Thérapeutique
Publié le 14 déc 2010Lecture 6 min
Les futurs traitements en cardiologie - Vers des traitements plus ciblés
J.-S. HULOT, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris
Lorsque l’on aborde le sujet du développement des nouveaux médicaments pour les maladies cardiovasculaires, on entend souvent que la cardiologie a vécu ses années glorieuses et se trouve maintenant devant un avenir bien plus sombre. Il faut avouer que l’arsenal thérapeutique s’est fortement développé au cours des dernières décennies et des millions de patients reçoivent quotidiennement différents médicaments modifiant leurs facteurs de risque cardiovasculaire ou encore leur risque athérothrombotique : l’atorvastatine et le clopidogrel occupent respectivement les deux premières places des médicaments les plus vendus dans le monde durant les trois dernières années(1). L’attente placée dans l’innovation thérapeutique en cardiologie a donc proportionnellement augmenté. Parallèlement, le contexte réglementaire est plus contraignant et l’hypothèse d’un déclin progressif de l’innovation thérapeutique en cardiologie mérite d’être évoquée. Le désinvestissement récent de certains acteurs privés de la recherche cardiovasculaire pourrait témoigner dans ce sens(2).
Répondre à des besoins croissants
Pourtant, quand on y regarde de plus près, ce tableau « catastrophiste » résulte d’un constat assez simple : il est très probable que l’ère des progrès par la prescription systématique dans des populations larges, telle que nous l’avons connu depuis 20 ans, s’éteint progressivement. Cela signifie-t-il pour autant que nous devions prévoir un tarissement de l’innovation thérapeutique dans notre discipline ? Rien n’est moins sûr et pour s’en convaincre, il suffit d’observer trois éléments fondamentaux :
• Le besoin de traitements cardiovasculaires plus performants va s’accroître durant les deux prochaines décennies. En dépit des avancées thérapeutiques formidables dont nous avons déjà fait état, l’ensemble des projections épidémiologiques s’accorde pour montrer que les maladies cardiovasculaires vont rester la cause principale de mortalité et de morbidité avec un taux annuel de décès d’origine cardiovasculaire devant atteindre 24 millions de patients en 2030… Le vieillissement des populations, l’augmentation galopante de la prévalence du diabète et de l’obésité et l’augmentation du niveau de vie des pays émergents contribuent à épandre mondialement le risque cardiovasculaire.
• Contrairement à certaines idées reçues, la R&D (recherche et développement) en cardiologie reste aujourd’hui très active. En 2009, on recense 312 médicaments pour les maladies cardiovasculaires en phase de développement clinique (figure 1). L’arrivée en 2011 des premiers traitements remplaçant les antivitamines K (approuvés en 1954 !) en sont un autre exemple flagrant.
• Enfin, une proportion importante de patients n’atteint pas les objectifs thérapeutiques recommandés (pour de nombreuses maladies métaboliques telles que les dyslipidémies) ou encore présente un profil de résistance en dépit de traitements bien conduits et bien tolérés.
Figure 1. Médicaments pour les maladies cardiovasculaires en développement en 2009.
Les besoins sont donc là. Mais l’effort de recherche pour y répondre va probablement utiliser des chemins différents de ceux que nous avons connus jusqu’à présent.
Des médicaments plus « biologiques »
La principale évolution prévisible est l’intégration croissante du savoir biologique dans le développement des futurs médicaments. Cette « prévision » revêt plusieurs aspects.
Le premier touche à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques tirant parti de la description moléculaire des pathologies cardiovasculaires. La description du génome humain et les développements technologiques qui l’accompagnent représentent un outil extraordinaire d’identification de nouvelles cibles thérapeutiques. Il y a 30 ans, l’identification de mutations du récepteur au LDL chez des patients atteints d’hypercholestérolémie familiale permettait déjà de comprendre l’utilité de l’HMG-coA réductase et allait supporter le développement des statines. Aujourd’hui, l’accès à coût réduit à des techniques de couverture globale des polymorphismes génétiques (Genome-Wide Association Studies ou GWAS) ou encore maintenant à la lecture entière du génome (Next-Generation Sequencing) permet d’identifier les associations entre certaines régions du génome et de nombreuses pathologies ou facteurs de risque cardiovasculaires.
Même si toutes ces associations ne sont pas « causales », il est fort probable que ces études identifieront de nouvelles cibles thérapeutiques qui n’auraient probablement pas été suspectées sans le recours à ces technologies.
Le second touche à la validation des cibles thérapeutiques envisagées. La manipulation génétique de ces cibles chez l’animal entier ou dans un organe ciblé permet aujourd’hui de mieux appréhender le profil d’efficacité et de sécurité du médicament développé, avec la perspective d’obtenir des médicaments plus efficaces et plus sûrs.
Troisièmement, la description moléculaire de certaines maladies cardio-vasculaires ouvre aujourd’hui des perspectives de manipulation ciblée de certains acteurs pathologiques. Ceci va avoir des répercussions importantes en permettant des interventions thérapeutiques ciblées sur le myocarde. En effet, on sait aujourd’hui qu’en réponse à un stimulus pathologique, le cœur se remodèle, c’est-à-dire modifie son architecture, ce qui s’accompagne de nombreuses modifications moléculaires et cellulaires. Par exemple, dans l’insuffisance cardiaque, la restauration de l’expression de gènes clés du cycle calcique via des approches innovantes de thérapie génique arrive maintenant en phase III d’investigations cliniques.
Mais ceci ouvrira aussi la voie à de nouvelles interventions thérapeutiques qui vont cibler les événements plus précoces du remodelage myocardique, c’est-à-dire dans l’idéal avant même l’installation de dégâts myocardique irréversibles, voire même d’une dysfonction.
On peut citer ici en exemple la fibrillation auriculaire qui apparaît aujourd’hui comme l’expression ultime d’un long processus de remodelage du tissu atrial, donnant donc l’espoir de pouvoir prévenir sa survenue. On citera enfin les efforts importants menés dans le domaine de la médecine régénérative, recourant à des approches de thérapie cellulaire, pourvoyeuse de grands espoirs pour l’insuffisance cardiaque par exemple.
Une médecine plus personnalisée
Enfin, le savoir génomique ne permet pas seulement d’envisager l’identification de nouvelles cibles mais aussi (et peut-être surtout) de marqueurs de l’effet d’un médicament dans une population.
C’est tout l’enjeu de la médecine personnalisée qui cherche à mieux cibler les sous-groupes de patients qui pourraient bénéficier de certains traitements inutiles chez d’autres patients.
Nous avons d’ores et déjà eu plusieurs exemples en cardiologie avec le déterminisme génétique de la réponse au clopidogrel ou aux antivitamines K. La prochaine étape est l’intégration de ces informations au cours du processus du développement des médicaments. Le résultat sera la mise à disposition de médicaments qui bénéficieront à certains groupes de patients qui seront sélectionnés par un test diagnostique.
Utopique ? Probablement pas, et pour une simple raison. Alors que l’offre thérapeutique est actuellement intense, les stratégies thérapeutiques et les régimes posologiques sont étrangement simplifiés. Mais cette stratégie d’une dose unique pour tous les patients a ses limites et a pour conséquence d’enterrer de très nombreuses molécules qui « en moyenne » ne font pas mieux.
On estime qu’environ 11 % des médicaments entrant dans les phases de développement clinique auront un jour une autorisation de mise sur le marché(3).
Mais rien ne permet d’écarter la possibilité d’un effet thérapeutique très bénéfique des molécules abandonnées dans certains groupes sélectionnés de patients ! La personnalisation thérapeutique est donc aujourd’hui une façon de soutenir l’innovation thérapeutique et de limiter les abandons de molécules en cours de développement.
Ceci accompagne aussi l’émergence de tests biologiques réalisables au lit du patient (comme les tests de fonction plaquettaire, ces dernières années par exemple) et qui auront pour objectifs d’optimiser l’efficacité et de sécurité de la molécule concernée. Les exemples n’existent pas encore en cardiologie, mais il suffit de regarder chez nos collègues oncologues avec l’utilisation de chimiothérapie ciblée pour comprendre la direction qui sera suivie.
Encore de belles années à venir
Il est donc probable que nous vivons actuellement une période de mutation et que les futurs traitements en cardiologie vont se développer en recourant, d’une part, à des technologies innovantes, souvent plus biologiques et, d’autre part, en utilisant des approches scientifiques différentes.
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