Publié le 24 juin 2008Lecture 9 min
Implantation de prothèse aortique par voie percutanée - État actuel
T. LEFÈVRE, M. ROMANO, M.-C. MORICE, L. SALMI, B. CORMIER, D. LE HOUEROU, A. FARGE et P. DONZEAU-GOUGE, Institut Hospitalier Jacques Cartier, Massy
Actuellement, le seul traitement qui améliore à la fois les symptômes et le pronostic est le remplacement valvulaire aortique chirurgical. Cependant, de nombreux patients n’ont pas accès à ce traitement. En dehors du traitement palliatif par dilatation aortique au ballonnet nous n’avions jusqu’à présent aucune alternative thérapeutique. Cette étude a été mise en place en 2007, pour évaluer la prothèse valvulaire aortique Cribier-EdwardsTM implantable par voie percutanée.
Le RAC : une prévalence en augmentation
Le rétrécissement aortique est la cardiopathie valvulaire la plus répandue dans le monde occidental et sa prévalence augmente au rythme du vieillissement de la population. On estime qu’un rétrécissement aortique sévère affecte 3 % des individus > 75 ans. Le rétrécissement aortique évolue progressivement et reste pendant de nombreuses années totalement asymptomatique. La surface aortique diminue en moyenne de 0,1 cm2 par an. Lorsque la surface valvulaire aortique brute atteint environ 0,8 cm2 , les symptômes apparaissent. Dès lors, on assiste à un tournant évolutif de la maladie (figure 1) et en l’absence d’intervention, une incapacité progressive s’installe, dont les causes sont les manifestations angineuses, dyspnéiques, la survenue de syncopes puis la défaillance cardiaque. Lorsque le rétrécissement aortique est sévèrement symptomatique, la survie excède rarement deux à trois ans.
Figure 1. Histoire naturelle du rétrecissement aortique.
Actuellement, le seul traitement qui améliore à la fois les symptômes et le pronostic est le remplacement valvulaire aortique chirurgical. Cependant, de nombreux patients n’ont pas accès à ce traitement soit parce que considérés comme trop âgés par leur médecin ou par eux-mêmes, soit parce qu’ils ont été récusés pour la chirurgie du fait des comorbidités. En dehors du traitement palliatif par dilatation aortique au ballonnet, nous n’avions jusqu’à présent aucune alternative thérapeutique.
Des patients récusés par le chirurgien
L’analyse des données du Euro Heart Survey(11) a révélé qu’un tiers des patients âgés présentant une sténose aortique symptomatique sont récusés pour la chirurgie valvulaire et une étude similaire a montré que ce chiffre pouvait atteindre 41 %. Dans Euro Heart Survey, les facteurs prédictifs de la décision de ne pas opérer étaient l’âge avancé du patient et une fraction d’éjection ventriculaire gauche (VG) altérée. Bien que ces deux facteurs soient indubitablement des prédicteurs du risque opératoire, il a aussi été démontré que les patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche sont ceux qui bénéficient le plus de l’intervention. Le risque de mortalité opératoire est apprécié par différents indices, le plus utilisé est l’Euroscore dont la valeur pronostique a bien été démontrée et qui intègre l’âge du patient, le sexe, la situation clinique, les fonctions ventriculaire gauche, respiratoire et rénale, les lésions coronaires associées, l’existence d’une artériopathie périphérique ou de lésions carotidiennes, l’état neurologique et, bien sûr, le fait que le patient ait déjà subi une intervention cardiaque.
La quête d’une alternative à la chirurgie de remplacement valvulaire aortique pour les patients à haut risque a débuté il y a de nombreuses années. Après une période d’exploration initiale réservée aux patients récusés pour la chirurgie et traités de façon compassionnelle puis à des patients à très haut risque , une étude européenne multicentrique (PARTNER) a débuté. Cette étude a été mise en place en 2007, pour évaluer la prothèse valvulaire aortique Cribier-EdwardsTM implantable par voie percutanée.
Mise au point des techniques percutanées
L’origine des progrès récents dans la recherche d’une solution à offrir à ce groupe de patients âgés atteints de multiples comorbidités, remonte à 1985, lorsque le Pr. A. Cribier a réalisé les premières valvuloplasties aortiques percutanées au ballonnet (BAV) et a obtenu des résultats encourageants chez trois patients. Cette technique a permis de diminuer le gradient de pression systolique transvalvulaire tout en évitant la sternotomie médiane et la mise en place d’une circulation extracorporelle. Entre 1985 et 1991, des milliers de patients inopérables ont bénéficié de valvuloplasties aortiques au ballonnet. Cependant, bien que cette technique ait entraîné une amélioration des symptômes à court terme, et permis dans certains cas d’amener le patient à un remplacement valvulaire chirurgical, la survie à 24 mois sans événements ne dépassait pas 18 %. Il devint vite évident que le phénomène de resténose valvulaire était à l’origine de ces résultats décevants. La valvuloplastie aortique percutanée reste encore utilisée dans certains centres, soit comme traitement palliatif à court terme, soit pour améliorer temporairement le statut hémodynamique et permettre la réalisation d’interventions chirurgicales non cardiaques, orthopédiques ou digestives.
La première implantation non chirurgicale d’une valve cardiaque bioprothétique chez l’être humain a été réalisée par le Pr. A. Cribier à Rouen en 2002 chez un patient en choc cardiogénique. Ce patient avait été traité par valvuloplastie aortique mais les résultats de cette intervention ne s’étaient pas révélés durables.
La bioprothèse, testée chez l’animal pendant plus de 10 ans, a été conçue pour être implantée par voie percutanée. Elle est constituée de trois sigmoïdes en péricarde d’origine bovine, insérées dans un stent en acier inoxydable serti sur un ballonnet. Depuis cette procédure initiale, la prothèse et la technique ont fait l’objet d’améliorations techniques considérables.
Prothèse valvulaire et procédure
La valve de Cribier-Edwards est actuellement constituée d’un stent tubulaire en acier inoxydable dans lequel est insérée une valve à trois feuillets (figure 2). Le tiers inférieur (partie ventricule gauche) est couvert d’un manchon en tissu. Avant d’être implantée, la valve est sertie sur un cathéter à ballonnet de valvuloplastie. Deux tailles de prothèse sont actuellement disponibles (23 x 14,5 mm et 26 x 16 mm). La valve de 23 mm (introducteur 22F), est habituellement utilisée lorsque l’anneau aortique mesure 19 à 21 mm et la valve de 26 mm (introducteur 24 F), lorsque l’anneau mesure entre 22 et 24 mm. Actuellement l’implantation de la valve au niveau de l’anneau aortique est réalisée à l’aide de deux méthodes : l’abord transfémoral et l’abord apical. La technique antérograde par voie transseptale développée initialement pour limiter le risque de complications vasculaires a été abandonnée.
Figure 2. Valve Cribier-Edwards™.
Abord transfémoral rétrograde
L’intervention est réalisée sous anesthésie locale ou générale. Elle consiste à insérer la valve au moyen d’un introducteur de 22 ou 24 F dans l’artère fémorale qui devra être par la suite suturée chirurgicalement. L’artère fémorale est abordée par voie percutanée ou disséquée chirurgicalement. Cette voie transfémorale oblige cependant à exclure les patients présentant des calcifications ou tortuosités iliaques importantes ou des artères fémorales pathologiques ou de petit calibre (> 7 à 8 mm). Dans ces cas, on peut proposer une voie transapicale ventriculaire gauche antérograde.
Les mesures hémodynamiques de base et l’insertion d’une sonde de stimulation ventriculaire droite précédent le cathétérisme de la valve aortique. La prédilatation de la valve au moyen d’un ballon de valvuloplastie de 20 à 23 mm (introducteur 12 à 14 F), sous contrôle radiographique pour visualiser les feuillets aortiques calcifiés, est nécessaire avant de mettre en place la bioprothèse (figure 3). Le déploiement de la prothèse par inflation du ballonnet est réalisé au cours d’une stimulation rapide du ventricule droit, en général autour de 200 bpm afin de réduire le volume d’éjection systolique du ventricule gauche, ce qui permet de positionner la valve avec précision. L’implantation est habituellement réalisée sous contrôle d’une échocardiographie transœsophagienne qui permet de mesurer précisément la taille de l’anneau aortique, de vérifier le bon positionnement de la valve et de dépister et quantifier une éventuelle fuite paravalvulaire pouvant nécessiter une nouvelle dilatation.
Figure 3. Approche rétrograde.
Approche transapicale
(figure 4)
Cette technique nécessite une anesthésie générale. On pratique une courte thoracotomie antérolatérale gauche dans le 4e espace intercostal qui permet d’exposer l’apex du ventricule gauche à travers lequel on insère directement un introducteur hémostatique à travers deux bourses circulaires d’hémostase. Le cathéter à ballonnet et la valve sont positionnés au niveau de l’anneau aortique et la valve est déployée au cours d’une stimulation ventriculaire rapide à l’aide d’électrodes ventriculaires épicardiques ou d’une sonde endocavitaire introduite par voie fémorale. Le point d’entrée apical est ensuite suturé. De la même façon que par abord transfémoral, l’ETO per-procédure nous est apparue indispensable.
Figure 4. Approche transapicale.
Résultats obtenus à ce jour
Actuellement, plus de 500 valves de Cribier-Edwards ont été implantées dans le monde, 60 % par voie transfémorale et 40 % par voie transapicale. Les performances hémodynamiques de la prothèse sont excellentes avec une surface valvulaire à un an entre 1,7 et 1,9 cm2. Aucune dégénérescence de bioprothèse n’a été notée à ce jour.
Voie transfémorale : le taux de succès d’implantation dépasse les 90 % et s’améliore avec l’expérience de l’équipe. La mortalité observée à trente jours est de près de 10 % alors que les patients traités avaient un Euroscore prédisant un risque de mortalité opératoire de plus de 30 %.
Voie transapicale : on observe une mortalité de près de 12 % à trente jours et de 14 % au-delà des trente premiers jours.
Travaux en cours
Pendant la phase de mise au point de cette nouvelle technique, les modifications apportées à la valve percutanée et au système de largage ainsi que l’expérience croissante des utilisateurs ont conduit à l’amélioration des taux de succès, à la réduction de la durée des interventions et à la diminution des taux de complications. L’une des importantes modifications apportées au système est le « Flexcatheter » qui a déjà permis d’améliorer grandement le passage de tortuosités aortiques, de la crosse de l’aorte et le franchissement de la valve. Les nouvelles modifications sont actuellement centrées sur un aspect principal : diminuer le calibre du système d’implantation de la valve (figure 5). Avec cette diminution de calibre on pourrait envisager de refermer l’abord fémoral avec des dispositifs de fermeture fémorale percutanée.
D’autres dispositifs sont en cours de développement comme la bioprothèse autoexpansible (CoreValve) implantable également par voie percutanée qui donne également de bons résultats avec plus de 300 valves implantées à ce jour, mais dont nous n’avons pas l’expérience (figure 6).
Figure 5. Future génération en 2008 : meilleur profil, compatibilité 18F pour la valve 23 mm et 20F pour la valve de 26 mm.
Figure 6. CoreValve ReValvingTM System. Stent auto-expandable en nitinol. Valve en péricarde de porcin compatible 18F.
Expérience en France
Actuellement, les prothèses de Cribier-Edwards percutanées sont implantées par voie fémorale et transapicale dans trois centres français : Hôpital Charles Nicole – Rouen (Pr. A. Cribier, Pr. J.-P. Bessou), Hôpital Bichat – Paris (Pr. P. Nataf, Pr. A. Vahanian) et notre équipe à l’Institut Hospitalier Jacques Cartier à Massy dans le cadre du protocole Partner.
Les études complémentaires
Un suivi rigoureux à long terme de la cohorte initiale de patients est actuellement en cours afin de confirmer la durabilité et l’efficacité à long terme de la valve percutanée. Actuellement, la valve de Cribier-Edwards peut être utilisée en France dans le cadre de l’étude européenne Partner avec des critères d’inclusion et d’exclusion très stricts. Les patients doivent avoir un Euroscore prédisant une mortalité hospitalière avec la chirurgie classique > 20 % ou une contre-indication opératoire absolue.
En pratique
Étant donné l’intérêt majeur que présente cette avancée technique, les autorités de tutelle vont accroître très prochainement le nombre de centres où cette intervention pourra être réalisée ainsi que le nombre de patients pouvant faire l’objet d’une implantation dans le cadre d’un registre national. La décision nécessite un consensus médicochirugical, car la chirurgie de remplacement valvulaire traditionnel reste le traitement de référence.
L’implantation de valves aortiques par voie percutanée ou transapicale en est à la phase « pionnière ». Cela requiert un travail d’équipe optimal (chirurgien, anesthésiste, cardiologue interventionnel, cardiologue clinicien, échographiste) pour la sélection des patients, le choix de la voie d’abord, la réalisation de la procédure sur ces patients à risque extrême. En élargissant les possibilités thérapeutiques et en créant des « équipes valvulaires » multidisciplinaires, cette nouvelle technique a permis d’ores et déjà de compléter l’évaluation et la prise en charge des patients atteints de rétrécissement aortique.
Il est peu vraisemblable, du moins à moyen terme, que le remplacement valvulaire aortique percutané ou transapical devienne une alternative acceptable au traitement conventionnel chez les patients à faible risque chirurgical. Cependant, nous commençons à disposer d’une technique interventionnelle efficace qui permet de soulager les symptômes de patients vulnérables pour lesquels la chirurgie classique de remplacement valvulaire est contre-indiquée.
Bien que cette intervention émergente ne puisse pas encore prétendre influer sur le pronostic, une amélioration du statut fonctionnel peut être obtenue chez des patients qui avaient, jusque-là, peu à attendre de la médecine.
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