exerçant dans les centres privés ne peuvent (ou ne veulent) avoir accès pour leurs patients à des implantations dans les centres publics actuellement dotés, ce qui jetterait le discrédit sur l’ensemble de notre profession. À cet égard, on suivra avec le plus grand intérêt l’évolution du taux d’implantations des DAI si une procédure de remboursement est mise en place pour les centres d’implantations du privé. Une « explosion » des implantations en France, à cette occasion, pourrait être, à plus d’un titre, fort délicate à expliquer...
Il faut bien réaliser que c’est lors du suivi que se posent les problèmes les plus difficiles. Cela nécessite que les cardiologues traitants soient initiés aux principes de cette technologie et que le suivi soit réalisé dans des centres spécialisés ayant une expérience et un volume de patients suffisant et qu’il existe enfin une étroite collaboration entre le centre spécialisé et le cardiologue référant.
On peut tout à fait imaginer que les patients puissent être contrôlés dans des centres comportant des cardiologues spécialistes formés, qui ne soient pas obligatoirement des centres implanteurs au début de leur activité, mais qui puissent le devenir en fonction du volume de patients traités.
Gérer l’avenir
L’augmentation prévisible du nombre des indications posera un problème économique. Le DAI ne bénéficie actuellement d’aucune procédure officielle de remboursement par la Sécurité sociale, et chaque centre hospitalier finance sur son budget le coût des implantations. Globalement, on peut considérer qu’il n’y a plus de véritables problèmes budgétaires puisque, dans tous les centres qui « dépassent » leur budget, il n’y a, à ma connaissance, jamais eu de décision administrative d’interdiction d’implantation pour des raisons budgétaires.
Des démarches officielles ont été entreprises afin de faire inscrire le défibrillateur au remboursement grâce à la mise en place de la tarification à l’activité dont les modalités sont encore en discussion au moment où ces lignes sont écrites. Ce remboursement pourrait être accordé dans certains centres habilités : une liste de ces centres habilités publics et privés avait été établie, il y a quelques années, par le Groupe de rythmologie de la Société Française de Cardiologie. Elle devra sans doute être révisée.
Partager les efforts financiers
L’effort financier indispensable ne doit pas être limité aux pouvoirs publics et au milieu médical. Une pression doit être exercée sur les constructeurs pour qu’une véritable concurrence se poursuive, avec l’objectif de faire baisser de manière significative les prix de ces appareils, condition indispensable au développement de cette thérapeutique. Même si le prix actuel des défibrillateurs en France est plutôt moins élevé que chez nombre de nos voisins européens, il est certain que l’augmentation du marché devrait s’accompagner d’une baisse des prix. On nous répondra que le prix du défibrillateur comprend, outre le coût du matériel implanté, un certain nombre de services assurés par les constructeurs, dont la présence d’ingénieurs pour les implantations et les suivis. C’est une réalité qu’il faut prendre en compte et qui justifie une réflexion sur la meilleure prise en charge des patients, à la fois en termes de carte sanitaire et à l’intérieur même des services en charge des implantations et des suivis des DAI.
Il paraît difficile d’étendre les résultats des études publiées à des patients différents et la nécessaire association des thérapeutiques médicales et extramédicales ne permettra plus d’analyser l’impact d’un type de traitement pris isolément sur la mortalité. Cela justifiera de nouvelles études prospectives dont le but sera de rechercher les meilleures combinaisons thérapeutiques possibles dans des situations cliniques définies en termes de rapport coût/efficacité et de qualité de vie.
À l’heure où la discussion est ouverte sur les implications médicales et économiques incertaines des études de prévention primaire comme MADIT II ou des indications de la stimulation multisite (COMPANION), nous devrions, en France, nous concentrer particulièrement sur les indications clairement validées du DAI, dont nombre de patients ne bénéficient pas encore.
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