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Thrombose

Publié le 06 déc 2005Lecture 6 min

Le risque embolique du flutter : conséquences pour la pratique

L. GUEDON-MOREAU, D. LACROIX et S. KACET, CHRU de Lille

Les recommandations des sociétés savantes sur l’indication du traitement antithrombotique du flutter atrial apparaissent peu détaillées et sont créditées du plus bas niveau de preuves, à savoir le niveau C. Ce niveau de preuves correspond à un consensus d’experts, en l’absence de fondement possible au mieux sur des essais cliniques randomisés (niveau A de preuves) ou même sur des essais plus limités ou des registres (niveau B de preuves).
Si la littérature scientifique regorge de données sur le risque thromboembolique de la fibrillation auriculaire, il n’en va pas de même pour le flutter. La raison principale en est la faible incidence du flutter, cent fois plus faible que celle de la fibrillation auriculaire.

Flutter atrial. Peu de données homogènes La faible incidence du flutter, comparativement à celle de la FA (figure), explique le fait que les études cliniques publiées sur le sujet sont souvent entachées d’une méthodologie peu rigoureuse, rendant les conclusions discutables. Les effectifs de patients sont trop faibles, les données cumulées mélangent fibrillation auriculaire, flutter atrial, tachycardie atriale focale ; des biais de recrutements sélectionnent des populations à très faible ou au contraire à très haut risque thromboembolique. Ou encore, le traitement anticoagulant est variable, le recul est insuffisant dans le suivi des patients… Figure. Incidence de la fibrillation auriculaire (A) et du flutter atrial (B) sur une population de 1 000 patients/année. À ces difficultés vient se rajouter l’évolution des pratiques dans la prise en charge du flutter auriculaire. Ce trouble du rythme pris isolément ne constitue plus comme avant une maladie chronique, faite d’accès paroxystiques ou persistants que l’on pouvait plus ou moins bien prévenir par un traitement antiarythmique. Il se présente de nos jours comme une maladie aiguë, dont on peut guérir définitivement grâce à l’ablation par radiofréquence. Cette déviation, par la thérapeutique, de l’histoire naturelle du flutter atrial est venue certainement modifier, dans un sens ou dans un autre, son risque thromboembolique. Elle rend obsolètes les données des études épidémiologiques anciennes.   Risque thromboembolique du flutter   Stase sanguine et coagulation La stase sanguine et les paramètres de la coagulation, facteurs intervenant au premier plan dans le risque thomboembolique du flutter, ont été finement étudiés. Les marqueurs de l’hémostase relatifs au degré d’activation plaquettaire à l’activité de la thrombine (dont le rôle est de transformer le fibrinogène soluble en fibrine soluble, qui sera elle-même transformée en fibrine insoluble pour former un thrombus) et à l’activité fibrinolytique n’apparaissent pas anormaux chez les patients en flutter. En revanche, on a pu constater une activation de la coagulation et de la fibrinolyse au cours de la première semaine suivant la cardioversion (en particulier par radiofréquence) du flutter en rythme sinusal. L’auricule gauche, en raison de la surface trabéculaire de son endothélium (beaucoup moins lisse que celle de l’oreillette gauche) et de sa situation constituant un cul de sac, est propice au développement des thrombi. L’échocardiographie par voie transœsophagienne permet d’apprécier les vélocités du flux sanguin dans l’auricule et la fraction d’éjection de l’auricule. Autant ces paramètres apparaissent comme souvent altérés chez les patients en fibrillation auriculaire, autant ils sont plus disparates, et souvent comparables à ceux des patients en rythme sinusal, chez les patients en flutter isolé, qui conservent une systole auriculaire. En revanche, la cardioversion du flutter en rythme sinusal, qu’elle soit spontanée, électrique, par stimulation overdrive ou par radiofréquence, est suivie d’une sidération ou « stunning » de l’oreillette, laissant apparaître des phénomènes de contraste spontané, témoins de la stase sanguine. Ce stunning disparaît progressivement au cours des six semaines suivant la cardioversion.   Thrombus intraauriculaire Ces données fondamentales de physiopathologie aboutissent bien à la formation de thrombus, comme l’a montré l’échographie transœsophagienne. Ainsi, la prévalence d’un thrombus intracardiaque se situe chez les patients en flutter atrial entre 2,6 et 27 %. Cette fourchette plutôt large tient à l’observance ou non d’un traitement anticoagulant, à l’association ou non au flutter d’une fibrillation auriculaire, à la plus ou moins grande performance des techniques d’échographie utilisées, au plus ou moins grand nombre de facteurs de risque thrombo-embolique associés au flutter.   Accidents thromboemboliques Fort heureusement, tous ces thrombi ne migrent pas et ne génèrent pas obligatoirement d’accident embolique, en tous cas cliniquement décelable. Le risque embolique annuel du flutter est estimé entre 1,6 et 3,2 % chez les patients non ou peu anticoagulés. Comme dans la fibrillation auriculaire, ce risque dépend de facteurs associés tels que l’hypertension artérielle, le diabète, une cardiopathie. La période postcardioversion constitue une situation à risque majoré comme l’ont laissé présager les études fondamentales. Ce risque est difficile à chiffrer précisément en cas d’absence ou d’inefficacité du traitement anticoagulant : il est compris entre 1 et 13 % et existe quelle que soit la méthode de cardioversion. En revanche, toutes les études sont concordantes pour conclure que le risque embolique est quasi nul quand l’anticoagulation est efficace. Le risque embolique du flutter ne doit donc pas être ignoré ni minimisé. Cela est d’autant plus vrai que l’évolution naturelle du flutter se fait souvent vers la fibrillation auriculaire (dans environ 40 % des cas à 5 ans), l’hypertension artérielle venant favoriser cette évolution péjorative. Par ailleurs, le flutter constitue parfois d’emblée une complication iatrogène, de la fibrillation auriculaire due aux antiarythmiques de classe I.   Conséquences pour la pratique La réalité du risque thromboembolique engendré par le flutter a conduit à adopter pour le traitement anticoagulant les mêmes modalités que celles appliquées dans la fibrillation auriculaire. Ces recommandations reposent sur un consensus d’experts, car on ne dispose pas de preuves aussi robustes du bien-fondé de ces recommandations que dans la fibrillation auriculaire.   Traitement anticoagulant en dehors de la cardioversion Avant l’éradication du flutter ou lorsque le flutter est associé à de la fibrillation auriculaire, l’indication du traitement antithrombotique tient compte de l’association au trouble du rythme de facteurs de risque thromboembolique : âge avancé, hypertension artérielle, diabète, antécédent d’accident ischémique cérébral (transitoire ou constitué), cardiopathie. Les modalités du traitement ont été précisées dans les recommandations émises par l’American College of Chest Physicians, d’une part (tableau 1), et par l’American College of Cardiology, l’American Heart Association et l’European Society of Cardiology, d’autre part (tableau 2). Ces recommandations sont en accord pour les patients à faible risque et les patients à haut risque. Elles diffèrent légèrement pour les patients à risque intermédiaire. Plus récemment une stratification du risque selon le score de CHADS2 a été proposée (tableau 3) : • un score = 0 autorisera le recours à un antiagrégant plaquettaire par aspirine, • un score Ž 2 nécessitera la prescription d’un anticoagulant, • le score = 1 est encore en évaluation pour la détermination de l’option thérapeutique. Après l’éradication d’un flutter, en l’absence de fibrillation auriculaire associée, le traitement anticoagulant n’est en théorie plus indiqué. Cependant il est impératif de dépister au cours du suivi, à l’aide de l’interrogatoire, de l’examen clinique, de l’ECG, voire du Holter, l’éventuelle apparition secondaire d’une fibrillation auriculaire. Le dépistage mérite d’être réalisé chez tous les patients et plus particulièrement chez les hypertendus. Cette évolution doit bien évidemment faire reconsidérer l’indication d’un traitement antithrombotique.   Traitement anticoagulant entourant la cardioversion Là encore, le flutter est assimilé à la fibrillation auriculaire pour le traitement antithrombotique. Toute cardioversion d’un flutter, qu’elle soit électrique, pharmacologique, ou par radiofréquence, doit être réalisée sous couvert d’un traitement anticoagulant si le trouble du rythme dure depuis plus de 48 heures ou si une échocardiographie par voie transœsophagienne n’a pas écarté la présence d’un thrombus intracardiaque. Ce traitement anticoagulant doit être efficace (INR entre 2 et 3) tout au long des trois semaines précédant la cardioversion. Le cas de la cardioversion lors de l’ablation par radiofréquence mérite quelques commentaires. Étant donné le risque généré par la ponction vasculaire, les anticoagulants oraux doivent être interrompus quelques jours avant l’ablation. Théoriquement, il faudrait instituer un relais par héparine non fractionnée (TCA entre 1,5 et 3 fois le témoin selon le réactif utilisé), interrompue quelques heures avant l’ablation, et reprise après l’ablation en même temps que le traitement anticoagulant oral dans l’attente d’un INR efficace. Cependant l’expérience au quotidien montre que le relais anticoagulant oral-héparine est scabreux et conduit à un nombre très important de patients soit trop anticoagulés, alors à risque hémorragique, soit pas assez. Cette conduite du traitement antithrombotique pourrait être réservée aux patients à très haut risque thromboembolique. On pourrait proposer aux autres patients l’arrêt des anticoagulants oraux quelques jours avant l’ablation (suivant la demi-vie de la molécule utilisée) sans relais par de l’héparine, l’injection intraveineuse d’une petite dose d’héparine une fois les cathéters d’ablation mis en place et la reprise du traitement anticoagulant oral quelques heures après la procédure.   En pratique   Le flutter atrial est maintenant assimilé à la fibrillation auriculaire pour ce qui est de la prévention du risque thromboembolique. La prévention de ce risque repose sur un traitement antithrombotique par aspirine ou plus souvent par anticoagulant. La gestion de ce traitement anticoagulant à l’occasion des cardioversions reste délicate, méritant une attention particulière.

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