Publié le 11 avr 2006Lecture 5 min
Faut-il donner un antiagrégant plaquettaire à tous les diabétiques ? Les recommandations diffèrent des AMM
P. AMBROSI, CHU de Marseille
• Les recommandations françaises ou américaines sont en faveur d’une utilisation fréquente de l’aspirine en prévention primaire chez le diabétique : elles préconisent l’aspirine chez la plupart des diabétiques âgés > 40 ans et vont donc très au-delà des mentions légales.
• Dans son AMM, l’aspirine est indiquée seulement en prévention secondaire. Pareillement, l’AMM du clopidogrel est restreinte aux suites d’IDM ou d’AVC récents ainsi qu’aux syndromes coronaires aigus (SCA).
Recommandations ANAES 2000
L’aspirine à dose modérée (inférieure ou égale à 100 mg/j) est recommandée en prévention primaire chez le diabétique de type 2 lorsqu’existent d’autres facteurs de risque associés au diabète sucré, en particulier une HTA (grade A).
Recommandations ADA 2004
Utiliser l’aspirine (75-162 mg/j) en prévention primaire chez les diabétiques de type 1 ou 2 âgés > 40 ans ou qui ont des facteurs de risque associés (histoire familiale de maladie cardiovasculaire, hypertension, tabac, dyslipidémie, albuminurie).
Ces recommandations ne sont pas passées dans la pratique, ce dont témoignent les enquêtes de prescription. Par exemple, en 2001, seulement 31 % des diabétiques prenaient de l’aspirine en prévention primaire dans la cohorte britannique UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study group). Aux États-Unis, en 2001 également, les constatations étaient identiques : seulement 40 % des diabétiques avec un facteur de risque associé tel que tabac, HTA ou dyslipidémie prenaient de l’aspirine en prévention primaire.
Les médecins ne sont donc pas convaincus de l’intérêt d’une prescription systématique d’aspirine chez les diabétiques de > 40 ans. Ils n’ont probablement pas tort. Analysons la littérature.
Une mauvaise évaluation des antiagrégants en prévention primaire
Aspirine
La principale étude de prévention par l’aspirine chez le diabétique est ETDRS (Early Treatment Diabetic Retinopathy Study). La population des 3 711 diabétiques avec rétinopathie de l’étude était composée en majorité de patients en prévention primaire. L’incidence cumulée des décès cardiovasculaires, des IDM et des AVC au cours d’un suivi moyen de 5 ans n’a pas été significativement différente entre les groupes placebo et aspirine.
Dans le sous-groupe de 1 031 diabétiques en prévention primaire dans l’étude ouverte PPP (Primary Prevention Project), il n’a pas non plus été observé de différence significative de survie sans événement cardiovasculaire majeur entre le groupe qui recevait de l’aspirine et celui qui n’en recevait pas (figure 1).
Figure 1. Survie sans événement vasculaire majeur chez 1031 diabétiques en prévention primaire (Etude PPP). Absence d’effet significatif de l’aspirine (p = 0,71).
Clopidogrel
On dispose d’encore moins de données concernant le clopidogrel (Plavix®). Dans l’étude CAPRIE (Clopidogrel vs Aspirin in Patients at Risk of Ischemic Events), en prévention secondaire, l’intérêt du clopidogrel avait été évalué dans le sous-groupe d’environ 4 000 diabétiques. Le nombre d’événements vasculaires a été significativement moindre sous clopidogrel que sous aspirine. En prévention primaire, l’intérêt du clopidogrel n’a pas été évalué.
Une bonne tolérance
Le point rassurant de ces essais est qu’ils n’ont pas montré de surcroît d’hémorragies chez le diabétique traité par des antiagrégants, en particulier au niveau rétinien. Ce résultat rejoint celui d’une métaanalyse récente d’Ariesen qui a montré que le diabète n’est pas un facteur de risque majeur d’hémorragie cérébrale dans la population générale. Certains ont évoqué par ailleurs une possible résistance du diabétique à l’aspirine. La littérature sur le sujet n’est guère convaincante pour le moment.
En l’absence de niveau de preuve suffisant, pourquoi les experts ont-ils choisi de recommander l’aspirine chez une grande partie des diabétiques en prévention primaire ?
Risque vasculaire du diabétique
L’argument majeur en faveur de la prescription d’aspirine chez le diabétique en prévention primaire est le niveau de risque vasculaire élevé.
Ainsi, si Haffner et coll. ont trouvé un risque coronarien identique chez le diabétique sans antécédent coronarien et le coronarien ayant un antécédent d’IDM (figure 2).
Cette étude a été controversée : certains ont voulu étendre les constatations d’Haffner à tous les diabétiques, alors que les sujets de son étude étaient relativement âgés (59 ans), des diabètes de type 2 anciens (8 ans en moyenne) et nordiques. Depuis, plusieurs études sont venues corriger cette vision pessimiste.
Figure 2. Survie des diabétiques, des non-diabétiques, des patients ayant présenté un IDM, et des patients diabétiques ayant présenté un IDM dans l’étude d’Haffner (2 432 sujets) (A) et dans la cohorte ARIC (13 790 sujets) (B). Alors que le pronostic coronarien du diabétique est identique à celui du post-IDM dans l’étude d’Haffner, il est significativement meilleur dans la cohorte ARIC (p < 0,001).
Dans la cohorte américaine ARIC (Atherosclerosis Risk In Communities study), la survie sans événement coronarien du diabétique sans antécédent se situe à mi-chemin entre celle du patient ayant un antécédent d’IDM et celle du non-diabétique (figure 2). La cohorte britannique DARTS (Diabetes Audit and Research Tayside Scotland) montre un pronostic bien plus mauvais pour les IDM récents que les diabètes récents (risque d’événement coronarien 3 fois plus élevé). Les résultats de ces deux études ont été confirmés par une cohorte finlandaise.
Le risque vasculaire du diabétique est donc variable selon l’âge du patient, l’ancienneté du diabète et, bien entendu, selon les autres facteurs de risque associés. Chez les diabétiques âgés ayant un diabète ancien, le risque est, semble-t-il, du même ordre que celui du coronarien stable. Chez les patients dont le diabète est de découverte récente, le risque est nettement moins élevé. Idéalement, il faudrait disposer d’une table de risques du diabétique adaptée à l’Europe du Sud. Les tables disponibles à l’heure actuelle sont notamment la table de Framingham pour les Etats-Unis et la table UKPDS pour la Grande-Bretagne.
En pratique
Il est logique, malgré un niveau de preuves modeste, de prescrire un antiagrégant en prévention primaire chez le diabétique à haut niveau de risque (tabagique, diabète ancien).
Dans les autres cas, le rapport bénéfice/risque est trop incertain pour que la prescription d’antiagrégant soit systématique. Elle tiendra compte des autres facteurs de risque (dyslipidémie, HTA), de l’état vasculaire au Doppler par exemple et de la tolérance. Enfin, en cas d’intolérance digestive à l’aspirine, le clopidogrel paraît une alternative possible en prévention primaire, par extrapolation des résultats de CAPRIE.
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