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Coronaires

Publié le 25 sep 2007Lecture 11 min

Maladie coronaire et infection HIV

F. BOCCARA, C. MEULEMAN, S. JANOWER, S. EDERHY, S. LANG, F. RAOUX et A. COHEN, Service de cardiologie, hôpital Saint-Antoine, Paris

Depuis l’avènement en 1996 d’un traitement antirétroviral efficace (composé le plus souvent par une combinaison de deux analogues nucléosidiques de la transcriptase inverse et une antiprotéase ou un non-analogue de la transcriptase inverse), la morbimortalité liée à l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a été réduite de façon spectaculaire dans les pays industrialisés. À l’ère du traitement antirétroviral efficace (HAART, Highly Active Anti Retroviral Therapy) de nombreux effets secondaires sont apparus en particulier des désordres métaboliques (dyslipidémie, insulinorésistance, lipodystrophie) associés à la survenue de complications cardiovasculaires aiguës au sein d’une population âgée de moins de 50 ans. En plus de 20 ans d’infection par le VIH, nous sommes passés de complications cardiovasculaires liées à l’immunodépression (avant 1996) à des complications liées au vieillissement de cette population associées aux complications métaboliques du traitement antirétroviral (après 1996) dans les pays industrialisés.

Depuis l’apparition du traitement antirétroviral efficace, le spectre de l’atteinte cardiologique au cours de l’infection par le VIH a été modifié. Il s’agit maintenant de faire face aux complications liées au traitement antirétroviral, en particulier l’accélération de l’athérosclérose (maladie coronaire, artériopathie des membres inférieurs, accident vasculaire cérébral) liée aux syndromes d’insulinorésistance et de lipodystrophie. C’est ainsi que la prévalence des myocardites, endocardites et péricardites est en nette régression (tableau 1). La prévalence de l’hypertension artérielle pulmonaire semble stable (0,5 %). Enfin, la toxicité cardiovasculaire directe du traitement antirétroviral, en particulier des analogues nucléosidiques (toxicité mitochondriale : atteinte myocardique et musculaire périphérique), reste à évaluer. Maladie coronaire   Épidémiologie De nombreuses études rétrospectives et prospectives ont rapporté un nombre croissant d’infarctus du myocarde (IDM) chez des patients jeunes (< 50 ans) infectés par le VIH et traités par antirétroviraux (tableau 2). D’après les études les plus récentes, il semble que l’incidence de l’IDM dans la population infectée par le VIH est supérieure à celle de la population générale du même âge, en particulier chez les patients traités par antirétroviraux (ce qui concerne plus de 80 % des patients infectés par le VIH), d’autant plus que le traitement comporte une antiprotéase (près de 50 % des sujets traités). La durée d’exposition au traitement antirétroviral, en particulier aux antiprotéases, semble le facteur principal de risque de présenter un IDM. L’étude internationale prospective DAD (Data collection on Adverse events of anti-HIV Drugs) mise à jour récemment a évalué, au sein d’une cohorte de plus de 23 000 patients infectés par le VIH le nombre d’IDM au cours d’une période de suivi de 6 ans. DAD montre que toute année d’exposition supplémentaire au traitement antirétroviral augmente le risque d’IDM de 16 % (RR = 1,16 ; IC 95 % : 1,10-1,23) après ajustement sur les facteurs de risque traditionnels d’IDM. Si l’on ajuste encore sur les paramètres lipidiques, ce risque diminue à 10 % par année supplémentaire et reste significatif (RR = 1,10 ; IC 95 % : 1,04-1,18) soulignant l’impact probable direct du traitement par antiprotéases. L’étude française rapportée par Mary-Krause et al. décrit l’incidence des IDM dans une cohorte de 19 000 patients sous traitement antirétroviral comportant une antiprotéase : 54 patients ont présenté un IDM. La cohorte a été divisée en trois groupes en fonction de la durée du traitement par antiprotéase : - < 18 mois (groupe 1), 23 IDM ; - de 18 à 29 mois (groupe 2), 18 IDM ; - > 30 mois (groupe 3), 13 IDM. L’incidence est de 0,89, 1,92 et de 3,47 pour 1 000 patients-années respectivement. Les auteurs montrent qu’il existe une augmentation de l’incidence des IDM dans cette population de patients infectés par le VIH sous antiprotéase, avec un risque relatif multiplié par 1,7 pour le groupe 2 (IC 95% : 1,0-2,7) et par 3,1 pour le groupe 3 (IC 95: 2,0-6,3) comparativement au groupe 1. Cette augmentation d’incidence est donc corrélée à la durée d’exposition aux antiprotéases. L’étude SMART (Strategies for the Management of Anti-Retroviral Therapy) parue récemment vient compliquer les choses. Cette étude compare deux attitudes thérapeutiques chez le sujet infecté par le VIH sous antirétroviraux : soit un traitement antirétroviral continu ayant comme objectif une charge virale indétectable, soit un traitement discontinu (« vacances thérapeutiques »). L’étude a été arrêtée avant sa fin prévue en raison d’un nombre significativement plus élevé d’événements cardiovasculaires (ischémiques et autres), rénaux et hépatiques dans le groupe traitement discontinu, ce qui souligne le rôle probable de l’immunité dans la genèse des événements athérothrombotiques.   Caractéristiques de l’atteinte coronaire Les caractéristiques cliniques et angiographiques du syndrome coronaire aigu (SCA) chez le sujet infecté par le VIH semblent identiques à celles du patient non infecté, mais la maladie survient en moyenne 10 ans avant (vers 45-50 ans). Cela rend difficile les études comparatives car les patients non infectés présentant un SCA âgés de moins de 45 ans sont peu fréquents (moins de 5 % des SCA). Peu d’études ont évalué les aspects cliniques et angiographiques des patients infectés par le VIH avec un SCA, il s’agit le plus souvent d’études nord-américaines ayant inclus peu de patients, de 20 à 68 sujets. Il semble, dans ces séries à faible effectif, que l’atteinte coronaire en termes de nombre de vaisseaux atteints, d’extension de la maladie coronaire et de sévérité de l’atteinte soit identique dans les deux populations, avec une prévalence plus importante de l’atteinte monotronculaire, ce qui est habituel chez les patients coronariens de moins de 45 ans. Tout cela doit être confirmé par des études prospectives comparatives, incluant un grand nombre de patients. D’un point de vue pratique, il n’y a pas de contre-indication à utiliser la thrombolyse et/ou l’angioplastie coronaire avec mise en place d’un stent dans la population infectée par le VIH atteint de SCA.   Expérience de l’hôpital Saint-Antoine Dans le service de cardiologie de l’hôpital Saint-Antoine, nous avons rapporté 20 patients infectés par le VIH, ayant présenté un SCA entre 1996 et 2002 (âge moyen 44 ± 8 ans). Ces patients ressemblent aux autres cohortes publiées. Ils étaient infectés par le VIH depuis 9 ± 4 ans en moyenne et ont présenté un SCA (18 IDM et deux angors instables). Les facteurs de risque les plus fréquemment rencontrés sont la consommation tabagique (80 %) et la dyslipidémie (65 %). Ces patients avaient un bilan immunovirologique satisfaisant avec un taux de CD4 à 387 ± 180/mm3 et une charge virale moyenne à 8 000 ± 23 000 copies/ml. Quatorze d’entre eux (70 %) recevaient un traitement antirétroviral comprenant une antiprotéase, avec une durée moyenne de traitement de 19 ± 13 mois. Cinq patients ont été traités par thrombolyse et trois ont bénéficié d’une angioplastie primaire en raison du délai tardif d’admission après le début des symptômes, lié le plus souvent à une sous-estimation des symptômes chez les patients jeunes (> 10 heures). Une seule étude a montré que l’incidence de l’ischémie myocardique silencieuse (positivité de l’épreuve d’effort) chez 100 sujets infectés par le VIH était de 11 % et prédite de façon indépendante par l’âge, l’accumulation de graisse au niveau abdominal et l’hypercholestérolémie.   Facteurs de risque cardiovasculaire spécifiques ? Bergegsen et al. ont montré que les patients infectés par le VIH ont un risque de maladie coronaire plus élevé que la population générale avec un score de risque de Framingham à 10 ans supérieur à 20 %, deux fois plus élevé que dans la population non infectée. Neumann et et al, dans une cohorte de 309 patients infectés par le VIH, ont montré que le risque d’événement cardiovasculaire était principalement lié à la durée d’infection par le VIH. La probabilité à 10 ans de présenter un événement cardiovasculaire était plus importante parmi les sujets âgés de plus de 50 ans (médiane de risque de 20,5 %) que parmi les plus jeunes (18-30 ans) (médiane de risque de 1,9 % ; p < 0,01). On peut donc en conclure qu’une augmentation de l’espérance de vie des patients infectés par le VIH liée au traitement antirétroviral plus efficace augmentera de façon significative le risque d’événement cardiovasculaire dans cette population. L’étude française APROCO (menée sur 32 centres) a comparé la distribution des facteurs de risque cardiovasculaire dans une population de 227 hommes infectés par le VIH (35 à 44 ans) sous traitement antirétroviral incluant une antiprotéase à celle de 527 hommes non infectés par le VIH de l’étude MONICA (multinational MONItoring of trends and determinants in CArdiovascular disease). Les patients infectés par le VIH ont une prévalence plus faible d’hypertension artérielle, un taux de HDL-cholestérol plasmatique plus faible et, à l’inverse, une prévalence plus importante de tabagisme, une augmentation du rapport taille/hanche et une augmentation du taux de triglycérides plasmatiques par rapport à la population non VIH. Il n’y avait pas de différence en ce qui concerne les taux plasmatique de LDL cholestérol, de cholestérol total, de même que la prévalence du diabète. Le risque prédit d’événement cardiovasculaire était plus important chez l’homme et la femme infectés par le VIH comparés à des sujets non infectés (RR = 1,20 chez l’homme et RR = 1,59 chez la femme).   Physiopathologie Plusieurs hypothèses physiopathologiques ont été soulevées en ce qui concerne l’accélération de l’athérosclérose coronaire chez les patients infectés par le VIH sous traitement antirétroviral. Plusieurs facteurs peuvent augmenter ce risque : – la présence d’une dyslipidémie a été rapportée chez plus de 50 % des patients infectés par le VIH et traités par antirétroviraux ; – un diabète chez 5 à 10 % ; – un syndrome de lipodystrophie dans 50 % des cas (anomalie de répartition des graisses) pouvant associer une lipoatrophie des extrémités (membres supérieurs et membres inférieurs, visage) ; – et, enfin, une hypertrophie abdominale. La dyslipidémie associe le plus souvent une hypo-HDLémie, une augmentation des triglycérides et une augmentation des particules petites et denses de LDL-cholestérol avec une efficacité moindre des statines chez ces patients. L’inflammation et l’infection chronique par le VIH avec une augmentation de la production des cytokines inflammatoires (TNF-alpha, interleukine 1, interleukine 6, interleukine 10), la dysfonction endothéliale secondaire à la dyslipidémie, à l’insulinorésistance, l’augmentation du stress oxydatif, la présence de molécules d’adhésion cellulaire, un état prothrombotique lié à l’infection par le VIH et/ou au traitement antirétroviral favorisent le SCA. Deux séries ont comparé des patients infectés par le VIH ayant présenté un SCA à des sujets infectés ne présentant pas de maladie coronaire. On note que l’anomalie la plus fréquente dans le groupe de patients infectés par le VIH ayant présenté un SCA est la présence d’une dyslipidémie associant une hypo-HDLémie, une hypertriglycéridémie, une hyper-LDLémie comparés aux patients infectés par le VIH sans maladie coronaire. Certains ont évoqué le statut immunologique comme facteur de risque de SCA, avec une augmentation du risque cardiovasculaire en cas d’immunodépression. Cela souligne l’importance de l’inflammation dans la genèse de l’athérothrombose. Il semble qu’il existe une toxicité vasculaire directe du virus sur la paroi artérielle, comme rapporté par Barbaro et Schecter. Il semblerait que la glycoprotéine Gp 120 de l’enveloppe du VIH active les cellules musculaires lisses artérielles et augmente l’expression du facteur tissulaire, accélérant alors la thrombose et la rupture de plaque. Les études autopsiques, réalisées avant l’ère du traitement antirétroviral, montraient que les jeunes patients infectés par le VIH (décédés d’une cause autre que cardiovasculaire) avaient tous des lésions coronaires associant une athérosclérose banale et une artérite inflammatoire ressemblant à l’histologie coronaire des patients transplantés cardiaques. Des études montrent que l’athérosclérose infraclinique carotidienne, mesurée à l’aide de l’épaisseur intima-média carotidienne, est augmentée chez le patient infecté par le VIH par rapport à la population générale et corrélée aux facteurs de risque cardiovasculaire classiques tels que l’âge, la dyslipidémie et le tabagisme.   Pronostic Le pronostic à court terme de la maladie coronaire chez le patient infecté par le VIH a été évalué dans des séries comportant un faible nombre de patients qui ont montré qu’ils ont un pronostic plus péjoratif que les sujets non infectés, avec un taux de décès cardiovasculaire ou de réinfarctus plus important. Dans notre série, après exclusion du patient décédé d’une cause non cardiovasculaire, seuls 9 patients (45 %) ne présentaient pas de symptôme cardiovasculaire après 3 ans de suivi, alors que, dans les séries de la littérature, chez des patients de moins de 45 ans non infectés par le VIH présentant un IDM, la survie sans événement est supérieure à 80 %. Là encore, il est nécessaire de réaliser des études prospectives cas-témoins déterminant le pronostic de la revascularisation coronaire chez les patients infectés par le VIH comparativement à la population générale (l’étude PACS [Programme d’action communautaire sur le sida], dont les inclusions sont terminées en France, comparera le pronostic de sujets VIH+ à des sujets VIH- au cours d’un suivi de 3 ans ; les résultats sont attendus en 2009).   Prévention cardiovasculaire et traitement Il n’existe pas de recommandation spécifique dans la population infectée par le VIH. Il faut suivre les recommandations des sociétés savantes internationales en prévention primaire et secondaire. L’aspirine doit faire partie du traitement en prévention primaire quand le risque vasculaire à 10 ans, selon le score de Framingham, est supérieur à 15 %. En ce qui concerne le traitement de la dyslipidémie, une attention particulière doit être apportée chez les patients infectés par le VIH car plusieurs statines sont contre-indiquées en raison de l’interaction avec le cytochrome P-450 3A4 sous traitement par antiprotéase. En effet, certaines statines (simvastatine, atorvastatine) voient leur taux plasmatique augmenter avec un risque accru de rhabdomyolyse. Il est donc actuellement conseillé de traiter une dyslipidémie chez les patients infectés par le VIH par la pravastatine, la fluvastatine ou la rosuvastatine, plus puissante (un essai comparatif rosuvastatine 10 vs pravastatine 40 mg/j réalisé en France montre une supériorité quasiment double de la rosuvastatine sur la baisse du LDL-C chez le sujet VIH sous antiprotéase incluant le ritonavir) car ces statines ne sont pas métabolisées par le CYP4503A4. La place des fibrates reste entière en cas d’hypertriglycéridémie et d’hypo-HDLémie isolée. Il est nécessaire de réaliser le sevrage tabagique en cas d’accumulation des facteurs de risque cardiovasculaire car il semble bien que le cocktail tabac et antiprotéase soit explosif, d’autant plus que s’y associe une dyslipidémie.   Conclusion   En plus de 20 ans d’infection par le VIH, les relations entre ce virus et le système cardiovasculaire ont bien changé dans les pays industrialisés ayant accès à un traitement antirétroviral efficace. L’athérosclérose, en particulier coronaire, est devenue la 1re complication cardiovasculaire devenant ainsi la 3e cause de mortalité des patients infectés par le VIH aux États-Unis et la 4e cause en France après les causes infectieuses, cancéreuses et hépatiques. Un effort particulier doit donc être réalisé par les médecins prenant en charge ces patients afin de prévenir les événements cardiovasculaires chez les sujets à plus haut risque (âgés de plus de 45 ans, fumeurs, dyslipidémiques avec longue durée d’infection et de traitement antirétroviral). C’est ainsi qu’une relation infectiologue-cardiologue doit se créer comme la relation diabétologue-cardiologue pour discuter au cas par cas de la prévention à mettre en place. Bien sûr, à l’heure actuelle le bénéfice du traitement antirétroviral n’est pas remis en cause par le risque accru d’IDM, mais cela nécessite l’élaboration de molécules antirétrovirales n’ayant pas d’effet cardiométabolique.

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