Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 02 mar 2010Lecture 6 min
La fibrillation atriale : un facteur de risque à part entière ?
Dans une lecture demeurée célèbre et publiée dans le New England Journal of Medicine en 1997, E. Braunwald1 l’un des pères de la Cardiologie moderne, prophétisait l’émergence prochaine de deux nouvelles épidémies en médecine cardio-vasculaire : l’insuffisance cardiaque et la fibrillation atriale (FA), responsables l’une et l’autre d’une croissance exponentielle de la morbidité cardio-vasculaire, en particulier du nombre d’hospitalisations. Avec une incidence et une gravité qui augmentent parallèlement au vieillissement de la population, une prise en charge encore très perfectible et de lourds enjeux médico-économiques, la fibrillation atriale est à l’évidence un des défis majeurs de la médecine cardio-vasculaire pour le XXIe siècle. Comme prédit par E. Braunwald, son épidémiologie prend une allure épidémique. La prévalence de la FA estimée à 0,4 % de la population générale, augmente de façon exponentielle avec l’âge. Inférieure à 1 % chez les patients de moins de 60 ans, elle dépasse 6 % au-delà de 80 ans. 70 % des patients en FA ont entre 65 et 85 ans. Même après ajustement sur l’âge, l’incidence de la FA augmente de façon continue.
La FA : facteur de risque ?
Un facteur de risque est habituellement défini comme un facteur auquel l’exposition de l’individu augmente le risque de survenue d’un accident cardio-vasculaire alors qu’à l’inverse sa suppression ou son atténuation, le diminue. Cette définition implique un lien de causalité entre facteur de risque et maladie.
La FA est associée à trois risques principaux : l’accident thrombo-embolique, essentiellement l’AVC, l’insuffisance cardiaque, et le risque de décès. S’il est relativement aisé de démontrer un lien épidémiologique entre FA et risque de survenue de ces accidents cardio-vasculaires, il est plus difficile de démontrer que la suppression ou l’atténuation de la FA peut réduire ce risque. Apporter ces preuves constituera un objectif majeur du traitement de la FA qu’il soit pharmacologique ou non-pharmacologique, pour les prochaines années.
La FA : facteur de risque thrombo-embolique
En supprimant la contraction atriale, en ralentissant les flux de vidange dans l’oreillette en particulier l’auricule gauche, et en induisant un remodelage anatomique (dilatation atriale), la FA favorise stase, thrombose in-situ et risque embolique. Le principal point de départ des emboles est l’auricule gauche Exceptionnellement, une FA isolée (cœur sain) peut être la cause d’un accident thrombo-embolique. Le plus souvent, la FA est associée à d’autres facteurs de risque thrombo-embolique. Les plus significatifs sont utilisés dans les scores prédictifs dont le CHADS2 : insuffisance cardiaque, HTA, âge > 75 ans, diabète, antécédent d’AVC. En moyenne, le taux annuel d’accidents emboliques cérébraux chez les patients en FA est compris entre 3 et 8 %, selon les facteurs de risque associés. Il est 2 à 7 fois plus élevé que chez les patients indemnes de FA, appariés en âge et en sexe. Un accident vasculaire cérébral ischémique sur 6 survient dans un contexte de FA. Le risque embolique lié à la FA augmente avec l’âge, passant de 1,5 % chez les patients âgés de 50 à 59 ans, à 23,5 % pour les patients âgés de 80 à 89 ans2. Ainsi, le problème de la prévention se pose avec une acuité particulière chez les sujets âgés.
La suppression ou l’atténuation de la FA réduit-elle le risque thrombo-embolique ?
Il n’existe pas de preuve formelle que la restauration et le maintien du rythme sinusal ou une diminution de la charge en FA, réduisent significativement le risque thrombo-embolique chez les patients avec FA. Cette preuve ne pourra venir que d’essais dédiés étudiant l’effet d’un traitement médicamenteux (anti-arythmique) ou non-médicamenteux (ablation) de la FA sur le risque thrombo-embolique considéré comme objectif primaire. Dans l’attente, nous disposons d’arguments indirects et d’une présomption d’efficacité. C’est ainsi que dans l’étude ATHENA4, le risque d’AVC était réduit de 34 % (p = 0,027) dans le groupe dronedarone par rapport au groupe placebo. Dans l’état actuel des connaissances, ce possible effet bénéfique du contrôle du rythme ne saurait dispenser des traitements anti-thrombotiques propres, les antiagrégants plaquettaires chez les patients à bas risque et les anticoagulants oraux (antivitamine K ou bientôt, nouvelles anti-thrombines) chez les patients à risque élevé ou intermédiaire.
L’insuffisance cardiaque : FA cause ou conséquence ?
Il est clairement établi que la perte de la contraction atriale jointe à une cadence ventriculaire rapide et irrégulière, est un facteur majeur d’aggravation d’une insuffisance cardiaque pré-existante ou de décompensation d’une cardiopathie jusqu’alors bien compensée. Il reste encore à démontrer que la FA est un facteur pronostique indépendant dans l’insuffisance cardiaque chronique. Les données récentes basées sur des analyses planifiées ou post-hoc de grands essais cliniques sur l’insuffisance cardiaque, restent très divergentes. Il existe autant d’études à conclure que la FA est un facteur pronostique indépendant que d’études à conclure qu’elle n’est qu’un marqueur de progression de la maladie ou de cardiopathie évoluée5.
La suppression ou l’atténuation de la FA réduit-elle le risque d’insuffisance cardiaque ?
À côté des insuffisances cardiaques aggravées, la FA paroxystique ou permanente peut aussi créer par elle-même une dysfonction ventriculaire gauche (cardiomyopathie rythmique) et une insuffisance cardiaque sévère, susceptibles de régresser totalement ou partiellement après restauration d’un rythme sinusal stable ou d’un contrôle drastique de la fréquence cardiaque. Cela a pu être démontré après cure radicale de la FA par ablation endocavitaire6. Ce nouveau concept de régression ou de prévention de l’insuffisance cardiaque par traitement médicamenteux ou non-médicamenteux de la FA, doit maintenant être évalué avec rigueur, sur de larges populations non-sélectionnées.
La FA est un facteur de risque indépendant de mortalité
Après ajustement par l’âge, le taux de décès chez les patients en FA est environ le double de celui observé chez les patients en rythme sinusal2. La relation FA/risque létal est plus forte chez la femme que chez l’homme. Comme attendu, il existe un lien fort entre la surmortalité associée à la FA et l’existence ou la sévérité de la cardiopathie sous-jacente. L’étude AFFIRM 3 a confirmé que, quelles que soient les options thérapeutiques, le seul fait d’être en FA s’accompagnait d’une surmortalité.
La suppression ou l’atténuation de la FA réduit-elle le risque de mortalité ?
À l’inverse dans AFFIRM 3, le fait d’être en rythme sinusal à la fin de l’étude prédisait un meilleur pronostic avec une réduction du risque relatif de décès de 47 % (p < 0,0001). Mais la portée de cette observation doit être relativisée par le résultat globalement négatif de l’étude qui n’a pu démontrer de différence sur la mortalité entre deux stratégies de prise en charge de la FA, une stratégie de contrôle du rythme et une stratégie de contrôle de fréquence. Cela traduit possiblement un rapport risque/bénéfice défavorable des thérapies utilisées à l’époque d’AFFIRM pour le contrôle du rythme. Dans AFFIRM, l’emploi d’anti-arythmiques était associé à une augmentation relative de 49 % (p = 0,0005) du risque de mortalité. Les anti-arythmiques modernes semblent avoir un meilleur profil risque/bénéfice. Dans ATHENA4, une tendance favorable a été observée avec la dronedarone pour la mortalité totale (RRR: 16 % ; NS); la mortalité cardio-vasculaire étant significativement réduite (RRR : 29 % ; p = 0,03).
Risque global de morbi-mortalité
Les patients avec FA ont un risque de mortalité accru. Ils sont aussi plus souvent hospitalisés1-2. Après l’échec retentissant des essais de mortalité avec les anti-arythmiques dans le post-infarctus (années 90-2000), deux études récentes ont eu le courage de tester l’effet de nouveaux anti-arythmiques sur la morbi-mortalité de patients avec FA. DIAMOND HF7 a étudié les effets du dofetilide, anti-arythmique de classe III, chez des patients en insuffisance cardiaque et montré l’absence d’effet négatif sur la mortalité (HR : 0,95) et une réduction significative (RRR : 25 %) du risque d’hospitalisation pour aggravation de l’insuffisance cardiaque (critère secondaire). ATHENA4 a montré que la dronedarone réduisait de 24 % (p < 0,001) le risque combiné de décès ou d’hospitalisation pour cause cardio-vasculaire. Le risque d’hospitalisation était réduit de 26 %, avec un effet dominant sur les hospitalisations liées à la prise en charge de la FA ou à un syndrome coronaire aigu.
En pratique
La FA doit être considérée comme un facteur de risque à part entière même si la démonstration d’une diminution du risque après suppression nécessite d’être confortée.
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