Publié le 11 déc 2007Lecture 11 min
La cardiologie de l'extrême - Le cœur... aux sommets !
J.-P. RICHALET, Service de Physiologie, explorations fonctionnelles et médecine du sport, Hôpital Avicenne, AP-HP Université Paris 13
Les contraintes imposées par l’environnement de haute altitude sur le système cardiovasculaire, en partie l’hypoxie sévère, sont-elles compatibles avec un fonctionnement cardiovasculaire normal ? Nous verrons que le cœur sain se comporte parfaitement bien et nous aborderons le problème posé par le séjour de patients « cardiaques » en altitude(1).
La haute altitude est fréquentée non seulement par des alpinistes de haut niveau, mais également par une population de trekkeurs, randonneurs, touristes ou travailleurs, qui peut être plus âgée ou ayant une pathologie cardiovasculaire.
L’environnement de haute altitude
L’hypoxie
La pression atmosphérique diminue de façon exponentielle avec l’altitude, la composition de l’air restant invariable (20, 93 % d’O2) : la pression en O2 dans l’air inspiré diminue parallèlement à la pression atmosphérique. Elle est à la moitié de sa valeur du niveau de la mer à 5 200 m environ et au tiers au sommet de l’Everest (8 848 m). La pression artérielle en O2 au sommet de l’Everest est d’environ 30 mmHg au repos et certainement encore plus basse à l’effort.
Les autres paramètres de l’environnement
La montagne est également associée à d’autres facteurs stressants comme le froid, l’isolement et l’éloignement des structures médicales, la présence de dangers objectifs (avalanches, chutes de séracs, modifications rapides de la météo), le manque d’approvisionnement en nourriture, etc. Tous ces éléments se surajoutent à l’hypoxie et induisent des contraintes supplémentaires pour le système cardiovasculaire.
Variations de la fréquence cardiaque en fonction de l’altitude au repos et à l’exercice maximal, en hypoxie aiguë et en hypoxie chronique.
Les effets cardiovasculaires de l’altitude
En réponse à une exposition à l’hypoxie d’altitude, on note chez un sujet normal :
Une stimulation du système adrénergique : augmentation de la fréquence cardiaque (FC) et du débit cardiaque de repos et à l’exercice sous-maximal, augmentation de l’excitabilité et des indices de contractilité cardiaque, augmentation de la consommation d’O2 du myocarde pour un niveau absolu donné de puissance développée. Après quelques jours, à partir de 3 000 m, la FC maximale diminue (figure). Ce mécanisme est dû à une désensibilisation des bêtarécepteurs induite par l’activation adrénergique prolongée, via une baisse de l’activité des protéines Gs activatrices de l’adénylate cyclase(2). De plus, l’adénosine, puissant vasodilatateur coronarien, produit en excès en hypoxie, inhibe l’adénylate cyclase via les protéines Gi inhibitrices et limite la dépense énergétique myocardique en hypoxie. Le système parasympathique voit également son influence augmenter en hypoxie chronique, ce qui contribue à la baisse de la fréquence cardiaque maximale. Le débit cardiaque suit les mêmes variations que la FC, augmente en hypoxie aiguë, puis tend à se normaliser. Le débit cardiaque maximal est diminué.
Ces mécanismes limitent l’apport d’O2 en périphérie, mais protègent le cœur contre une demande énergétique trop forte. En effet, la FC étant un déterminant important de la consommation d’O2 du myocarde, une hypoxie sévère pourrait être incompatible avec la fourniture d’O2 nécessaire au myocarde pour produire une tachycardie intense. De fait, les indices de contractilité sont augmentés en raison de l’activation adrénergique. La fonction cardiaque systolique n’est jamais altérée sur un cœur sain, même à des altitudes très élevées(3).
Une baisse des performances physiques aérobies (O2max), accompagnée d’une désaturation artérielle à l’exercice. La O2max s’améliore très peu avec l’acclimatation.
Peu de modifications de pression artérielle systémique ; la pression systolique (PAS) peut cependant augmenter sensiblement chez certains sujets au début du séjour.
Une augmentation du débit coronaire. À des altitudes modérées (< 3 500 m), le débit coronaire augmente peu car l’extraction d’O2 par le myocarde augmente légèrement du fait du déplacement à droite de la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine. Pour une altitude plus élevée, surtout à l’exercice, le débit coronaire augmente, l’extraction étant maximale. Il ne faut pas oublier que l’exercice musculaire, à altitude constante, s’accompagne d’une baisse de SaO2 : à 4 800m, la SaO2 au repos est de l’ordre de 85 %, à l’exercice, la SaO2 peut baisser jusqu’à 75 %, voire 70 % chez certains sujets, ce qui correspondrait à une altitude de repos de 6 000 m !
Une vasoconstriction pulmonaire hypoxique entraîne une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), qui se majore à l’exercice, en position allongée ou chez certains sujets sensibles qui seront ainsi exposés au développement d’un œdème pulmonaire de haute altitude. Le cœur n’est pas en cause dans la physiopathologie de cet œdème, dont les deux éléments principaux sont l’HTAP et l’augmentation de la perméabilité capillaire(1,4).
Quels risques en altitude pour le patient cardiaque ?
Sur un plan théorique, il est possible d’énoncer les principes suivants :
- toute pathologie aggravée par une activation du système adrénergique sera plus à risque en altitude,
- toute pathologie associant une HTAP sera plus à risque en altitude,
- toute pathologie déjà associée à une hypoxémie au niveau de la mer sera aggravée en altitude,
- à niveau absolu d’exercice égal, la FC, donc la demande énergétique du myocarde augmente en altitude. C’est le surcroît de travail cardiaque induit par l’activation adrénergique et non l’hypoxie elle-même qui peut exacerber une symptomatologie angineuse,
- certains patients hypertendus peuvent présenter des poussées hypertensives au début d’un séjour en altitude.
Peu d’études ont évalué de façon objective le risque cardiaque en altitude. Des observations relatent l’histoire de patients opérés d’un pontage ou ayant bénéficié d’une angioplastie et qui ont pratiqué sans problème le trekking à des altitudes modérées (< 3 500 m)(5), ou plus élevées (Kilimandjaro, 5 895 m)(6).
Dans un groupe de 1 273 patients porteurs de pathologies cardiaques diverses (parmi lesquels 141 avaient déjà fait un infarctus), un seul a souffert d’un nouvel infarctus lors d’un séjour entre 1 500 et 3 000 m(7). Chez 149 skieurs étudiés par télémétrie entre 2 500 et 3 400 m (Colorado), l’incidence de variations anormales du segment ST était de 5,6 % chez les sujets de plus de 40 ans(8). Ainsi, malgré le stress lié au froid, à l’altitude et à l’activité physique intense, l’incidence de signes d’ischémie à l’ECG n’était pas plus importante que chez des hommes asymptomatiques du même âge au niveau de la mer. Le surcoût de travail cardiaque induit par une exposition aiguë à l’altitude peut exacerber une symptomatologie angineuse.
Chez 9 coronariens étudiés sur tapis roulant à 1 600 m et 3 100 m, les signes d’ischémie cliniques ou électriques surviennent pour un même double produit FC x PAS, mais pour une charge de travail inférieure en altitude. L’effet de l’altitude se fait par l’augmentation du travail cardiaque et non par la baisse de l’apport d’O2 au myocarde(9). Certains patients hypertendus présentent des poussées hypertensives (PAS : +15 mmHg et PAD : + 5 mmHg) au début d’un séjour en altitude(10). Cependant, chez 935 patients hypertendus séjournant entre 1 500 et 3 000 m, aucun accident vasculaire cérébral ni insuffisance cardiaque n’ont été relevés. De plus, leur PAS et PAD baissent progressivement et cette amélioration se poursuit 3 à 8 mois après le retour en plaine(7).
En conclusion de leur expérience de 30 ans en Autriche et en Suisse, Halhuber et coll. estiment que les accidents divers survenus sur des patients cardiaques de tout type sont généralement causés par des facteurs autres que l’altitude : température ambiante, stress physique ou psychique inhabituel, médicaments ; pour les patients hypertendus, l’altitude est bénéfique(7).
Évaluation du cardiaque avant un séjour en altitude
Quels tests peuvent compléter l’évaluation clinique d’un patient cardiaque désireux de se rendre en altitude ?
Tests cardiovasculaires classiques
L’ECG de repos ou d’effort n’apporte aucun élément spécifique pour la pratique d’un sport en altitude. L’ECG d’effort permettra cependant, dans certains cas, de poser une contre-indication au séjour en altitude (voir plus loin). La mesure de la VO2max n’apportera pas non plus d’indication sur la tolérance à l’altitude.
Test à l’hypoxie
Ce test est utilisé pour évaluer le facteur de risque lié à une faible chémosensibilité à l’hypoxie exposant au mal aigu des montagnes (MAM) et surtout à ses complications graves (œdème pulmonaire et cérébral)(1). Il consiste à faire un exercice modéré (30 % O2max, 4 min) en normoxie et en hypoxie (altitude simulée de 4 800 m). Des modifications de l’ECG à l’exercice induites par l’hypoxie, à FC égale, pourront être détectées au cours de cette épreuve.
Conseils au cardiaque se rendant en altitude
La conduite à tenir devant une personne qui consulte avant un séjour en altitude doit tenir compte des éléments suivants : l’altitude envisagée, le dénivelé journalier, l’engagement physique (marche, alpinisme, ski), la nature du terrain (plat, raide, sentier, neige), la proximité d’une structure de soins, les facilités d’appel au secours, la présence d’un médecin dans le groupe.
Maladie coronarienne
Si le sujet est asymptomatique et n’a aucun facteur de risque cardiovasculaire, quel que soit son âge, il n’existe pas d’argument pour des investigations complémentaires, hormis un test à l’hypoxie, pour évaluer non pas un risque cardiovasculaire mais un risque lié au MAM.
Si le sujet est asymptomatique mais possède des risques cardiovasculaires (antécédents, obésité, HTA, hypercholestérolémie, sédentarité...), un ECG d’effort peut être proposé si l’altitude prévue dépasse 3 500 m. S’il est négatif, le séjour n’est pas contre-indiqué.
Si le sujet est un coronarien connu, stabilisé, traité, les indications peuvent varier selon le degré d’entraînement physique du sujet et son objectif :
– s’il est symptomatique, il faudra le prévenir que les signes apparaîtront pour des exercices de plus en plus faibles au fur et à mesure qu’il montera en altitude : il devra limiter son effort d’autant. Une altitude plafond de 2 500 m semble raisonnable ;
– s’il est asymptomatique, et si l’ECG d’effort est négatif, des conseils de prudence seront donnés, en particulier une limitation de la FC monitorée par un cardiofréquencemètre peut être proposée, mais il n’existe aucun argument pour lui imposer une altitude plafond. La limite sera liée au degré d’entraînement, de motivation et de compétence technique du sujet. Ainsi, un patient ayant bénéficié avec succès d’une angioplastie et présentant, 6 mois plus tard, une épreuve d’effort négative ainsi qu’une activité physique régulière et une passion certaine pour la montagne, ne doit pas être empêché de profiter des instants de bonheur que peuvent procurer la randonnée ou le trekking.
Autres pathologies cardiaques
Il n’existe pas d’études exhaustives sur chaque pathologie cardiaque et son éventuelle aggravation en altitude. Le médecin devra utiliser son bon sens et sa connaissance de la physiopathologie de chaque affection. Ainsi, on peut proposer des contre-indications absolues à un séjour au-delà de 2 500 m environ :
- insuffisance cardiaque,
- troubles du rythme sévères,
- cardiopathies congénitales ou acquises s’accompagnant d’une surcharge ventriculaire droite et/ou d’un shunt droit-gauche,
- hypertension artérielle pulmonaire, quel que soit le type ou l’origine,
- toute pathologie cardiaque sévère, invalidante, non équilibrée.
Si un feu vert est donné, ou si le patient passe outre les réticences du médecin, il devra dans tous les cas prendre soin de ne pas dépasser ses limites pour ne pas se mettre en danger mais également des personnes du groupe amenées à le prendre en charge. Il devra prévoir les médicaments dont il aura besoin et discuter éventuellement d’une modification du traitement habituel. Le candidat à l’aventure doit également savoir qu’en montagne, les conditions météorologiques peuvent changer très vite, ce qui peut transformer une petite randonnée facile et ensoleillée en raid épuisant sous la neige et le vent, à court de provisions.
Médicaments à visée cardiovasculaire et altitude
Y a-t-il une interférence entre l’hypoxémie et le métabolisme ou l’efficacité de certains médicaments ? En particulier, le problème de l’utilisation des bêtabloquants en altitude se pose. Soit l’équation du transport de l’O2 dans le sang :
VO2 = FC.VES. (CaO2-CvO2).
Lors d’un exercice au niveau de la mer, l’organisme dispose de 3 degrés de liberté pour augmenter :
- augmenter FC,
- augmenter VES par la contractilité,
- diminuer CvO2 en augmentant l’extraction en périphérie.
Chez des patients traités par bêtabloquant, les capacités physiques aérobies sont peu altérées par le traitement au niveau de la mer car un seul degré de liberté est limité, la FC : le sujet peut compenser par un meilleur remplissage et une plus grande différence artério-veineuse. Chez des patients traités par bêtabloquant en altitude, deux degrés de liberté sont limités : la FC et la différence artério-veineuse car le Ca O2 est déjà diminué et ne peut baisser davantage. Le sujet sera donc très rapidement limité physiquement. Si la pathologie du patient le permet, il sera bénéfique de lui proposer une thérapeutique alternative, par exemple des bloqueurs calciques ou des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC). Les bloqueurs calciques ont l’avantage de protéger éventuellement contre la survenue d’un œdème pulmonaire de haute altitude(4). Chez des sujets s’acclimatant bien à la haute altitude, les IEC se justifient moins car l’altitude en elle-même induit une inhibition du système rénine-angiotensine-aldostérone. On peut également conserver les bêtabloquants en prenant comme parti de limiter sévèrement le travail cardiaque pour protéger le patient coronarien.
Le mal aigu des montagnes
Il ne faut pas oublier que la manifestation la plus fréquente en haute altitude ne sera pas d’ordre cardiaque mais simplement liée à une acclimatation incomplète. Les symptômes du mal aigu des montagnes peuvent survenir dans les premiers jours, surtout si la montée en altitude a été trop rapide. Si ces manifestations (céphalées, nausées, anorexie, insomnie) peuvent gâcher les vacances, elles mettent exceptionnellement la vie en danger, sauf dans les cas rares d’œdème pulmonaire ou cérébral de haute altitude. La prévention sera basée sur des règles simples de progression en altitude :
- au début du séjour, à partir de 3 000 m, ne pas dépasser, en moyenne, 400 m de dénivelé entre deux nuits consécutives. Il faut laisser le temps à l’organisme de développer ses mécanismes d’acclimatation ;
- en cas de montée rapide « obligatoire » (arrivée en avion à La Paz, Leh ou Lhassa, ascension du Kilimandjaro, etc.), l’acétazolamide sera prescrit dès la veille de l’arrivée en altitude (2 fois 125 mg/j) jusqu’au jour où le point le plus haut sera atteint. L’acétazolamide est efficace par son effet stimulant sur la ventilation. Son effet diurétique contraindra à la prudence chez des patients qui sont déjà sous diurétiques ;
- si une manifestation grave survient en altitude, le seul réflexe à avoir est de redescendre le plus vite possible ;
- l’utilisation d’un caisson hyperbare portable (par séquences d’une heure) pour simuler une descente rapide, permet de soulager le patient qui déclenche un œdème pulmonaire et cérébral, mais ne l’exonèrera pas de la descente ;
on associera des corticoïdes injectables et dans le cas de l’œdème pulmonaire, un bloqueur calcique (nifédipine) ou un inhibiteur de la PDE5 (sildénafil) pour abaisser rapidement la pression artérielle pulmonaire.
En conclusion
Le cœur normal s’adapte parfaitement bien à une hypoxie, même très sévère. Par ailleurs, l’altitude ne doit plus être systématiquement considérée comme un danger pour le patient cardiaque, le cœur possédant des mécanismes très efficaces d’adaptation à l’hypoxie. Même si des contre-indications absolues existent, la décision devra être prise en fonction du cas de chaque patient et de l’objectif envisagé.
Pour en savoir plus : Brochure d’information « Santé et altitude », 5e éd, ARPE éditeur (Tél. : 0148387757)
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